25 février 2006 6 25 /02 /février /2006 00:54

[Suite de notre lecture commentée de l'Encyclique de Benoît XVI]

7. À l’origine plutôt philosophiques, nos réflexions sur l’essence de l’amour nous ont maintenant conduits, par une dynamique interne, jusqu’à la foi biblique.

Au point de départ, la question s’est posée de savoir si les différents sens du mot amour, parfois même opposés, ne sous-entendraient pas une certaine unité profonde ou si, au contraire, ils ne devraient pas rester indépendants, l’un à côté de l’autre.

Avant tout cependant, est apparue la question de savoir si le message sur l’amour qui nous est annoncé par la Bible et par la Tradition de l’Église avait quelque chose à voir avec l’expérience humaine commune de l’amour ou s’il ne s’opposait pas plutôt à elle. À ce propos, nous avons rencontré deux mots fondamentaux : eros, comme le terme désignant l’amour «mondain», et agapè, comme l’expression qui désigne l’amour fondé sur la foi et modelé par elle.

On oppose aussi fréquemment ces deux conceptions en amour «ascendant» et amour «descendant». Il y a d’autres classifications similaires, comme par exemple la distinction entre amour possessif et amour oblatif (amor concupiscentiæ – amor benevolentiæ), à laquelle on ajoute parfois aussi l’amour qui n’aspire qu’à son profit.

Dans le débat philosophique et théologique, ces distinctions ont souvent été radicalisées jusqu'à les mettre en opposition entre elles : l’amour descendant, oblatif, précisément l’agapè, serait typiquement chrétien ; à l'inverse, la culture non chrétienne, surtout la culture grecque, serait caractérisée par l’amour ascendant, possessif et sensuel, c’est-à-dire par l’eros.

Si on voulait pousser à l’extrême cette antithèse, l’essence du christianisme serait alors coupée des relations vitales et fondamentales de l’existence humaine et constituerait un monde en soi, à considérer peut-être comme admirable mais fortement détaché de la complexité de l’existence humaine.

En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre. Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se réalise la véritable nature de l’amour en général.

Même si, initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande promesse de bonheur –,lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera «être pour» l’autre. C’est ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l'eros déchoit et perd aussi sa nature même.

D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don.

L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau vive (cf.Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34).

Dans le récit de l’échelle de Jacob, les Pères ont vu exprimé symboliquement, de différentes manières, le lien inséparable entre montée et descente, entre l’eros qui cherche Dieu et l’agapè qui transmet le don reçu. Dans ce texte biblique, il est dit que le patriarche Jacob vit en songe, sur la pierre qui lui servait d’oreiller, une échelle qui touchait le ciel et sur laquelle des anges de Dieu montaient et descendaient (cf. Gn 28, 12; Jn 1, 51). L’interprétation que le Pape Grégoire le Grand donne de cette vision dans sa Règle pastorale est particulièrement touchante. Le bon pasteur, dit-il, doit être enraciné dans la contemplation. En effet, c’est seulement ainsi qu’il lui sera possible d’accueillir les besoins d’autrui dans son cœur, de sorte qu’ils deviennent siens: «Per pietatis viscera in se infirmitatem caeterorum transferat». Dans ce cadre, saint Grégoire fait référence à saint Paul qui est enlevé au ciel jusque dans les plus grands mystères de Dieu et qui, précisément à partir de là, quand il en redescend, est en mesure de se faire tout à tous (cf. 2 Co 12, 2-4; 1 Co 9, 22). D’autre part, il donne encore l’exemple de Moïse, qui entre toujours de nouveau dans la tente sacrée, demeurant en dialogue avec Dieu, pour pouvoir ainsi, à partir de Dieu, être à la disposition de son peuple. «Au-dedans [dans la tente], ravi dans les hauteurs par la contemplation, il se laisse au dehors [de la tente] prendre par le poids des souffrantsIntus in contemplationem rapitur, foris infirmantium negotiis urgetur».

