Cher Tiago,
Je vous propose de commencer notre disputatio sur la foi chrétienne et sur l’Eglise – en cette belle fête (catholique) des Saints Apôtres Pierre et Paul.
Pour mes lecteurs qui n’auraient pas suivi nos débats, je rappelle que vous êtes intervenu sur le fil consacré à la Sola Scriptura, et que vous avez soulevé un certain nombre de questions concernant l’Eglise catholique, coupable selon vous de « dénaturer » et « souiller » la « pureté de l’Evangile » : « La tradition et les dogmes catholiques en général, contraires aux précieux enseignements de la Bible, représentent les enfants illégitimes d'une église qui a sombré dans l'apostasie et le reniement de la foi transmise aux saints une fois pour toutes. » (Com 24).
« Rome utilise certaines des méthodes propres aux sectes exclusivistes/apocalyptiques dont une des marques de fabrique est d'affirmer que Dieu leur a donné plus de vérité – une vérité que ne possède aucune autre église – et qu'en-dehors d'elle, point de salut. In fine, il s'agit d'une stratégie pour garder le pouvoir sur les âmes ; de les asservir au lieu de les servir comme Jésus-Christ le demande. » (Com 25).
« La Tradition catholique contredisant la parole de Dieu, il est tout aussi évident qu'elle ne prend pas sa source en Dieu mais dans des traditions, des coutumes, humaines contraires à la volonté de Dieu car Dieu ne Se contredit pas (…). L'Evangile a été jusqu'au jour où je vous écris ces quelques lignes, occulté, dénaturé, par la religion romaine papale dans laquelle vous mettez toute votre confiance. » (Com 46).
« Comment se fait-il que, sur ordre de l'église catholique de très nombreux exemplaires de la Bible aient été détruits par Rome ? Autrement dit, comment se fait-il que des papes, soi-disant vicaires et infaillibles serviteurs de Christ – Parole incarnée de Dieu – lorsqu'ils parlent ex-cathedra, ont pu ordonner de brûler des Bibles – parole écrite de Dieu – et que maintenant Rome invite les catholiques à lire la Bible ? » (Com 51).
« Il est un fait avéré que la Tradition catholique contredit très clairement la parole écrite de Dieu (…). Etant donné que les papes seraient les successeurs de Pierre, tous vicaires de Christ, comment expliquez-vous la vie dissolue qu'ont menée certains d'entre eux et plus particulièrement Alexandre VI ? L'Esprit-Saint a-t-Il vécu dans cet homme ? Si oui, pourquoi, comment ? Comment expliquez-vous, à la lumière du « Sermon sur la Montagne » le comportement de plusieurs papes envers les non-catholiques (croisades, inquisition) ? Je vous demande une réponse, sachant que Rome a décrété infaillibles les décisions papales.
« Comment expliquez-vous le dogme catholique lié aux indulgences ? Le célibat des prêtres à la lumière de 1 Cor. 9V5 ? Le culte des reliques, des saints, de Marie ? Les sacrements dont le baptême des enfants ? (…) Ce qui oppose le catholicisme et le christianisme biblique, c'est la grâce par la foi seule en l'œuvre rédemptrice de Jésus-Christ seul (vérité biblique) et la contrefaçon, l'imitation, de salut que Rome et sa théologie frelatée ont mis en place. C'est, en fait, un tout autre évangile que Rome enseigne. Cet évangile-là (…) est voué à la destruction (Gal. 1V8-9). (…)
« Jésus-Christ nous enseigne que l'on reconnaît l'arbre à son fruit. Les fruits que le catholicisme a portés pendant des siècles, est un fruit qu'il est impossible de confondre avec le christianisme biblique. La France, « fille aînée » de l'église catholique, est dans un état de ruine spirituelle avancée malgré 1500 ans de domination catholique. La plus importante contribution du catholicisme romain à la France ont été l'ignorance de masse, la superstition et l'idolâtrie. Cette contribution est directement le fruit de l'enseignement inique (= contraire, opposé, à l'enseignement biblique) propagé par Rome et contre lequel se sont insurgés les protestants avec raison. Il y a incompatibilité inhérente, fondamentale, viscérale, entre les enseignements catholiques et ceux de la Bible. » (Com 52)
« Je prie pour vous Matthieu et pour tous ceux qui, comme vous, sont prisonniers d'une organisation qui n’a cessé, au cours des siècles, d'œuvrer afin de dominer et d'enchaîner les âmes au lieu de les libérer » (Com 53).
