Chers amis,
Au fil de nombreux articles écris sur ce thème, et après bien des débats riches, passionnés, intenses, nous avons pu démontrer l’existence de Dieu – "Dieu" étant entendu ici non au sens immédiatement théiste, mais au sens d’un Principe premier à la source de l’être de l’univers dont nous avons pu percevoir quelque aspect de son essence : transcendant cet Univers – et donc éternel, puisque situé en dehors de l’espace-temps de l’Univers –, il en est le Créateur tout-puissant, vivant et intelligent, pensant et capable de relation, de communication.
Nous avons vu que nous parvenons à connaître l’existence de Dieu par la raison, et la raison seule s’appliquant à raisonner correctement sur le réel objectif – indépendamment de toute "révélation" religieuse ou surnaturelle. C’est la raison elle-même, en vertu de son mode de fonctionnement, qui, considérant l’univers et ses étonnantes caractéristiques – découvertes pour l’essentiel au siècle passé – parvient à la conclusion inévitable, irrésistible, de l’existence de Dieu.
La question de l’existence de Dieu n’est donc pas affaire de religion, mais de philosophie – et donc de science au sens antique du mot. Nous ne "croyons" pas en l’existence de Dieu ; nous "savons" qu’il existe – ou nous y "croyons" dans ce sens que nous croyons en la capacité de la raison naturelle à découvrir des vérités situées au-delà de la réalité matérielle scrutée par les sciences naturelles (ce qui faisait dire à Claude Tresmontant que les croyants étaient dans le fond les véritables rationalistes). Nous croyons en la métaphysique, en sa valeur scientifique, et à la démonstration qu’elle apporte de l’existence de Dieu. Nous y croyons d’autant plus qu’il n’existe pas d’alternative rationnelle à l’existence de Dieu – nous l’avons amplement développé dans ces colonnes.
Car il n’y a pas 36 choix possibles. A l’origine de l’être de l’Univers :
OU BIEN il n’y a rien (le NEANT) ;
OU BIEN il y a l’Univers lui-même et seul (et il n’y a pas d’autre Être que lui) ;
OU BIEN il y a un autre Être que l'Univers (duquel l'Univers reçoit son être et que nous appelons "Dieu" ici par commodité, mais en prenant bien soin d’avertir le lecteur que nous ne désignons pas immédiatement le Dieu des trois grandes religions monothéistes – cela viendra plus tard).
L’Univers provient-il du néant ? Cette hypothèse est absurde. Par définition, le néant n’existe pas ; il n’est rien. Le concept de néant existe dans notre intelligence – mais il n’existe que comme concept dans notre intelligence. Il est, dit-on en philosophie, un être de raison, non un être réel. Le néant, c’est l’absence d’être, la négation de l’être. Affirmer que le néant puisse produire de l’être, c’est renoncer à la raison ; c’est affirmer chose absurde. On a le droit de préférer l’absurde à la raison. Mais nous, nous choisissons la raison – elle est notre option première et fondamentale –, nous croyons en elle et c’est en son nom que nous affirmons l’existence de Dieu. La première possibilité pour échapper à Dieu est de renoncer à la raison, de discréditer la raison, et de se réfugier dans l’absurde. Un André-Comte-Sponville dira "pourquoi pas ?" Mais cela ne fera que conforter notre propos selon lequel il n’existe pas d’alternative RATIONNELLE à l’existence de Dieu. Pour nier Dieu, l’une des voies possibles (la seule, en fait) sera la contestation de la raison et l’affirmation du primat de l’absurde – à l’instar d’un Sartre ou d’un Heidegger.
