Chers amis, un an après notre vive discussion sur l’islam (et les trois articles que nous avons publié ici, ici et là), le débat rebondit ! Esperanza s’interroge en effet sur la conformité de ma position au regard du Magistère catholique (l’autorité enseignante de l’Eglise). Compte tenu de l’importance de cette question et de sa permanente actualité – pour rendre aussi cette nouvelle discussion plus accessible et plus lisible – j’ai souhaité répondre par un article. Le voici donc, avec en bleu clair les paroles du dernier commentaire d’Esperanza, et en noir, mes réponses.
1. « Je pense (…) apporter (…) la preuve que vous vous écartez de la ligne orthodoxe de l'Église catholique en son Magistère sur l'islam. »
Je ne crois pas, cher Esperanza, que vous ayez administré cette preuve dans votre dernier commentaire, et je vais vous dire pourquoi.
Mais si je m’éloigne, ainsi que vous le pensez, de la « ligne orthodoxe de l’Eglise catholique en son Magistère sur l’islam », pourquoi ne produisez-vous pas, tout simplement, un texte du Magistère infirmant ma position – et confirmant la vôtre ?
2. « Nous avons le droit d'être excessif dans l'amour envers les musulmans, mais non pas dans nos conceptions envers l'islam, dans un sens comme dans l'autre... »
Ce qui est donc en question : c’est notre conception de l’islam ; c’est ce que pense l’Eglise de l’islam.
La parole que vous me reprochez (fraternellement) d’avoir écrite – et qui vous paraît contraire à la doctrine catholique – est la suivante : « On ne saurait mieux dire que la religion (toute religion, dont l’islam) n’est jamais considérée en elle-même comme facteur de violence et de haine ; que la violence et la haine ne viennent pas des religions elles-mêmes, mais du péché de leurs adeptes, de leur « pauvreté morale », de leur « fondamentalisme ».
Cette conclusion me paraissait s’imposer à la lecture du discours du Pape Benoît XVI au Corps diplomatique le 8 janvier 2009. Mais elle vous est « apparue erronée dans sa sur-interprétation ».
Il serait erroné et « excessif » selon vous, d’un point de vue catholique, d'exonérer l’islam de toute responsabilité dans la violence et la haine de ses fidèles. Car la violence des musulmans, selon vous, s’origine non seulement dans la pauvreté matérielle ou morale des fanatiques, mais plus fondamentalement dans « les passages coraniques appelant à tuer, discriminer et haïr les non musulmans ».
Soit dit en passant, vous me faites le grief de sur-interpréter les propos du Pape, mais je constate en l’espèce que c’est très précisément ce que vous faites, en ajoutant au discours du Pape quelque chose qu’il n’a pas dit…
Car Benoît XVI, dans son discours au Corps diplomatique le 8 janvier 2009, oppose très clairement la « pauvreté morale » (c’est-à-dire en clair : le péché des hommes) dans laquelle les exactions commises contre les chrétiens « plongent leur racine », et les « religions » (dans la catégorie desquelles l’islam se range) dont la « haute contribution (…) à la lutte contre la pauvreté et à la construction de la paix » est fortement soulignée.
La racine du mal – dont les chrétiens, en particulier, sont les victimes –, ne se trouve donc pas, si l’on décrypte sans préjugé le discours de Benoît XVI, dans l’islam, mais dans le cœur des hommes qui est plein de malice et de péché – on entend ici raisonner l’enseignement du Christ sur le pur et l’impur (cf. Mt 15. 19 ; Mc 7. 21-23…).
Alors, certes, les musulmans fanatiques qui martyrisent les chrétiens, et les kamikazes qui se font exploser sur les places des marchés, le font au nom de l’islam. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’islam soit en lui-même facteur de violence et de haine – que la violence et la haine appartiennent à l’essence de l’islam. Car alors, tout musulman désireux de vivre sa foi serait potentiellement violent et dangereux…
Si vous me permettez une analogie : ce n’est pas parce que quelqu’un procède à un avortement ou à une euthanasie au nom de l’amour qu’il agit effectivement selon l’amour – qu’il est dans l’amour ; car l’essence de l’amour n’est pas de donner la mort – mais la vie. Eh bien pareillement : l’essence de l’islam ne réside pas dans la destruction physique des chrétiens, ou dans l’élimination sanglante des femmes et des enfants ; l’essence de l’islam, c’est la foi en un Dieu unique qui est Amour et miséricorde.