« La succession apostolique romaine est basée sur un mensonge, une escroquerie spirituelle, une supercherie extra-biblique. Puisque la papauté est la cheville ouvrière de toute l'organisation de l'Eglise Catholique, ce sont toutes les prétentions de la Rome papale qui sont discréditées, vouées à la destruction et, par voie de conséquence, la religion qu'elle véhicule. Matthieu, il faut vous rendre à l'évidence : le pape romain est coupable devant Dieu et devant les hommes d'usurpation identitaire caractérisée, lui et toute l'Eglise Catholique que son organisation a enfantée. L'Eglise Catholique doit se repentir d'avoir usurpé le beau nom de Jésus et d'avoir participé à jeter le discrédit sur le nom de Dieu (Rom. 2v24) par ses pratiques/œuvres sanguinaires, criminelles, immorales, superstitieuses et blasphématoires. » (Com 57).
Ouf ! Les lecteurs apprécieront votre sens de la mesure…
Mais je comprends en un sens votre colère. Si vous êtes vraiment persuadé de ce que vous dites, alors vous ne pouvez réagir autrement. A votre place, je ferais de même. Je ne vous jette donc pas la pierre. Bien au contraire, je veux commencer par louer cet amour ardent pour Jésus-Christ que vous manifestez, et qui vous amène à déployer vos efforts pour combattre ce qui vous paraît une grave erreur dans l’ordre de la foi.
Pour entrer dans le débat cependant, je vous invite à dépasser l’aspect passionnel de tout ce qui peut nous diviser. Et à considérer d’abord ce qui nous unis. Vous et moi avons en commun d’aimer Jésus-Christ par-dessus tout ; nous l’adorons comme notre Dieu et Sauveur parce qu’il est le Fils éternel et bien-aimé du Père envoyé sur la terre pour sauver les hommes de la mort éternelle et du péché. Vous et moi adorons un Dieu unique en trois personnes (Père, Fils et Saint Esprit) ; vous et moi affirmons qu’il n’est pas d’autre nom sous le ciel que celui de Jésus par lequel nous puissions être sauvés (cf. Ac 4. 12). Voilà ce qui nous rassemble ; voilà ce qui nous unis ; voilà ce qui nous permet de nous regarder comme des frères ; voilà ce qui est premier.
C’est donc dans un esprit fraternel que je vous invite à entrer dans cette disputatio, en cultivant cette amitié en Christ, et en portant nos échanges dans la prière. Je ne doute pas que le Seigneur bénira notre partage ; je lui demande aussi de bénir tous ceux qui voudront bien y prendre part – tout le monde est invité !
Je voudrais engager le débat en commençant par répondre à votre dernier commentaire à l’article sur la Sola Scriptura (Com 51 et suivants).
Vous m’interrogez sur le premier Concile de Jérusalem en relevant que la décision prise « a été mise par écrit (donc préservée dans l'Ecriture). Pourquoi a-t-elle été mise par écrit si la « Tradition orale » pouvait convenir ? »
En raison sans doute de la particulière solennité de la décision prise et de son caractère impératif pour tout le peuple chrétien ; de sa dimension catholique, universelle (il fallait informer toutes les Eglises : quoi de plus approprié qu’un document écrit pour communiquer aux différentes communautés la réponse donnée à un problème susceptible de se poser partout ?). Notez bien au passage que l’Eglise a toujours conservé cette pratique des Conciles au long des siècles, et qu’elle a toujours consigné par écrit les décisions qu’elle entendait imposer au peuple de Dieu lorsque le dépôt de la foi était menacé.
