Cher Pasteur,
Je souhaiterais répondre à votre dernier article sur la Sola Scriptura, et par la même occasion répondre au sympathique commentaire de Jean-Sébastien (cf. Commentaire n° 14).
Je ne le répèterai jamais assez : dans le feu de nos discussions, il se peut que tel ou tel de mes propos vous heurte personnellement. N’hésitez pas à me le faire savoir, et à me corriger fraternellement ! Mon style est parfois un peu rugueux, je le reconnais volontiers, mais je pense que vous aurez compris l’esprit qui m’anime. Je sais que vous n’êtes pas un amateur de football, mais je suis frappé lors des matchs de haut niveau du respect que les joueurs ont les uns pour les autres, et qu’ils manifestent de diverses manières, avant ou après le match. Ce respect réciproque, voire cette amitié entre certains joueurs, ne les empêche pas de se livrer une rude bataille sur le terrain, et de ne s’y faire aucun cadeau. La comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais je pense que vous aurez compris que le débat contradictoire, pour âpre qu’il soit, n’empêche pas un vrai et sincère respect.
Mais revenons sur le « ring »…
1°) Vous écrivez que « personne ne penserait à nier qu’il existe une tradition protestante. Seulement à la différence de la Tradition catholique, la tradition protestante est toujours contestable. ». Je ne suis pas convaincu, cher Pasteur, qu’il en soit précisément ainsi avec la Sola Scriptura ! Car voilà bien un élément de doctrine issu d’une pure tradition (sans aucun fondement scripturaire), d’une tradition protestante (étrangère à la foi catholique telle qu’enseignée jusqu’à Luther), et d’une tradition protestante incontestable (puisque la contester reviendrait à discréditer le protestantisme lui-même !).
L’opposition doctrinale entre protestants et catholiques ne me paraît donc pas se situer entre Bible et Tradition, ou entre Sola Scriptura et Sola Ecclesia, mais bien entre tradition et Tradition : la tradition protestante, d’apparition tardive dans l’Histoire de l’Eglise, contre la séculaire Tradition catholique venue des Apôtres.
2°) Vous me faites le grief de vous faire tenir des propos que vous n’auriez pas prononcés. Mais Jean-Sébastien, dans son commentaire, apporte une définition qui me paraît très juste de la Sola Scriptura : « Les Ecritures sont la seule source infaillible d’autorité pour la foi de l’Eglise. La doctrine ne dit pas qu’il n’y a pas d’autres sources d’autorité, faillibles, ou même de traditions, auxquelles nous pouvons nous référer ou même suivre. Cela veut dire que tout ce qui est sources d’autorité comme les traditions, confessions de foi, credo sont par nature inférieur et sujet à correction par les Ecritures. La Bible est considéré comme une autorité ultime, n’acceptant pas d’égale ni de supérieur comme la Tradition et l’Eglise, car elle est Theopneustos, souffle de Dieu (2 Tim. 3 : 16) et contient la Parole de Dieu et doit être nécessairement considéré comme la plus haute autorité. ».
Or, c’est précisément contre cette notion de la Sola Scriptura que j’entendais réagir dans mon premier article car où est-il écrit dans la Bible que « les Ecritures sont la seule source infaillible d’autorité pour la foi de l’Eglise »? Où est-il enseigné dans l’Ecriture que « la Bible est considéré comme une autorité ultime, n’acceptant pas d’égale ni de supérieur comme la Tradition et l’Eglise »? Nulle part… C’est une pure invention de la tradition protestante, que les protestants considèrent comme un véritable dogme, mais qui se trouve dénué de tout fondement biblique… Un comble, n’est-il pas !
3°) Vous finissez vous-mêmes par en convenir, avec une grande honnêteté intellectuelle, mais m’opposez alors deux nouveaux arguments :
« Alors effectivement, il n’est pas écrit que ce soit les seules mais dans ces cas là :
1- « je vous renvoie la question de Micky : « pourquoi s’arrêter à la Bible, pourquoi ne pas reconnaître en plus de la Tradition, le Coran et le livre de Mormon ? » : j’avoue être étonné, cher Pasteur, que vous puissiez accorder quelque crédit à un argument aussi faible… Car je pense que vous serez d’accord avec moi pour considérer que l’Esprit Saint ne peut pas se contredire. Le Seigneur ne peut pas dire tout… et le contraire de tout ; que Jésus-Christ par exemple est Dieu, et qu’il n’est pas Dieu.