Vous allez sans doute me dire (avec charité
) : « Qui êtes-vous donc, pour affirmer cela ? Que savez-vous, vous, de la réalité de l’islam, vous qui reconnaissez ne pas en être un spécialiste ? Qu’est-ce qui vous permet d’être aussi affirmatif sur l’essence de l’islam ? N’est-ce pas aux musulmans de nous dire ce qu’est l’islam ? Et ceux-ci ne montrent-ils pas assez, par leurs actes, spécialement dans le monde islamique, combien la violence est une donnée rémanente dans leur religion ? »
A cela, je répondrais que ce qui est en question dans notre débat, ce n’est pas la réalité de l’islam in abstracto, mais la réalité de l’islam en tant qu’elle est perçue par l’Eglise catholique. Ce qui est en question, c’est la position de l’Eglise catholique sur l’islam. Etant bien entendu que j’ai la faiblesse de penser, de par ma foi en l’Eglise, que cette position est conforme à la vérité objective…
Or, que dit l’Eglise sur l’islam ? Quel est son enseignement ? Au concile Vatican II, le 28 octobre 1965, l’Eglise a proclamé solennellement sa position sur l’islam dans un texte devenu célèbre (Nostra Aetate, 3) : « L’Eglise regarde (…) avec estime les musulmans qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes ». C’est donc sur cette portée (pour employer une parabole musicale) qu’il faut écrire notre partition sur l’islam et déployer notre pensée – si on la veut, en tous les cas, authentiquement catholique.
S’il existe des musulmans violents dans le monde, trop heureux sans doute de trouver dans le Coran une noble justification à l’assouvissement de leurs pulsions de haine et de mort, cela ne fait pas de l’islam une religion violente par nature – au sens où la renonciation à toute violence ferait perdre à l’islam sa nature ; où l’islam ne serait plus vraiment l’islam sans la violence (et où, par conséquent, les musulmans non-violents ne pourraient pas être considérés comme de vrais musulmans) : la violence n’est pas une composante essentielle de l’islam.
Vous pouvez n’être pas d’accord avec cela. Mais vous devez reconnaître que c’est là pourtant la pensée de l’Eglise sur l’islam. Si l’islam était, pour l’Eglise, criminogène par nature, elle l’aurait dit ; elle l’enseignerait officiellement. Elle distinguerait les musulmans de l’islam, comme elle distingue le pécheur de son péché. Et elle condamnerait l’islam, ouvertement, comme intrinsèquement pervers et irréformable – au sens où on ne pourrait le réformer sans le dénaturer substantiellement ; au sens où sans la violence, l’islam ne serait plus l’islam.
3. « Le saint-Père a une fonction diplomatique, et ne peut se permettre de mettre trop en avant les points polémiques. Il ne peut que choisir scrupuleusement ses mots, ceux que ses interlocuteurs seront capables d'entendre, afin de ne pas mettre non plus en danger la vie de chrétiens sur place... Ce serait naïf de croire qu'il a une totale liberté de parole. Toute proportion gardée, un peu comme Pie 12 avec Hitler... »
Oui, sauf que l’Eglise catholique a tout de même sévèrement condamné le nazisme, et qu’elle en a fait de même pour le communisme ! L’Eglise n’a aucun enseignement secret ou caché – elle ne fait pas dans l’ésotérisme… Tout ce qu’elle dit et pense, elle l’exprime au grand jour. Si l’Eglise considérait l’islam comme irrémédiablement vicié par la violence en son essence profonde, elle l’aurait dit. Or, non seulement elle ne le dit pas, mais elle nous invite au contraire à respecter l’islam, et elle nous en fait un devoir !
(Si le discours de Benoît XVI au corps diplomatique vous paraît trop… diplomatique, allez donc voir celui qu’il a tenu devant la curie romaine, le 22 décembre 2006 : « La visite en Turquie m’a offert l’occasion d’exprimer (…) publiquement mon respect de la Religion musulmane, un respect d’ailleurs que le Concile Vatican II nous a indiqué comme devoir » Propos réitéré dans « Lumière du Monde » : « Lors de ma visite en Turquie, j’ai pu témoigner de mon respect pour l’islam, montrer que je le reconnais comme une grande réalité religieuse avec laquelle nous devons être en dialogue » p. 133.)