C’est lorsque la Tradition est menacée qu’un texte écrit d'autorité s’impose (et cela vaut en partie pour le Nouveau Testament). La fonction de l’écrit est alors la préservation de la Tradition qui pré-existe à l’écrit. La Tradition est première ; elle existait déjà avant d’être mise par écrit. L'écriture ne fait qu'en rendre compte. Ce n’est pas l’écrit qui fait exister la Tradition, mais la Tradition qui fait exister l’écrit. L’écrit est dépendant de la Tradition ; voilà pourquoi il est dangereux et nuisible de vouloir séparer l’Ecriture de la Tradition qui la porte.
« Actes 16v4 : ce passage fait référence aux décisions prises par les apôtres, les anciens et toute l'Eglise dans Actes 15 et que Paul, Silas et Timothée recommandaient aux chrétiens d'observer. Une fois encore, cette démarche, cette façon d'enseigner, d'instruire, de communiquer les « traditions » de l'Eglise, est consignée par écrit dans la Sainte Parole de Dieu. » L’Ecriture Sainte témoigne en effet de l’existence de ce premier Concile. Mais nulle part il n’est écrit que ce premier Concile serait le dernier… Nulle part il n’est écrit que « cette façon d'enseigner, d'instruire, de communiquer les « traditions » de l'Eglise » n’aurait pas à se perpétuer dans la suite des siècles. Et l’Histoire montrera que l’Eglise sera très vite contrainte de réagir par la voie conciliaire aux fortes contestations portant sur la divinité de Jésus-Christ ou celle de l’Esprit Saint – contribuant ainsi à forger, concile après concile, la doctrine catholique de la Sainte Trinité.
« Comme je vous l'ai déjà dit, l'expression « trinité » ne se trouve nulle part dans les Ecritures sacrées mais elle constitue le fondement même de la foi chrétienne. » C’est donc bien la preuve qu’il n’y a pas de Sola Scriptura, puisqu’un « fondement » de la foi chrétienne peut ne pas être énoncé explicitement dans la Bible !
La foi en la Trinité vous apparaît – avec juste raison – comme une évidence, et une évidence biblique. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Ca ne l’était pas au 4e siècle pour Arius et de nombreux évêques. Ca ne l’est pas encore aujourd’hui pour des communautés qui se revendiquent de la Bible, et qui nient ouvertement la Trinité au nom même de la fidélité aux Ecritures (cf. les unitariens ou les Témoins de Jéhova…) ! La foi en la Trinité implique donc que l’on s’approprie la Tradition catholique qui s’est élaborée à ce sujet au cours des premiers siècles de l’Eglise à l’occasion des 4 premiers conciles œcuméniques – ce que vous faites, ce dont je me réjouis.
On voit bien dès lors que l’Ecriture n’est pas suffisante ; qu'elle ne peut pas être "seule". Elle est nécessaire, ça oui. Absolument nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. Ce que vous reconnaissez vous-même lorsque vous me posez cette question, capitale entre toutes : « Comment peut-on lire la Bible sans l'interpréter? » Il me semble que tout est suggéré là, dans cette simple question. Si on ne peut pas lire la Bible sans l’interpréter, c’est donc que la Bible ne suffit pas – il faut encore se rattacher à une école d’interprétation, une « tradition ». Si l’on s’en tient à la lettre seule des Ecritures, alors on peut leur faire dire tout et n’importe quoi – tout, et le contraire de tout (voyez Satan au désert, qui cherche à tenter Jésus… avec la Bible !). Pour lire convenablement l’Ecriture, il faut aller au-delà du texte écrit : il faut en rechercher l’esprit.
Mais où trouver l’esprit du texte ? Dans mon intelligence ? Oui, mais cela ne suffit pas – sauf à considérer que je suis plus intelligent que les unitariens et les Témoins de Jéhova (ce que je suis en droit de penser – comme eux sont en droit de penser le contraire).
