Cher Pasteur,
Je souhaiterais revenir sur votre dernier article concernant la Sola Scriptura, et faire évoluer notre disputatio sur la question de l’Eglise, je pense que vous en serez d’accord.
Pour nos frères qui arriveraient en cours de route, qu’ils ne s’effraient pas du ton un peu vif (voire polémique) qui anime nos débats, cela fait partie du « jeu » et met un peu de piment à nos échanges. Mais cette franche discussion se fait dans un climat tout à fait fraternel et amical, et je suis vraiment honoré d’avoir trouvé dans le Pasteur Eric Georges un contradicteur intelligent, mesuré, honnête, et… sans concession. Un grand merci à vous, Eric.
« En préambule, je note (…) que cette disputatio a commencé avec une question "quel fondement biblique à l'infaillibilité pontificale ?" et que je n'ai toujours pas eu de réponse. Ce n'est pas une critique, mais c'est très révélateur sur le fait que, pour Matthieu, les dogmes de son Eglise n'ont pas besoin de s'appuyer sur les textes... » Que voilà un coup bas, cher Pasteur ! Mais je ne vous en veux pas, ceci est de « bonne guerre »… Mon absence de réponse est surtout révélateur du temps qui me manque pour répondre à toutes les questions qui me sont posées, par vous-même ou d’autres lecteurs. J’avoue n’avoir pas votre talent pour écrire des articles aussi denses que les vôtres en aussi peu de temps (là où il vous faut 24 heures pour me répondre, il me faut 15 jours pour rédiger un article tel que celui-ci…). Je n’ai en outre pas votre formation théologique ; pour vous répondre, je dois donc investir beaucoup de temps pour la réflexion, l’étude, l’écriture,… et la prière. Je ne suis ni Pasteur réformé, ni prêtre de l’Eglise catholique, mais un simple laïc engagé dans une intense vie professionnelle et divers engagements chrétiens qui ne me laissent guère le loisir de passer le temps que je souhaiterais sur ce Blog. Tant mieux d’ailleurs ! car s’il ne tenait qu’à moi, j’y serais 24 heures sur 24, ce qui ne serait certainement pas un bien pour mon équilibre personnel ! Il y a un temps pour tout, et l’activité « bloggistique » ne constitue pas (loin s’en faut, et Dieu merci !) le tout de la vie chrétienne.
« Tout d’abord, un reproche, Matthieu, non pas sur la rugosité de votre langage (…) mais sur votre refus de prendre en compte ce que je vous dis. Vous maintenez vos arguments contre la sola Scriptura non pas sur la base de ma définition mais sur celle de Jean Sébastien (…). Je maintiens donc mon explication du Sola Scriptura qui ne signifie pas la Bible comme seule autorité mais la Bible comme seule autorité que nous reconnaissons parmi les trois autorités catholiques romaines. » : Je prends acte de la nuance, cher Pasteur, et vous demande pardon d’avoir mal interprété votre pensée. Mais outre que je n’arrive pas à me débarrasser de cet indécrottable sentiment que la conception de Jean-Sébastien rejoint celle de la majorité des protestants, je maintiens ce que j’ai dit précédemment, à savoir que la Sola Scriptura (version Jean-Sébastien ou version Pasteur Eric Georges) ne repose sur aucun fondement biblique, ainsi que vous en avez vous-même d’ailleurs convenu.
Je note à ce sujet que vous avez l’esprit de contradiction : vous reprochez à l’Eglise catholique de fonder des affirmations théologiques catégoriques sur des silences de la Bible (en jugeant même cela « dangereux »…), mais vous affirmez tranquillement que la Sola Scriptura n’a pas besoin, elle, de fondement biblique : « La Bible ne dit nulle part que la terre est ronde, écriviez-vous, cela ne signifie pas qu’elle soit plate… » ou encore « la Bible ne dit pas que Jésus n’avait que deux yeux, cela ne me pousse pas à croire qu’il en aie eu trois… » Comprenne qui pourra !