4. « L'islam porte malheureusement dans ses textes fondateurs les ordres de violence explicites et nominatifs envers les non musulmans, et il est le seul de ce point de vue à le faire. La glorification par l'islam de la violence en vue de sa victoire est hélas sa spécificité. Et ne la comparez pas avec l'AT, car les juifs ont depuis des siècles réinterprété le sens de leur texte, du fait du statut différent de leur Livre Saint ; leurs ennemis bibliques n'ont d'ailleurs plus leur équivalent contemporain, et le judaïsme ne connait pas l'esprit de domination expansionniste et prosélyte, jusqu'à la fin des temps et en tous lieux, du Coran et de l'islam... »
Je trouve au contraire le rapprochement avec le judaïsme extrêmement pertinent, car il n’est pas douteux par exemple que le conflit israélo-palestinien s’enracine, très profondément, dans des motivations religieuses… La violence que l’Etat d’Israël fait subir à des populations palestiniennes innocentes (des civils : des femmes, des enfants…) dans les territoires occupés, au mépris des règles du droit international et des résolutions de l’ONU, est soutenue et portée par des religieux extrémistes et fanatiques qui invoquent l’autorité de la Bible. La justification biblique des exactions de l'Etat hébreu disqualifie-t-il pour autant le judaïsme, comme intrinsèquement violent (au moins dans cette région du monde) ? Non bien sûr, et vous le reconnaissez vous-même (implicitement tout du moins). Vous reconnaissez que le terrorisme israélien n’appartient pas à l’essence du judaïsme ; que le judaïsme n’est pas en soi facteur de violence et de guerre. Que la cause première de la violence et de la guerre en Terre Sainte, ce n’est pas le judaïsme, mais la « pauvreté morale » des dirigeants israéliens – en clair : leur péché (leur esprit de domination, de conquête et de vengeance).
L’essence du judaïsme (comme de l’islam), ce n’est pas la violence : c’est la foi en un Dieu unique qui est Amour et miséricorde. S’il y a un là « message commun » à la Bible et au Coran et aux trois grandes religions monothéistes, c’est bien celui-là. Et c’est cette particularité, qui nous unit et nous distingue du reste du monde, qui fonde et justifie le dialogue interreligieux.
Vous dites que « les juifs ont depuis des siècles réinterprété le sens de leur texte » Vous avez raison, mais vous devriez préciser que cela a pris... des siècles ; qu’il en a fallu du temps pour expurger le judaïsme de toute violence… Souvenez-vous par exemple du prophète Elie, qui égorgea les 450 prophètes de Baal sur le mont Carmel (cf. 1 R 18. 20-40 – essayez un instant de vous représenter la scène…). Ce geste est-il condamné par les « textes fondateurs » du judaïsme ? Non point. Tout au contraire, la figure du prophète Elie fait l’objet d’une grande vénération, dans le judaïsme tout comme dans le christianisme (cf. par ex. l’apparition du prophète aux côtés de Moïse lors de la transfiguration de Jésus). Un regard extérieur non averti pourrait tout aussi bien parler de « glorification de la violence » par le judaïsme et le christianisme…
N’oubliez pas que l’islam n’a que 14 siècles d’existence… Où en étaient le judaïsme et le christianisme dans leur rapport à la violence, après 14 siècles d’existence ?... 
Mon propos n’est donc pas d’affirmer qu’il n’y a pas de problème de violence actuellement dans l’islam (impliqué en partie par un certain rapport aux textes sacrés) ; mais de soutenir que la violence qui s’exerce actuellement dans l’islam n’est pas la violence de l’islam ; que ce problème n’est donc pas insurmontable – parce que l’essence de l’islam, je le répète, n’est pas la violence, mais la foi en un Dieu unique qui est Amour et miséricorde (et que les textes sacrés peuvent être lus aussi dans un sens pacifique – en considération notamment de la loi de « l’abrogeant-abrogé » que vous avez vous-même évoqué – cf. Commentaire n° 56 et 58).
Si l’islam a aujourd’hui un problème avec la violence, il peut le dépasser ; et le christianisme, de par son histoire et son expérience propre, peut l’y aider – de l’importance du dialogue entre chrétiens et musulmans. Non seulement l’islam ne perdra pas son identité en renonçant à toute violence, mais il l’approfondira en grandissant dans la foi au Dieu unique qui est Amour et miséricorde – ce qui est bien l’essentiel de ce que recherche tout croyant musulman. Voilà un message (parmi d’autres) que les chrétiens pourraient faire passer dans le dialogue interreligieux.
