13 mars 2011 7 13 /03 /mars /2011 16:16

Chers amis,

 

En ce temps du Carême où le Seigneur nous appelle chacun de nouveau à la conversion du cœur (à la prière, au jeûne et à l’aumône), je voudrais commencer une réflexion sur le thème de la prière – puisqu’aussi bien, il s’agit de l’activité la plus importante pour un chrétien. Cette série d’articles – qui se prolongera bien au-delà du Carême, compte tenu de son importance – sera classée dans la catégorie « Le Grand moyen de la Prière » dans laquelle vous trouverez la première partie du livre éponyme de Saint Alphonse de Liguori, Docteur de l’Eglise – une œuvre majeure à (re)découvrir et méditer longuement !

 

Et tout d’abord, je voudrais poser la simple question : qu’est-ce que la prière ?

 

On pourrait donner à ce mot de belles et justes définitions – que l’on trouverait dans nos catéchismes ou dans la bouche des Saints (belles et justes définitions, d’ailleurs, sur lesquelles il nous faudra revenir). Mais je pense que la question peut s’adresser aussi à chacun et chacune de nous personnellement – comme la question de Jésus à ses Apôtres sur le mystère de sa personne, qu’il aime à nous re-poser dans l’attente d’une réponse particulière de notre part – une réponse qui jaillira de notre cœur, et qui n’appartient qu’à nous-même. Pour vous – pour moi – qu’est-ce que la prière ?

 

Je vous avoue que plus j’avance dans ma vie de prière – et je parle ici « d’avancement » au sens temporel du terme, non au sens d’un quelconque progrès – et moins je sais ce qu’est la prière – ce qu’il s’y passe exactement. Je ne suis certes pas dans une ignorance totale – puisque l’Eglise en son Magistère et en la théologie de ses Saints nous propose un enseignement riche et solide ; et j’ai la grâce par ailleurs d’avoir un excellent père spirituel pour me guider et me conduire jusque dans les profondeurs de la vie intérieure. Mais au moment où je m’agenouille pour prier, toutes les connaissances intellectuelles que je peux avoir sur la prière me laissent démunis devant un mystère qui me dépasse complètement : le mystère même de Dieu, et de la manière dont Il se communique à moi, et m’unit à lui.

 

C’est pourquoi je n’ai pas d’autre mot pour définir la prière que celui de « mystère »…

 

Mystère de rencontre avec Dieu ; mystère d’intimité avec Celui qu’aucun livre ne pourra jamais contenir (fut-il la Bible !) et qu’aucun Docteur ne pourra enfermer dans une définition ; Celui qui restera toujours au-delà de tout ce que l’on pourra dire ou penser de lui.

 

La prière, parce qu’elle nous ouvre à une expérience nous conduisant, au fond, dans l’inconnu le plus Absolu (ou l’Absolu le plus inconnu – un bain d’infini…), a de quoi donner le vertige… Et c’est sans doute la raison pour laquelle beaucoup la fuient avec la dernière énergie. Parce qu’elle est le lieu où nous sentons et expérimentons l’abîme qui nous sépare de Dieu ; parce qu’elle nous remet, en quelque manière, à notre place.

 

Nous pressentons, au fond de nous même, que la prière nous expose à plus grand que nous ; qu’elle nous rend vulnérables ; et inconsciemment peut-être, nous craignons une relation aussi directe ; nous préférons (dans le meilleur des cas…) nous réfugier dans une connaissance intellectuelle, livresque, dans une réflexion théologique aussi fidèle que possible à l’enseignement des Ecritures et de la Tradition ; dans l’action évangélisatrice la plus fervente, la plus engagée, la plus visible. Nous pensons que cela suffira à nous attacher l’amitié de Dieu – qui ne peut pas rejeter son fidèle (ce qui n’est pas faux)… Cela peut nous convaincre que nous n’avons pas nécessairement à passer beaucoup de temps dans la prière ; qu’elle est importante, oui ; mais pas forcément première ; qu’il y a sans doute mieux à faire, à tel moment, que prier : aller parler de Dieu, par exemple, sur Internet… (ce qui est une erreur ; vous aurez compris que c’est de moi dont je veux parler à travers ces divers exemples…).

 

Nous avons peur de la prière parce qu’elle nous livre entièrement à un Autre que nous craignons et de qui nous nous cachons – depuis la faute d’Adam. Elle met à nue nos blessures, nos fragilités, et la plus redoutable d’entre toutes : la blessure originelle qui fait de nous irrémédiablement un pécheur (même au sortir d’une confession…). Bien sûr, Dieu nous a promis de nous délivrer un jour (qui sera son Jour) définitivement de cet esclavage du péché. Mais dans l’attente de ce Jour, nous restons dans une condition qui rend la prière difficile, pénible, obscure. Nous avons sans cesse à nous affranchir de cette peur ontologique qui nous conduit à nous cacher de Dieu, à nous « protéger » de Lui – quand bien même nous avons la volonté consciente de lui faire confiance. Nous sommes dans la situation d’un malade qui appréhendrait de se rendre à l’hôpital pour y subir une opération : nous savons que cette opération est pour notre bien ; mais c’est plus fort que nous : nous éprouvons l’amertume de l’expérience – même si elle est sans danger et que nous savons qu’elle nous rendra la santé.