8. Nous avons ainsi trouvé une première réponse, encore plutôt générale, aux deux questions précédentes : au fond, l’«amour» est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes; tour à tour, l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante.

Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour.

D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi biblique ne construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène humain originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme, intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même temps de nouvelles dimensions.

Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste surtout en deux points, qui méritent d’être soulignés: l’image de Dieu et l’image de l’homme.

[Voilà une question que je me suis souvent posée, et qui trouve ici une réponse lumineuse : doit-on aimer sans rien attendre en retour ? Est-il légitime d’attendre un retour ?

Le Pape Benoît XVI affirme fortement que la vérité de l’amour réside dans la rencontre d’un amour qui cherche l’autre –l’Eros- avec un amour qui se donne à l’autre –l’Agapè-, et qu’en dehors de cette rencontre, il n’y a pas véritablement amour. L’Eros sans Agapè « déchoit et perd aussi sa nature même » ; l’Agapè sans l’Eros est une impasse, car « l’homme ne peut pas (…) vivre exclusivement dans l’amour oblatif (…). Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. » « Là où (…) les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour ».

L’amour est fait pour être partagé, c'est-à-dire donné et reçu ; sans ce double mouvement réciproque d’offrande et d’accueil, d’accueil et d’offrande, la circulation de l’amour ne peut se faire, et la sève ne pouvant se diffuser, il ne peut pas porter de fruit.

Mais ce qui est vrai de nos relations humaines l’est également par analogie de notre relation avec Dieu. Lui qui, dans son Amour infini, nous donne l’Être et la vie, Lui qui en son Fils, nous ouvre toutes grandes les portes de l’Eternité bienheureuse, Lui qui nous a aimé à en mourir sur une Croix pour nous enfanter à la vie nouvelle… Lui aussi attend une réponse d’amour de notre part au don de son Amour. Lui aussi attend de recevoir. Il n’exige pas son dû, comme il serait en droit de le faire. Mais il attend patiemment, comme le père de l’enfant prodigue, et il espère…

Voilà pourquoi nous ne pouvons pas rester indifférent vis-à-vis de Dieu, et combien il est important de chercher à vivre en sa présence. La foi en Dieu n’est pas quelque chose de facultatif, une option comme une autre… C’est une exigence interne à l’Amour inconditionnel et infini que Dieu nous donne. Et c’est une violence inouïe pour Dieu que de ne pas recevoir l’hommage d’amour de sa petite créature bien-aimée qu’Il se plaît sans cesse de combler de ses dons. Son cœur de Père en est profondément brisé, comme le corps de Jésus sur la Croix…

"Voilà ce coeur qui a tant aimé les hommes qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour et, pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes ...", dit Jésus à Sainte Marguerite Marie Alacoque en lui dévoilant son Coeur Sacré dans Sa poitrine ouverte,…

"Mon cœur déborde d'une grande miséricorde pour les âmes et particulièrement pour les pauvres pécheurs, dit encore Jésus à Sainte Faustine cette fois-ci. Si elles pouvaient comprendre que je suis pour elles le meilleur Père, que c'est pour elles que le sang et l'eau ont jailli de mon cœur comme d'une source débordante de miséricorde ; pour elles je demeure dans le tabernacle, comme Roi de miséricorde je désire combler les âmes de grâces, mais elles ne veulent pas les accepter. Toi, au moins, viens vers moi le plus souvent possible et prends ces grâces qu'elles ne veulent pas, ainsi tu consoleras mon cœur. Oh! combien est grande l’indifférence des âmes pour tant de bonté, tant de preuves d'amour ; mon cœur n'est abreuvé que d'ingratitude, d'oubli de la part des âmes qui vivent dans le monde ; elles ont du temps pour tout, mais elles n'ont pas de temps pour venir vers moi, ni pour chercher des grâces."]

 

Texte intégral de l'Encyclique

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Publié par Matthieu BOUCART -
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