En fait, l’erreur que vous me paraissez commettre est de croire que la Tradition catholique, elle, ne s'appuie sur aucun fondement biblique. Je suis désolé de revenir sur 2 Thessaloniciens 2. 15, mais ce texte me paraît vraiment le meilleur vaccin anti-Sola Scriptura ! J’en rappelle le contenu pour mes lecteurs : « Ainsi donc, frères, tenez bon, et gardez fermement les traditions que nous vous avons enseignées, de vive voix ou par lettre. »
De ce texte, je retiens :
1°) que l’Evangile est annoncé au moyen de traditions transmises « de vive voix » ou « par lettre », et non exclusivement par lettre ;
2°) que Paul nous demande de les « garder fermement », et de « tenir bon » : ce qui semble exclure l’hypothèse de normes subalternes applicables seulement à quelques communautés locales, seul ce qui concerne la « vérité de l’Evangile » (Ga 2. 14) méritant devoir être gardé fermement ;
3°) que Paul met ces traditions orales au même niveau que les traditions écrites : qu’il n’y a donc pas de hiérarchie entre elles, ni de subordination des premières aux secondes.
Il ne peut être question ici des traditions « théologiques, disciplinaires, liturgiques ou dévotionnelles nées au cours du temps dans les Églises locales » puisque Paul ne pouvait par définition les connaître ; il ne peut s’agir davantage de traditions humaines au sens de Colossiens 2. 8, celles-ci ne pouvant prétendre à la même autorité doctrinale que les Ecritures.
Ces traditions écrites ou orales dont parle Paul en 2 Thessaloniciens 2. 15 apparaissent donc bien comme étant les deux modes de proclamation de l’Evangile, ainsi que le contexte le suggère : ainsi le verset 14 qui précède immédiatement notre verset 15 (« c’est à cela que Dieu vous a appelés par notre proclamation de l’Evangile, pour que vous entriez en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi donc, etc. »), et l’ensemble du chapitre 2 qui évoque la question du retour du Seigneur et de la manière évangélique de se comporter dans cette attente.
Vous avez bien raison d’évoquer également 2 Thessaloniciens 3. 6, où l’on voit bien Paul englober ces traditions écrites (cf. verset 14) ou orales dans une unique expression, « tradition » au singulier, qui semble bien désigner la manière de vivre selon l’Evangile dans l’attente du Jour du Seigneur (ce que St Paul appelle « marcher droit selon la vérité de l’Evangile » en Galates 2. 14).
Vous m’objectez que les Apôtres enseignaient des traditions différentes, et qu’il est difficile dans ces conditions de renvoyer à une tradition apostolique unanime, mais à cela je répondrais :
1°) qu’à ce stade, là n’est pas la question ; la question est de savoir si selon l’Ecriture, il existe d’autres sources d’autorité que l’Ecriture elle-même : on voit bien ici que la réponse est indiscutablement positive ;
2°) que dans le passage auquel vous renvoyez de Galates 2. 1 à 15, l’attitude (ou « la comédie » selon Saint Paul…) de Pierre est en réalité dictée par l’appréhension et la peur, et non l’objet de sa prédication ou d’un quelconque enseignement de sa part (sur la véritable position doctrinale de Pierre au sujet de l’intégration des païens dans la Communauté chrétienne, voir Actes 10 et 15) ;
3°) que les divergences qui ont pu opposer les premiers chrétiens (et non les Apôtres…) sur la question de la circoncision des païens ont été tranchées… par un premier concile tenu à Jérusalem, ainsi qu’en atteste le Chapitre 15 du livre des Actes ; qu’il me paraît dès lors pour le moins hasardeux de prétendre que les conciles de l’Eglise n’auraient pas autorité sur le Peuple de Dieu.
Si ces divers fondements bibliques vous paraissaient insuffisants, je vous renverrais alors au mystère de la Pentecôte en Actes 2, ou au chapitre 16 de l’Evangile de Jean (Jn 16. 12-15), où Jésus livre à ses disciples ces importantes paroles : « J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant, vous n’avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité toute entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : il redira tout ce qu’il aura entendu ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Il me glorifiera, car il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce qui est au Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : Il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ». Jésus évoque donc bien des développements ultérieurs de la Révélation, un dévoilement progressif de la Vérité évangélique sous la conduite de l’Esprit Saint. La Tradition catholique est précisément le lieu de ce déploiement du donné de la Révélation dans la vie de l’Eglise, et de son cheminement « vers la Vérité toute entière » à travers l’épaisseur des siècles et cela jusqu’à nous, sous la conduite de l’Esprit Saint, selon la parole même du Maître.