 

« Penser à Dieu devrait nous donner facilement de la joie, se réfugier auprès de Lui de la consolation, être seuls avec Lui nous dévoiler le véritable bonheur : chanter ensemble cette joie serait la véritable fraternité. On parle beaucoup de tout cela aujourd’hui, mais comme si c’était facile, à notre portée. Cette pastorale euphorique est parfaitement désespérante parce qu’elle nie implicitement la vérité dont la découverte nous délivrera : savoir que nous sommes des malheureux, d’un malheur infini, et que nous avons besoin d’un Sauveur. » (P. M.-D. Moliné, Adoration ou désespoir, CLD 1980, p. 21).

 

La prière nous met dans la vérité de notre être : de notre être pécheur ; et de notre état de créature – que nous redoutons terriblement depuis la Chute. Nos yeux se sont ouverts, nous dit l’Ecriture (cf. Gn 3. 7) : et nous savons désormais que nous sommes nus, que nous ne sommes rien par nous-mêmes ; nous éprouvons le vertige du néant. Nous essayons de fuir ce vertige en échappant à Dieu – Qui, par son seul Être, nous le révèle, mais Qui, seul pourtant, peut nous en délivrer (c’est en ce sens sans doute que nous sommes fondamentalement des « malheureux, d’un malheur infini »… : nous fuyons désespérément Celui qui nous veut du Bien, et cherchons refuge auprès de ce qui nous fait du Mal…)

 

« L’homme contemplatif peut saisir qu’il y a en lui-même, comme créature, une « fêlure » profonde, radicale, dans son être même – puisque son acte d’être est reçu, qu’il est réellement distinct de ce qu’il est en lui-même, dans son essence. Il y a donc en lui une potentialité radicale à l’égard de son acte d’être, du fait qu’il pourrait ne pas être. En lui, d’une certaine manière, le non-être est avant l’acte d’être. S’il ne regardait pas l’acte créateur, il tomberait immédiatement dans une angoisse terrible, puisqu’il y a en lui cette possibilité de ne pas être. S’il ne se voyait pas comme dépendant de l’acte créateur, cette possibilité de non-être serait source d’un vertige, le vertige du néant. On voit comment l’oubli de ce regard contemplatif peut aboutir à cette angoisse du néant nous saisissant en tout ce que nous sommes. » (M.-D Philippe, Lettre à un ami, Editions Universitaires 1990, p. 152).

 

« Nous devrions être dans une exultation perpétuelle, et nous n’y sommes pas, insiste le P. Molinié. Nous devrions sentir que Dieu vit en nous, comme une femme qui porte un enfant sent qu’il vit en elle. Mais Dieu ne vit pas en nous, alors on s’ennuie, la vie n’est pas facile, on cherche à se distraire et à oublier Dieu comme on peut… d’où viennent toutes les abominations de la terre. » (P. M.-D. Moliné, op. cit., p. 22).

 

Il est donc important de prendre conscience que la prière n’est jamais évidente pour nous – qu’il n'y a pas à s’en effrayer ni à s’en étonner ; qu’elle nécessite de nous quelque chose qui est de l’ordre de la kénose – qui est un authentique sacrifice ; qu’elle nous fait entrer dans une réalité que nous ne connaissons pas (du moins pas entièrement) et dont nous ignorons la véritable profondeur – nous pouvons simplement la pressentir lorsque nous en voyons les effets visibles sur notre être ; une réalité dont nous ne sommes pas maîtres (puisqu’au moment où je prie, je confie les commandes de mon âme à l’Esprit Saint, dont je ne sais ni d’où il vient, ni où il va… cf. Jn 3. 8) – voilà pourquoi il nous est défendu de « juger » notre prière avec notre regard tout humain : la prière n’est pas une performance, elle est un mystère.

 

La prière véritable est bien au-delà et autre chose que les prières que nous pouvons matériellement dire ou faire. Elle est « au-delà » et « autre », mais aussi et quand même... « au-dedans » de nos prières... Toutes nos prières (vocales, mentales…) sont des moyens que Dieu nous donne pour nous faire entrer dans la prière véritable. Mais cette prière véritable – celle-là même qui, pour moi, est un mystère – ne nous est pas immédiatement accessible. On n’y parvient que par grâce. Elle est à la fois ce qu’il y a de plus simple et de plus difficile. Nous y reviendrons.

 

Ce qui importe, à ce stade, c’est de bien comprendre que la prière demeurera toujours un combat pour nous. Qu’elle nécessitera toujours un acte de foi pur en Dieu, en sa présence, et en son action, profonde et efficace, en notre âme – malgré, peut-être, les apparences. Un acte de foi qui impliquera un renoncement (crucifiant pour notre orgueil) à tout savoir, tout connaître, et tout maîtriser ; une filiale confiance en Dieu dont nous pouvons croire avec assurance qu’il nous fait du « bien » (à nous, et aux autres par nous) lorsque nous nous livrons ainsi à Lui, même si nous ne connaissons pas la profondeur et l’étendue véritable de ce « bien » (nous ne le verrons qu’au ciel) qui touche au plus profond de notre être.

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Publié par Matthieu BOUCART -
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