14 février 2006 2 14 /02 /février /2006 21:23

[Nous poursuivons notre commentaire de l'Encyclique Deus Caritas Est.]

4. En est-il vraiment ainsi ? Le christianisme a-t-il véritablement détruit l’eros ?Regardons le monde pré-chrétien. Comme de manière analogue dans d’autres cultures, les Grecs ont vu dans l’eros avant tout l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d'une «folie divine» qui arrache l’homme à la finitude de son existence et qui, dans cet être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire l’expérience de la plus haute béatitude.

Tous les autres pouvoirs entre le ciel et la terre apparaissent de ce fait d’une importance secondaire : «Omnia vincit amor», affirme Virgile dans les Bucoliques – l’amour vainc toutes choses – et il ajoute : «Et nos cedamus amori» – et nous cédons, nous aussi, à l’amour.

Dans les religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes de la fertilité, auxquels appartient la prostitution «sacrée», qui fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré comme force divine, comme communion avec le Divin.

L’Ancien Testament s’est opposé avec la plus grande rigueur à cette forme de religion, qui est comme une tentation très puissante face à la foi au Dieu unique, la combattant comme perversion de la religiosité.

En cela cependant, il n’a en rien refusé l’eros comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice, puisque la fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le prive de sa dignité, le déshumanise.

En fait, dans le temple, les prostituées, qui doivent donner l’ivresse du Divin, ne sont pas traitées comme êtres humains ni comme personnes, mais elles sont seulement des instruments pour susciter la «folie divine»: en réalité, ce ne sont pas des déesses, mais des personnes humaines dont on abuse.

C’est pourquoi l’eros ivre et indiscipliné n’est pas montée, «extase» vers le Divin, mais chute, dégradation de l’homme.

Il devient ainsi évident que l’eros a besoin de discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude vers laquelle tend tout notre être.

[Ce 4e paragraphe de l’Encyclique du Pape Benoît XVI est surprenant, car l’opposition de l’Ancien Testament aux cultes païens de la fertilité s’expliquerait, outre le motif usuellement invoqué de lutte contre toute idôlatrie susceptible de détourner le peuple de la « foi au Dieu unique », par le souci de la préservation de l’Eros ! Le Pape s’attaque ainsi à une conception déviée de l’Eros qui conduirait à une « perversion de la religiosité » ; il dénonce sa « déformation destructrice » et sa « fausse divinisation » qui conduirait à sa déshumanisation ! Ainsi, non seulement l’Eglise ne mépriserait pas l’amour humain dans cette acception d’Eros, mais elle s’en ferait le défenseur ! Combien d’idées reçues sur la position de l’Eglise en matière d’amour et de sexualité devraient tomber à la lecture de telles lignes !

Ce contre quoi le Pape s’élève dans ce document, ce n’est point l’Eros en tant que tel, mais un Eros « ivre et indiscipliné » qui conduit non à une montée (« extase ») vers le divin, mais à une « chute de l’homme ».

La pensée du Pape sur ce thème rejoint celle de Platon : « Dans les Lois, Platon fait l’éloge du plaisir, mais considère néanmoins comme faible et critiquable l’homme qui laisse le « tyran Eros » s’introniser dans son âme pour en gouverner, quotidiennement, tous les mouvements… » (J.-C. Guillebaud, « La tyrannie du plaisir », Editions du Seuil, 1998).

Et le Saint Père de citer le cas des prostituées « sacrées », qui ne sont en réalité que « des instruments pour susciter la folie divine » ; non des déesses, mais « des personnes humaines dont on abuse ».

Et voilà une seconde idée reçue qui s’effondre : celle de la prétendue misogynie de l’Eglise. A travers l’exemple anecdotique de ces prostituées, la Pape renvoie à l’attitude constante de l’Eglise vis-à-vis des femmes, que l’Eglise a dû défendre à certaines époques de l’histoire contre certaines mentalités issues des traditions humaines les mieux ancrées : que l’on songe ainsi, à titre d’exemple, au combat de l’Eglise contre la pratique du mariage « arrangé », au XIIe siècle, et à sa dénonciation de l'adultère... de l'homme : « Dans la société de l’époque, il n’est pas question pour un homme ou une femme de choisir son conjoint. Chez les nobles comme chez les paysans, et depuis des temps immémoriaux, ce sont les parents qui décident. En privilégiant le consentement individuel [en particulier de la femme, dont le libre consentement est placé au même niveau que celui de l'homme!] , l’Eglise fait œuvre subversive (…) La conception chrétienne du mariage apparaît comme d’autant plus subversive qu’elle se révèle, au sujet de certaines questions comme l’adultère, moins misogyne que le droit romain ou les coutumes germaniques. L’Eglise traite en effet les époux sur un pied d’égalité, et juge l’adultère du mari aussi répréhensible que celui de la femme. Dans l’optique laïque au contraire (et donc dans la société civile), c’est l’infidélité de la femme mariée qui seule compte : elle est jugée comme une menace contre l’équilibre de la famille, par l’intrusion possible d’enfants étrangers au sang de l’époux. » (J.-C. Guillebaud, « La tyrannie du plaisir », Editions du Seuil, 1998).

Une sexualité non réglée, non disciplinée, conduit donc nécessairement à une dégradation du corps, à une dévalorisation de la femme, conçue comme un simple « objet » sexuel (cf. la pornographie), à une « déshumanisation » de l’Eros, c’est-à-dire de l’amour naturel de l’homme et de la femme.

En prônant une juste conception de l’Eros, l’Eglise entend donc défendre l’honneur de la sexualité, l’honneur de l’amour humain entre l’homme et la femme, l’honneur du corps. Non seulement, on le voit, l’Eglise ne méprise pas le corps, mais elle en défend la grandeur et la dignité. Comment pourrait-elle d'ailleurs en faire autrement, lorsque son Seigneur Lui-même a pris chair de notre chair, conférant ainsi au corps humain une dignité nouvelle, une dignité toute… divine. C’est en cela certainement que le Pape se sépare de la pensée de Platon, pour qui dans le Giorgias, le corps est un « cachot pour l’âme ».]

 

Texte intégral de l'Encyclique

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Publié par Matthieu BOUCART -
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commentaires

M
Cher Batman,
Pour un premier élément de réflexion à ce sujet, je te recommande le témoignage du Père Xavier Cormary sur son Blog, à l'adresse suivante :
http://icthus.over-blog.com/article-1844021.html
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B
A quand l'Eros rétabli dans nos églises avec des prostituées sobres et disciplinées?
Plus sérieusement, si l'Eglise défend ainsi la femme et l'amour charnel, pourquoi s'obstiner à refuser le mariage des prêtres? Il est clair que l'Eros et l'amour physique, lorsqu'il est mu par les sentiments nobles de l'amour, n'est en rien un obstacle au sacerdoce du prêtre; bien au contraire puisqu'il serait un avant-goût du divin et de la béatitude à laquelle nous aspirons.
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