Plus fondamentalement, nous savons – dans la foi – que l’Esprit de Dieu a été répandu sur les disciples au jour de la Pentecôte. C’est donc dans l’Eglise que nous trouvons l’esprit des Ecritures – car c’est en elle qu’il demeure depuis cet évènement fondateur de la Pentecôte ; c’est l’Eglise qui peut nous livrer la juste interprétation des Ecritures – ou à tout le moins nous préserver de toute erreur d’interprétation ; des fausses pistes et autres impasses.
Vous allez me dire : oui, mais l’Eglise, c’est vous, c’est moi ! Ce qui est vrai... et pas vrai en même temps. C’est vrai que comme baptisés, nous sommes des ceps greffés sur la vigne et que nous pouvons recevoir ainsi la sève vivifiante de l’Esprit. Mais c’est vrai aussi que nous sommes pécheurs, et que nous pouvons nous tromper. N’oublions pas que l’Esprit de Pentecôte a été répandu sur une communauté rassemblée. Il faut donc toujours confronter notre lecture personnelle des Ecritures avec celle de la communauté, et spécialement de ceux qui sont chargés de l’enseigner. Il faut sans cesse revenir à l’esprit des Ecritures, à cet Esprit qui aime à se déployer parfois hors des cadres de l’Eglise, c’est entendu, mais qui se trouve à coup sûr dans l’Eglise. On ne peut donc lire l’Ecriture sans écouter ce qu’en dit l’Eglise – sans interroger sa Tradition dont elle (l’Ecriture) est l’émanation.
Vous allez sans doute encore m’objecter : oui, mais dans l’hypothèse où il y aurait divergence de vue à l’intérieur de l’Eglise sur tel ou tel point d’interprétation, comment trancher ? A cela je répondrai qu’il faut distinguer. OU BIEN il s’agit d’un conflit d’interprétation sur un point essentiel de la foi (ou de la morale) qui provoque de graves dissensions au sein de l’Eglise, auquel cas il existe en dernier ressort la possibilité d’avoir recours à un Concile (qui tranche alors définitivement la question, puisque dans la foi nous savons que c’est l’Esprit Saint qui s’y exprime – cf. Ac 15. 28 ; sur les conflits d’interprétation passés, on consultera avec profit les décisions des Conciles passés qui s’inscrivent dans la Tradition apostolique). OU BIEN, il s’agit d’un conflit d’interprétation sur un point non essentiel, auquel cas les chrétiens seront libres de penser ce qu’ils veulent (par ex. Jésus ressuscité est-il apparu en premier à sa mère ou à Marie-Madeleine ?)
Vous citez Jacques Blocher : « … le document écrit a, par nature, le privilège de rester inaltérable, invariable. Une institution construite avec des hommes a la fragilité de l'humaine nature, elle peut dévier. Pour savoir si elle est restée conforme à ce qu'elle était au commencement, il faut la comparer aux intentions de ses fondateurs, généralement formulées dans un document écrit qui fait autorité. »
Je n’ai pas dit tout d’abord que la Bible ne faisait pas autorité ; je dis qu’elle n’est pas notre seule autorité. Ce que dit Jacques Blocher explique assez bien pourquoi les chrétiens ont mis par écrit leur témoignage de foi. Mais il ne rend pas compte du petit problème que vous soulevez, à savoir : qu’on ne peut pas lire la Bible sans l’interpréter. En paraphrasant notre auteur, on pourrait tout aussi bien dire qu’une interprétation de l’Ecriture élaborée par les hommes « a la fragilité de l’humaine nature, elle peut dévier ». On en revient donc à cette nécessité d’interroger l’Eglise, que le Seigneur a instituée précisément pour pallier les fragilités de l’humaine nature, pour éviter aux hommes de « dévier ». C’est à elle que Jésus a confié les paroles de la vie éternelle – c’est elle qui est chargée de les porter au monde – c’est elle qui a reçue de la bouche même du Seigneur l’assurance que les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur elle (Mt 16.18).
(à suivre…)