Cher Pasteur,
Je souhaiterais répondre aujourd’hui à votre article sur la Sola Scriptura.
Dans le feu de notre disputatio sur le Pape Benoît XVI et son discours de Ratisbonne, vous m’aviez lancé : « je serais assez curieux de savoir comment vous appuyez bibliquement votre affirmation quant à l'autorité nécessaire du pape... », cédant en cela à un vieux réflexe protestant qui veut trouver à chaque affirmation requerrant l’adhésion de la foi un fondement explicite dans la Bible. C’est la raison pour laquelle j'avoue n’avoir pu m’empêcher de vous répliquer que « je serais curieux pour ma part de savoir comment vous justifiez bibliquement la Sola Scriptura? »
Car en effet : si toute affirmation de foi doit être solidement fondée dans la Bible, il doit bien en être de même a fortiori pour la première entre toutes, celle en vertu de laquelle précisément il ne peut y avoir d’autorité doctrinale légitime pour un chrétien en dehors de la Bible : la Sola Scriptura.
Vous définissez très bien dans votre article la Sola Scriptura (l’un des grands piliers du protestantisme avec la Sola Fide) en indiquant que « toute affirmation théologique, toute doctrine doit pouvoir s'appuyer sur l'Ecriture et sur une interprétation intelligente et argumentée (ce qui disqualifie à nos yeux des dogmes tels que l'assomption, l'immaculée conception ou l'infaillibilité pontificale qui ne peuvent prétendre trouver leur source dans l'Ecriture). »
« L'expression Sola Scriptura, précisez-vous, exprime un refus de l'autorité de la Tradition (comprise… comme un pan non écrit de la Révélation qui se transmettrait depuis les apôtres aux évêques et aux prêtres par l'imposition des mains et la succession apostolique) et contre le Magistère (l'autorité donnée aux conciles et au pape de trancher ce qui est conforme à la Révélation et ce qui ne l'est pas). Ainsi parmi les trois sources d'autorité reconnues pas l'Eglise Catholique Romaine, l'Ecriture, la Tradition, le Magistère, les protestants n'en reconnaissent qu'une seule, l'Ecriture, d'où le slogan Sola scriptura. »
Et il est fréquent en effet qu’à l’occasion de telle ou telle discussion sur la Vierge Marie, sur l’Eglise et le Pape, ou encore l’intercession des saints, l’on nous oppose à nous catholiques cet argument imparable sensé mettre fin à toute controverse : « Ce que vous affirmez n’est pas écrit dans la Bible ! ».
D’où ma question, cher Pasteur : où la Bible enseigne-t-elle que l’Ecriture Sainte est notre unique autorité ?
Vous me répondez dans votre article de deux manières différentes :
1°) En relativisant tout d’abord la portée de l’expression « Sola » : « "Sola scriptura" ne signifie pas l'Ecriture et rien que l'Ecriture (…). Hormis pour les fondamentalistes les plus extrêmes, les protestants ne confèrent pas à la bible une autorité absolue. Ce serait oublier le travail considérable des exégètes et théologiens protestants (…) et surtout ce serait dénier la puissance et la liberté absolue de l'Esprit (attestée clairement dans l'Écriture). (…) C'est cet Esprit Saint qui a inspiré la formation du Canon, et l'Esprit Saint qui nous donne de reconnaître l'autorité de ce Canon ».
Outre que cette appréciation m’étonne un peu, en ce qu’elle paraît autoriser le développement d’une « tradition » à l’intérieur même du protestantisme, il n’en reste pas moins, si je vous suis bien, que cette tradition doit en toute hypothèse émaner directement de l’Ecriture Sainte pour être reconnue comme valide, la Bible demeurant, selon vous, l’unique source possible à « toute affirmation théologique » et « toute doctrine ». Tel est bien le sens, en effet, de la Sola Scriptura…
Nous revenons donc à notre question de départ : où donc la Bible enseigne-t-elle que l’« Ecriture seule » est notre unique source ? Où l’Ecriture Sainte enseigne-t-elle la Sola Scriptura ?
Vous tentez de répondre à cette question d’une deuxième façon :
2°) En justifiant bibliquement l'autorité de la Bible au moyen de trois citations tirées de l’Ecriture Sainte : Luc 1. 3-4, Jean 21. 24, Deutéronome 11. 18-19.
Mais si vous me permettez, cher Pasteur, vous ne répondez toujours pas à la question ! Le problème n’est pas de savoir si la Bible est revêtue ou non d’une divine autorité, si elle est ou non la Parole même de Dieu. Cela, pas un catholique n’en doute (enfin, j’espère….). La question est de savoir si la Bible doit être considérée comme notre unique autorité, et si oui, sur quel fondement biblique.