Je note à ce sujet que vos considérations sur « les deux sources d’autorité attestées dans l’Écriture » que sont « l'Écriture et l’Esprit Saint », ne s’opposent nullement à la Tradition au sens catholique du terme. Vous voyez en effet l’Ecriture et l’Esprit Saint comme deux sources d’autorité distinctes, quoique étroitement liées. « L’Esprit Saint nous permet de reconnaître à travers la Bible, la parole de Dieu. Et la Bible nous facilite le discernement quant à ce qui vient de l’Esprit Saint et ce qui se réclame mensongèrement de lui. » J’entends là l’écho de ce que nous enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique au sujet de la Tradition au § 78 : « [La] transmission vivante [de l’Evangile], accomplie dans l’Esprit Saint, est appelée la Tradition en tant que distincte de la Sainte Écriture, quoique étroitement liée à elle. Par elle, l’Église perpétue dans sa doctrine, sa vie et son culte et elle transmet à chaque génération tout ce qu’elle est elle-même, tout ce qu’elle croit. »
Vous évoquez l’effort des Réformateurs pour faire revenir l’Eglise à ses « sources ». Les églises réformées seraient ainsi plus authentiques que l’Eglise Catholique, plus proches de la primitive Eglise. « Les premiers chrétiens tels que nous les présentent les Écritures et l’histoire n’étaient pas fédérés derrière un pape ou des conciles qui détenaient une autorité infaillible. Ils n’avaient pas de ministères de prêtres ordonnés au sens de « sacrificateurs ». Ils ne vénéraient pas une foule de saints. Ils se réunissaient en des assemblées locales très différentes les unes des autres (plus encore que les protestants actuels). Ils ne liaient pas le vœu de célibat à un ministère… » Mais ce qui importe, me semble-t-il, ne sont pas tant les sources historiques de l’Eglise, que sa source « ontologique » dirais-je, qui est l’Esprit Saint en Personne ! En retournant 15 siècles en arrière, les protestants ont pris le risque de jeter par-dessus bord les fruits de l’oeuvre patiente de l’Esprit dans l’Histoire de l’Eglise, telle que Jésus l’avait lui-même annoncé. La parole du Seigneur évoquée ci-dessus montre bien pourtant que l’Esprit Saint n’est pas moins présent à l’Eglise en notre XXIe siècle qu’il ne le fut aux premiers temps apostoliques. Voilà pourquoi l’Eglise catholique est plus soucieuse en vérité de demeurer à l’écoute de « ce que l’Esprit dit aux Eglises », que de chercher à renouer avec un passé glorieux, une espèce d’âge d’or du christianisme dont elle entretiendrait le souvenir nostalgique. A vous lire, j’ai comme l’impression que vous considérez la Révélation comme un donné primordial dont l’intégrité originelle aurait été progressivement altérée à la suite de trahisons successives au fil des siècles (selon une régression du « plus » au « moins »), alors que notre foi nous enseigne l’exact contraire : à savoir que la Révélation chemine dans l'Histoire vers le plein éclat de sa splendeur (selon une progression du « moins » au « plus »), sous l’action de l’Esprit Saint qui désenveloppe progressivement le code génétique de la Vérité évangélique, comme se désenveloppe le code génétique d'un enfant au fil de sa croissance.
Pour résumer et pour conclure sur la Sola Scriptura et la Tradition : Si l’Ecriture Sainte n’est pas notre unique autorité ; si les traditions orales des Apôtres ont même autorité que les Ecritures (selon la Bible elle-même !), pourquoi les traditions orales de leur successeur n’auraient-elles pas pareillement autorité sur le peuple chrétien lorsqu’elles concernent la « vérité de l’Evangile », compte tenu de ce que le Seigneur disait à ses Apôtres en Jn 16. 12-15 ?
(à suivre…)