2- « Je vous ferais la même remarque que celle que j’ai déjà faite concernant le traité d’athéologie : il me paraît assez dangereux de lancer une affirmation théologique catégorique (et a fortiori un dogme) quelque chose en se reposant sur un silence de la Bible. La Bible ne dit nulle part que la terre est ronde, cela ne signifie pas qu’elle soit plate… » : l’ennui avec ce type d’argument, c’est qu’il peut se retourner comme un boomerang. Car n’est-ce pas ce que vous faites précisément, cher Pasteur, avec la Sola Scriptura, que vous érigez comme un véritable dogme, lors même que la Bible ne dit nulle part que la Tradition et le Magistère ne peuvent être source d’autorité pour un chrétien. Mais si je suis bien votre raisonnement, ce n’est pas parce que la Bible ne dit nulle part explicitement que le Magistère est infaillible, qu’il ne l’est pas effectivement…
Je me permets de vous rappeler en outre que la Tradition comme source d’autorité pour un chrétien est reconnue dans la Bible, à la différence de la Sola Scriptura. Ainsi en 2 Thessaloniciens 2. 15, lorsque St Paul exhorte les fidèles à tenir bon et à garder fidèlement « les traditions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre. »
Si l’on applique à la lettre la Sola Scriptura à ce texte, alors il faut bien reconnaître que la Bible n’est pas notre seule autorité, puisqu’elle affirme précisément le contraire sous la plume de Saint Paul ! (sur la critique de ce texte par Jean-Sébastien, voir 8° ci-après).
4°) « Quant à vos autres arguments bibliques, ils reposent sur l’affirmation que l’Église catholique romaine est la seule véritable Église, l’unique dépositaire de la Vérité du message de Christ. Affirmation que je réfute catégoriquement puisque l’Écriture et l’histoire nous apprennent que dès le départ les Églises furent multiples et ne vécurent pas toujours en bonne entente. » : mais il me semble que vous faites là, cher Pasteur, une confusion entre diversité et division. Que l’Eglise soit diverse, cela est évident, et une très bonne chose : cela découle de son universalité même, des différences de cultures et de traditions, de langues et de nations, de tempéraments aussi (entre « libéraux » et « traditionalistes », « institutionnels » et « charismatiques »… Comparez par exemple mes textes sur ce Blog avec ceux de Hervé, de Lucienne, ou de Yves sur le Blog de Miky : vous y constaterez des différences de sensibilités notoires, et des manières de vivre ou d’exprimer la foi très particulières). On voit donc que l’Eglise n’a pas besoin du protestantisme pour être diverse : elle l’était bien avant la Réforme, elle le demeure aujourd’hui encore, de par sa nature même…
Que vous le vouliez ou non cher Pasteur (et j’en suis, croyez-moi, le premier désolé), les différences entre nos Eglises ne sont pas l’expression d’une diversité, mais bien d’une division. Nous sommes frères dans le Seigneur Jésus que nous reconnaissons comme notre Sauveur et notre Dieu (Alleluia !), mais… divisés, séparés. Même si nous aspirons de tout notre cœur à l’unité, nous ne sommes pas encore dans la pleine communion, et je doute que cette division soit selon le cœur de Dieu...
Jésus, au cours de la dernière Cène, ne priait pas pour la diversité de son peuple, mais bien pour son unité. « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là [ses disciples], mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu'ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m'as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un : moi en eux, et toi en moi. Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que tu m'as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m'as aimé. » (Jn 17. 20-23)
Notons au passage que si Jésus prie pour l’Unité, c’est « pour que le monde croie ». La division entre chrétiens est donc un scandale pour l’Eglise, dont on ne peut en aucun cas se réjouir puisqu’elle constitue, de l’aveu même du Seigneur, un obstacle à la conversion du monde à son Rédempteur et Sauveur. La question de l’unité n’est donc pas subsidiaire ou facultative, mais absolument incontournable et essentielle : le monde attend le témoignage de notre unité pour croire en l’Evangile de notre Seigneur Jésus.
5°) « De plus l’Église catholique romaine peut difficilement se poser comme un modèle de vertu par rapport aux autres Églises… » : très cher Pasteur, je ne savais pas que Dieu choisissait les meilleurs, les plus vertueux,… Le peuple d’Israël, par exemple, était-il lui-même un « modèle de vertu » ? N’était-il pas pourtant l’authentique Peuple de Dieu ?
Vous connaissez sans doute cette histoire d’un juif du Moyen Âge qui, au cours d’un voyage, passait à la cour papale et devint catholique. A son retour, un connaisseur de la cour papale lui posa cette question : « Ne t’es-tu pas rendu compte de tout ce qui se passe là-bas ? » « Oui, dit-il, j’ai tout vu, toutes ces choses scandaleuses, tout. » « Et malgré cela, tu es devenu catholique ? dit l’autre, c’est un non-sens ! » Le juif lui répondit alors : « C’est précisément à cause de cela que je suis devenu catholique. Car si l’Eglise continue à subsister, c’est bien la preuve que Quelqu’un d’autre la maintien » !
6°) « En fait ce qui me gène le plus dans la Tradition et le Magistère, telles que l’Église Catholique Romaine la comprend, c’est qu’elles me semblent une manières bien commode de confisquer le pouvoir et même d’emprisonner l’Esprit et l’Écriture… Lorsque l’Écriture se fait gênante par son silence (…) on lui oppose la Tradition. Et cette Tradition, qui la valide ? C’est le Magistère… Autant dire tout de suite que le Magistère a le pouvoir absolu… ».
Vous dites que le Magistère a le pouvoir absolu : dans la limite toutefois de ce qui nous est légué par la Tradition bi-millénaire de l’Eglise, que le Magistère d’aujourd’hui n’est pas libre de jeter par-dessus bord !