Je ne crois pas poser là une question impertinente, cher Pasteur, mais appliquer dans sa rigueur le principe même de la Sola Scriptura… à la Sola Scriptura elle-même ! Vous comprendrez aisément qu’une affirmation aussi grave que celle qui consiste à faire de la Bible notre seule et unique source doit être nécessairement fondée elle-même… sur la Bible ! Sans quoi, la Sola Scriptura serait intrinsèquement et irrémédiablement contradictoire avec elle-même...
Aussi, je repose la question essentielle, cruciale, fondamentale, la seule qui importe à mes yeux dans la présente discussion : où donc la Sola Scriptura est-elle enseignée dans la Bible ?
J’ai bien peur, cher Pasteur, que la réponse ne s’impose comme une évidence : nulle part… La Sola Scriptura n’est pas un principe biblique. Nulle part la Bible ne déclare expressément qu’elle est l’unique autorité des chrétiens. La Sola Scriptura n’est en réalité qu’un présupposé théologique, l’affirmation historique que les Réformateurs ont opposé aux catholiques qui reconnaissent, pour leur part, une divine autorité à l’Eglise et à la Tradition, à côté de l’Ecriture. Il me paraissait important de le dire…
N’est-ce donc pas un bien curieux paradoxe, cher Pasteur ? Vous affirmez que les chrétiens ne peuvent croire strictement que ce que la Bible enseigne, mais celle-ci n’enseigne nulle part qu’elle est notre seule autorité ! Vous n’acceptez, dites vous, d’autorité que de la Bible, et non du Pape, des conciles ou de la Tradition de l’Eglise. Mais nulle part la notion de base d’une tradition n’est condamnée dans l’Ecriture… Bien mieux : Saint Paul évoque explicitement la tradition... pour nous exhorter à y être fidèle ! Ainsi, en 2 Thessaloniciens 2. 15 : « Dès lors, frères, tenez bon, et gardez fermement les traditions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre. »
Voilà qui renverse singulièrement les perspectives. Non seulement la Sola Scriptura n’est pas bibliquement fondée, mais la Tradition de l’Eglise, elle, l’est !
Tout cela est d’ailleurs bien cohérent avec la remarque que vous faisiez en préambule de votre article : « Il faut bien [disent les théologiens catholiques] que la Tradition ait une autorité pour avoir établi le canon, c'est à dire avoir défini quels étaient les textes ayant autorité. Le Sola scriptura ne peut suffire. C'est d'une logique irréfutable. »
C’est non seulement d’une logique irréfutable, cher Pasteur, mais c’est bibliquement fondé. Pouvez-vous me dire ainsi ce qui, dans la Bible, est considéré comme « la colonne et le support de la Vérité » ? L’Ecriture Sainte ? Non point ! Mais l’Eglise… (cf.1 Tim 3.15 : « Je veux que tu saches comment il faut se comporter dans la maison de Dieu, c’est-à-dire dans la communauté, l’Eglise du Dieu vivant, elle qui est le pilier et le soutien de la vérité »).
Comme l’écrit le Père Daniel-Ange dans son livre « La Parole, braise en ton cœur » (Editions des Béatitudes, 2004), c’est l’Eglise qui précède, porte et transmet la Parole. Il n’y aurait pas eu de Parole s’il n’y avait eu d’abord un peuple. Car Dieu n’aurait pu parler s’il n’y avait eu d’abord des gens pour l’écouter, pour recueillir sa parole et essayer d’en vivre. Il n’y aurait donc pas eu de Bible sans Israël. Comme il n’y aurait pas eu d’Evangile s'il n'y avait eu les disciples de Jésus pour transmettre sa vie et son message. Comme il n’y aurait pas eu les Actes des Apôtres s’il n’y avait eu d’abord des personnes à qui écrire… Bref, il n’y aurait pas eu d’Ecritures du tout s’il n’y avait eu d’abord des communautés vivantes pour les recevoir, les garder et les transmettre aux générations futures.
L’Eglise est donc avant la Parole. C’est l’Eglise qui a reçu l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte, avec le charisme du discernement qui lui a permis de fixer le Canon des Ecritures. Ce don plénier de l’Esprit ne lui a pas été retiré depuis lors, puisque comme vous le savez, « les dons de Dieu sont irrévocables » (cf. Rm 11. 29).
La Tradition émane donc de la même autorité en vertu de laquelle l’Eglise a reconnu les textes de notre Bible comme l’authentique Parole de Dieu. La Tradition a dès lors même autorité que la Bible, qui en est elle-même l’émanation et le fruit magnifique. Voilà pourquoi l’on ne peut séparer la Bible de la Tradition vivante d’où elle est issue et qui en donne la juste interprétation, car cette Eglise "consacrée par l’onction" est ce grand Corps (cf. Ep 1. 23) à l'intérieur duquel circule la sève vivifiante de l’Esprit depuis les premiers Apôtres jusqu’à la fin des temps, pour porter sans cesse de nouvelles fleurs et de nouveaux fruits, et rendre toujours actuel le mystère du Salut offert en Jésus-Christ, notre Seigneur.