5. « [L’islam] a certes des germes de paix à condition d'une réforme profonde et inédite, mais on ne peut pas le considérer ainsi pour l'instant, bien au contraire! Le déni de la réalité mène dans le mur, quoique différemment de la haine et de la diabolisation... »
Le déni de la réalité, c’est ne pas voir qu’il existe de par le monde, en France, en Europe, en Afrique noire,… un islam pacifique et tolérant, notamment vis-à-vis des chrétiens (« Lorsque je reçois des évêques [africains], explique Benoît XVI dans « Lumière du Monde », ils me racontent que célébrer leurs fêtes ensemble est une vieille habitude »).
Le déni de la réalité, c’est ne pas voir qu’il existe en Occident des millions de musulmans qui sont d’excellents citoyens, sincèrement attachés à la démocratie, respectueux des lois et de tous : croyants et non croyants.
Le déni de la réalité, c’est ne pas voir qu’il existe des intellectuels musulmans (dont un certain nombre a pris l’initiative publique de proposer au Pape un dialogue – fait unique dans l’Histoire des deux religions!), qui travaillent à une « réforme profonde de l’islam » (dans le respect de son essence – je pense à un homme comme Tariq Ramadan, dont j’ai déjà ici parlé).
C’est cela aussi « la nature présente de l'islam ». Qui ne se réduit pas, vous le voyez bien, aux Talibans encagoulés d’Afghanistan ou aux séides de Ben Laden.
La montée du fondamentalisme dans beaucoup de pays et la menace que font peser les courants extrémistes sur la paix du monde représentent un danger pour tous : les chrétiens évidemment, mais aussi les musulmans. Voilà pourquoi il est important d’être ensemble pour lutter contre la violence et faire reculer la haine ; apprendre à nous connaître et nous apprécier tels que nous sommes, dans le respect de nos cheminements respectifs ; et partager nos trésors spirituels, dans l’assurance que nous sommes, nous chrétiens, que ceux-ci sont porteurs de la puissance salvifique de l’Evangile.
Ce n’est pas en stigmatisant l’islam en son entier, au risque de faire passer tout musulman pratiquant pour un terroriste potentiel, que l’on fera grandir la cause de la paix dans le monde – ni celle de l’Evangile. C’est le respect de l’islam et des musulmans (dont l’Eglise fait un devoir aux fidèles catholiques), la recherche d’un dialogue et d’une amitié, la découverte de ce qu’il peut y avoir de bon dans l’islam (car dans l’islam aussi, il existe des « semences du Verbe »!) et de ce que nous pouvons réaliser ensemble au nom de ce qui nous rassemble (la foi au Dieu unique qui est Amour et miséricorde) pour bâtir une cité de justice et de paix, qui édifiera la civilisation de l’amour que l’Eglise catholique appelle de ses vœux – et qui n’est pas une utopie, puisque c’est l’Esprit lui-même qui nous y incite !
De même qu’il existe des portes ouvertes à l’action du démon, de même il existe des portes ouvertes à l’action de l’Esprit Saint. Le dialogue fraternel interreligieux en est une. Nul doute que le Seigneur bénira tous nos efforts d’entente cordiale et de paix ; qu’Il fera grandir l’amour dans le cœur des hommes qui s’ouvriront les uns aux autres, les faisant progresser chacun dans la connaissance du vrai Dieu – car celui qui aime connaît Dieu (cf. 1 Jn 4. 7) ; et qui connaît Dieu sera capable de discerner et reconnaître, au moment favorable, l'expression parfaite de son être en la personne de Jésus-Christ (cf. He 1. 3), le Verbe de Dieu venu en notre chair, le Rédempteur des hommes.
6. « Tous ces bons sentiments catholiques, ces naïvetés erronées, ne seraient pas dramatiques s'ils n'avaient pas concrètement des conséquences néfastes : relativisme religieux poussant de plus en plus d'urbains et de couples mixtes à se convertir à l'islam, minoration du danger d'expansion islamique à long terme en Europe, et réticence à évangéliser les musulmans et à les baptiser etc. » Telle n’est pas la position, je vous rassure tout de suite, du blog Totus Tuus qui sait témoigner de la vérité de l’Evangile quand il le faut…