Cf. http://totus-tuus.over-blog.com/article-3833715.html
Emprisonner l’Esprit et l’Ecriture ? Non point, mais les libérer bien au contraire ! Pour leur donner de nous dire tout ce qu’ils ont encore à nous enseigner.
Comme l’écrit le Père Molinié : « Ce n’est pas parce que la Révélation est close que Dieu a cessé de parler (…). A cause de cela, il ne faut pas se faire de « programme » trop précis, fondé soi-disant sur la Parole de Dieu : si cette Parole est vivante, nous ne savons jamais ce qu’elle va nous dire. Si nous prétendons le savoir à l’avance sous prétexte que « c’est dans le texte », nous tuons la Parole dans notre cœur, et l’obligeons pratiquement à se taire.
« On ne sait pas ce qu’il y a dans la Révélation, finalement : c’est un secret. Dieu ne peut plus rien dire qui ne se trouve déjà inscrit dans le dépôt révélé, la Révélation étant close depuis la mort du dernier Apôtre. Mais cela ne veut pas dire qu’on a compris ! La profondeur de cette Parole est infinie, elle ne bouge pas, mais elle est plus vivante que ce qui bouge, elle peut nous réserver bien des surprises.
« Dieu a tout dit, mais comme Il dit des choses éternelles dont la profondeur est insondable, c’est toujours nouveau » (Cf. "Le courage d'avoir peur" , Editions du Cerf, 1994, pages 196 et 197).
7°) « Bien sûr, Jésus a sans doute prononcé bien plus de paroles que celles qu’ont gardé les évangiles, bien sûr Paul a très certainement enseigné bien au delà de ce qu’il a écrit. Mais, il faut nous faire une raison, cet enseignement est perdu aujourd’hui. » : Vraiment ? Mais de quel enseignement parlons-nous ? De l’enseignement de Saint Paul, ou du témoignage de l’Esprit Saint lui-même ? L’Esprit-Saint peut-il avoir des « trous » de mémoire ? Non seulement, cher Pasteur, cet enseignement dont vous parlez n’est pas perdu, mais il est développé par l’Esprit Saint bien au-delà de ce que Saint Paul lui-même aurait pu nous dire, compte tenu de sa « connaissance partielle » du contenu de la Révélation (cf. 1 Co 13. 12). Le lieu de ce déploiement de la Révélation achevée en Jésus-Christ est la Tradition vivante de l’Eglise.
8°) Enfin, je voudrais répondre à l’argument de Jean-Sébastien au sujet de 2 Thess. 2.15, cité plus haut :
- « Pour 2 The 2 :15, tu dis qu’il y a plus que l’Ecriture seul. Implicitement, tu interprètes le verset de telle manière que cela suppose que la Tradition Orale diffère de la tradition Ecrite. (…)
- « Dans 2 The 2 :15, Paul n’appelle pas à tenir ferme dans l’Ecriture et dans des composants oraux, Paul a prêché l’Evangile aux Thessaloniciens en personne et il est entrain de leur écrire. Il a fait une référence à l’Evangile au verset d’avant et il dit aux Thessaloniciens de tenir ferme sur les traditions i.e l’évangile qu’il leur a enseigné en personne et par lettre (1 Thessaloniciens). Le contenu de ses traditions est l’Evangile de Jésus Christ que les Thessaloniens ont eu le privilège d’apprendre dans ce temps unique de ministère apostolique. On ne peut pas tirer de ce verset la conclusion que Paul a enseigné l’infaillibilité papale ni l’Immaculée Conception aux Thessaloniens. Personne ne peut définir ce que sont les Traditions orales enseignés en ce temps là par Paul. »
Je crois qu’une précision s’impose ici : la Tradition de l’Eglise n’est pas considérée comme différente des Ecritures, comme s’il s’agissait d’une source d’autorité concurrente et totalement indépendante. Elle est le dynamisme même de l’Evangile qui se déploie dans notre Histoire. On ne peut donc pas opposer Ecriture et Tradition : c’est la même Bonne Nouvelle qui est portée par l’une et par l’autre, c’est la même Parole de Dieu qui en est l’objet. Le contenu des traditions (écrites et orales) de Saint Paul était l’Evangile de Jésus-Christ : tel est aussi le contenu de la Tradition de l’Eglise.
Je conçois, cher Jean-Sébastien, que cela peut te paraître difficile de faire le lien entre l’Ecriture Sainte et l’infaillibilité papale ou les dogmes marials (ou « mariaux », pour faire plaisir à Hervé…). Mais qu’un dogme soit contenu dans la Parole de Dieu ne signifie pas qu’il soit facile de l’y repérer immédiatement : il n’est pas évident par exemple de lire dans le « Réjouis-toi, pleine de grâce » en Luc 1.28 une plénitude de grâce allant jusqu’à l’absence de tout péché, y compris le péché originel. Il se trouve que l’Eglise met parfois des siècles à prendre conscience de toute la richesse contenue dans un passage de l’Ecriture. Mais comment pourrait-il en être autrement, s’agissant non d’une parole d’hommes, mais de la Parole même de Dieu ?