Et si l’Univers avait tout simplement et tout bêtement son Principe premier et fondamental… en lui-même ? Il n'y aurait pas besoin de Dieu : il serait à lui seul sa propre explication. Admettons-le un instant. Cela aurait une implication immédiate : puisqu’il est seul, et qu’il n’y a pas d’autre être que lui, c'est qu'il est incréé. S’il est incréé, il est nécessairement éternel – car autrement, cela voudrait dire qu’il s’est donné l’être à lui-même, qu’il existait avant d’exister (puisque pour se donner l’être à soi-même, il faut soi-même être pour poser l’acte créateur), ce qui est impossible : l’auto-création de l’univers par lui-même est encore une idée absurde, et ceux qui le professent (tel Marx ou Engels) ne le font qu’au prix d’une destruction des principes les plus élémentaires de la raison humaine. L'Univers, pour être suffisant et ne pas postuler l'existence d'un Créateur distinct de lui, doit nécessairement être incréé, donc éternel. L’Univers est-il éternel ? Peut-être. Mais là, force est de constater que la charge de la preuve repose sur tous ceux qui osent le prétendre. En l’état actuel du développement des sciences positives, rien dans la réalité objective ne permet de croire en l’éternité de l’univers. Tout ce qui constitue notre univers a commencé d’être et aucune réalité matérielle observable ou connaissable par les sciences expérimentales ou mathématiques ne fournit le moindre indice en faveur de l’éternité de l’univers. Peut-être existe-t-il au fond de l’être quelque réalité qui nous échappe aujourd’hui et qui constitue la "trame" d’un univers éternel ? Peut-être se cache-t-il derrière le mur le Planck quelque phénomène physico-chimique qui apporterait la démonstration que le Big Bang ne constituerait pas un commencement absolu de l’Univers, mais une étape dans son histoire dont rien n’interdirait du coup de penser qu’elle est éternelle. Peut-être. Mais affirmons deux choses à ce stade :
1°) En l’état actuel des sciences positives, rien ne donne à penser que l’Univers soit éternel. D’où le renversement soudain de la charge de la preuve : ce sont ceux qui croient pouvoir affirmer AU NOM DE LA RAISON que Dieu n’existe pas qui se trouvent mis en demeure d’en apporter la démonstration.
2°) Si le Big Bang se révèle être le commencement absolu de l’univers, alors il est impossible d’affirmer qu’il soit incréé (pour la raison que nous avons évoquée plus haut). Il ne peut en ce cas trouver en lui-même sa propre raison d'être. Il faut donc aller la chercher en un autre.
Pour que la pensée humaine trouve quelque bonne raison d’affirmer que Dieu n’existe pas, il faut que l’univers soit éternel. C'est le minimum syndical. Cela dit, la réciproque n'est pas vrai. Si l'on établissait que l'Univers est éternel, cela n'impliquerait pas nécessairement que Dieu n'existe pas. Car Dieu se situant au-delà de la réalité sensible, en dehors du continuum espace-temps, il est par nature éternel. S’il est créateur de notre univers ainsi que nous sommes conduits irrésistiblement à le penser, rien n’interdit de penser qu’il puisse créer l’univers de toute éternité. C’est même la pensée la plus logique si l’on part de Dieu (mais l’on ne raisonne bien qu’a posteriori, non a priori : c’est le réel observé qui est le point de départ de toute réflexion). Dès lors, si l’univers ne peut pas être pensé incréé s’il commence d’exister, il peut être pensé créé s’il est éternel. L'athéisme n'est donc pas sorti d'affaire si l'Univers est éternel. Il doit encore affronter les 5 voies de Saint Thomas d'Aquin par lesquelles le Docteur angélique démontre l'existence de Dieu - indépendamment de cette question de l'éternité de l'Univers. Par contre, l'athéisme s'écroule entièrement par le seul fait que l'Univers n'est pas éternel. Or, la tendance actuelle de la science va contre l'idée d'éternité. On peut faire le pari que l'avenir la rétablira. Mais c'est un pari.
Admettons maintenant (contre l’enseignement actuel des sciences positives) que l’univers soit éternel. C’est donc lui qui, à partir d’une nuée primordiale d’hydrogène et d’hélium, a fait surgir et émerger dans l’être des structures moléculaires de plus en plus complexes, jusqu’à ce que ces structures deviennent vie et se mettent à penser. C’est lui et lui seul qui, à partir d’un gaz initial, a produit des Socrate, Mozart, Einstein, Mère Térésa… Là, le penseur athée se trouve confronté à un terrible dilemme : ou bien il affirme AU NOM DE LA RAISON que tout ce qui apparaît dans l’histoire de l’univers appartient en propre à l’univers et était donc présent dans l’univers dès l’origine de manière occulte – mais il ajoute à l’univers bien des choses que la science ne vérifie en aucune manière, en particulier la vie et l’intelligence ; ou bien il reconnaît que les sciences positives ont raison et ne veut rien rajouter au réel observé, mais il doit alors considérer AU PRIX DE LA DESTRUCTION DE LA RAISON que des réalités nouvelles ont surgi par l’effet d’un acte créateur de l’univers lui-même qui s’est donné à lui-même plus qu’il n’avait au départ. Mais dans les deux cas, on est conduit à concéder à l’univers des propriétés incroyables qu’on ne soupçonnait pas au départ : l’univers serait un être vivant, pensant, intelligent, doté d’une puissance créatrice capable de faire surgir dans l’être ce qui n’existait pas auparavant. Bref, on est conduit à transférer dans l’Univers lui-même les propriétés que les partisans de la troisième solution ne voient qu’en Dieu seul. Mais alors… c’est l’univers qui est Dieu, au sens où ces derniers l’entendent ! Et l’on voit qu’on est contraint de professer, à l’instar d’un Spinoza, le panthéisme – qui n’est pas un athéisme, mais une croyance authentique en un dieu que l’on identifie à la nature.
Voilà pourquoi l’athéisme est dans une impasse. Il ne peut recourir, pour exclure l’existence de Dieu, qu’à l’absurde. Il doit parier sur des découvertes scientifiques démontrant le contraire de ce qu’elles enseignent aujourd’hui. Mais il ne peut se fonder sur la raison – il en est bien incapable, et il n’existe de fait aucune philosophie de l’athéisme proposant une explication rationnelle valable du monde sans Dieu. Sans Dieu, le monde est inexplicable. Pour l’expliquer, il faut OU BIEN reconnaître (fût-ce à contre-cœur) que la nature elle-même est divine ; OU BIEN reconnaître que, rien dans la réalité objective scientifiquement explorée ne donnant à penser que la nature est divine, le Principe créateur de l’Univers se situe en dehors de la nature et se manifeste comme autre que la nature – ontologiquement distinct d’elle.
Le panthéisme est-il vrai ? On a le droit de le penser. Mais si l’on croit dans l’enseignement des sciences expérimentales, on ne peut croire en vérité que l’univers était pensant et intelligent dès le Big-Bang (ou auparavant) car on ne trouve aucune trace de vie et de pensée dans l’univers à son origine. Et si l’on croit dans l’auto-création de l’univers, on professe alors une doctrine irrationnelle, puisque si le néant ne peut produire quelque être, l’être ne peut donner que ce qu’il est et ce qu’il a. Affirmer qu’un être puisse donner PLUS que ce qu’il est et que ce qu’il a, c’est une autre manière d’énoncer que le néant puisse être créateur. Cela est donc irrecevable sur le plan de la logique, de la raison, de la pensée humaine.
Il reste donc la troisième et dernière option qui est, de loin, la plus rationnelle – et en fait, la seule rationnelle : à savoir que l’Univers a son principe premier dans un autre être que lui. Cette dernière hypothèse est la seule qui convienne aux principes fondamentaux de la raison humaine et à l’enseignement des sciences expérimentales. Si, comme le professent actuellement les savants, l’univers physique a connu un commencement – et si ce commencement est un premier commencement, un commencement ABSOLU – alors, l’Univers ne peut être incréé. Il est créé, et puisqu’il ne peut être créé par lui-même (parce qu’alors il existerait avant d’exister ce qui est impossible), c’est qu’il est créé par un autre. Et cet autre est nécessairement un Être – puisque le néant ne peut pas être ni donner l’être.
Même à supposer que l’univers soit éternel : puisqu’il est impensable que l’univers se soit donné à soi-même PLUS que ce qu’il est et que ce qu’il a ; puisqu’il est aujourd’hui établi par les sciences expérimentales que ce qui est aujourd’hui n’a pas toujours existé (en particulier la vie et la pensée), que l’univers est en état d’évolution, et pas n’importe laquelle : une évolution orientée, créatrice comme l’écrira Bergson ; alors, il faut admettre qu’il existe :
- un principe créateur (dont la science observe l'oeuvre depuis le Big Bang)
- qui n’est pas l’univers (la raison interdit de le penser),
- qui ne peut être le néant (idem),
- et qui est un Être réel (non un être de raison) sans quoi le réel que nous expérimentons n’aurait pas de fondement ni explication – il n’existerait tout simplement pas.
Cet être possède en lui-même tout ce qu’il faut pour créer toute réalité existante en notre univers : l’être réel bien entendu et nécessairement, mais aussi la transcendance (puisque ne se confondant pas avec l’univers : il est Autre que l’univers – au-delà de l’univers) ; par suite : l’éternité (puisqu’en dehors de l’espace-temps de notre univers) – il est incréé. Doté de la puissance créatrice et capable de poser dans l’existence des êtres qui ne préexistaient nullement – ce que la théologie nomme la Toute-Puissance –, il possède en lui-même tout ce qu’il communique aux autres êtres qu’il créé, en particulier la vie, la pensée, l’intelligence, la capacité de relation. C’est cet Être éternel, transcendant, incréé, tout puissant, vivant, intelligent et pensant que nous nommons Dieu. Et l’on voit que non seulement la raison ne s’oppose pas à l’existence de Dieu, mais c’est elle-même qui y conduit ! Pour échapper à Dieu, il faut recourir à l’absurde, ajouter indûment au réel scientifiquement exploré, faire quelque pari, où appeler le panthéisme à la rescousse (qui n’est pas davantage rationnel ni scientifique, ainsi que nous l’avons démontré – et qui n’est pas un athéisme, mais une authentique croyance religieuse).
Nous sommes donc là indiscutablement en présence d’une PREUVE, c’est-à-dire d’une option solide, bien argumentée, respectueuse de l’enseignement des sciences positives et des principes fondamentaux gouvernant la raison logique, à laquelle nul ne peut objecter en l’absence d’option concurrente susceptible de rivaliser– si l’on veut bien s’accorder a priori que la raison et la science doivent prévaloir dans une réflexion sur l’origine ultime de toute chose.
Ceci étant posé, nous voici affrontés à un mystère : Dieu existe. Est-il raisonnable d’admettre le mystère ? Eh bien... oui. Si l’alternative se situe entre le mystère et l’absurde, il est raisonnable, à l’instar d’un Pascal ou d’un Jean Guitton, de préférer le mystère à l’absurde. Car notre connaissance est limitée et la réalité dans laquelle nous vivons est bien plus vaste que ce que nous en savons. La raison humaine qui n’admet pas l’absurde et le contradictoire ne rejette pas le mystère – qui n’est jamais que le corollaire des limites de notre connaissance. Ce n’est pas parce qu’une réalité découverte est mystérieuse qu’il faut en dénier l’existence. Si la raison réfléchissant sur le réel objectif est conduit par une irrésistible attraction à la reconnaissance de l’existence de quelque réalité mystérieuse, fût-elle Dieu et quand bien même elle nous déplairait, il convient d’en prendre acte. Et de chercher à voir comment en savoir plus sur cet Être mystérieux que nous ne pouvons en connaître par la raison seule – s’il est possible. Tel sera l’objet de notre investigation à venir.