Voici quelques extraits d’un petit échange récent avec un ami sur Facebook, un catholique que nous appellerons Henri (prénom de son théologien favori) pour préserver son anonymat.
Henri : La philosophie absurde est ma seule vérité pour le moment. Merci à Camus, Kieerkegaard, Kafka, Cioran, Heidegger, Platon, Chestov et Jaspers.
Matthieu : ???
Henri : Oui Matthieu, en effet, je crois que la vie est un non-sens absolu. Même si cela n'éloigne pas la question de l'Être Premier, du Premier Moteur comme dirait Aristote.
Matthieu : Je suis étonné de cette drôle d'affirmation, qui me paraît contradictoire avec ta foi et ta formation en philosophie réaliste!
Henri : Matthieu il n' y a pas de contradiction. En fait, il suffit de relire Kierkegaard. Si je refuse le suicide, si je refuse l'espoir, j’exalte l'espérance. On trouve des débris d'absurdité même chez Simone Weil ; quand celle-ci dit Pesanteur, c'est Absurdité qu'elle voulait dire. La philosophie de l'absurde enlève tout ce qui paralyse, elle seule dit la vérité au vivant.
Matthieu : Dieu seul dit la vérité au vivant. Et ce que Dieu nous dit (son Logos, la Raison Créatrice) a du sens - EST le sens.
Notre vie a un sens. Le monde a un sens. Nous savons qui nous sommes, d'où nous venons et où nous allons. Même si ce que nous serons ne paraît pas encore parfaitement, comme dit Saint Jean. Nous sommes, nous chrétiens, les gens du mystère, non pas de l'absurde.
Henri : Dieu, s'il existe, respecte le caractère sacré de notre intelligence. Rappelle toi St Thomas d'Aquin, l'homme est capax Dei. On ne sait d'où l'on vient, ni on l'on va. C'est faux! L'homme a seulement foi en Dieu. Il croit, c'est tout! C'est cette imperfection, cette obscurité qui constitue le non-sens.
Matthieu : D'abord, Dieu existe – il me semble que c'est le B.A-BA pour un croyant. Tu en doutes? Ensuite : le chrétien sait parfaitement d'où il vient et où il va dans la mesure où Dieu l'a révélé. Nous savons que nous avons été créé par Amour, que nous sommes fait pour l'Amour et que nous allons à l'Amour. Cela n'enlève certes pas le voile sur la réalité concrète que nous vivrons dans l'éternité (qui reste un Mystère), mais enfin : nous savons clairement que notre existence n'est pas absurde et qu'elle est ordonnée à l'Amour (de Dieu, de nous même et de nos frères humains) – qui servira de mesure à notre Jugement.
Henri : Matthieu. Je crois en Dieu. Je suis catholique. Mais je suis aussi foncièrement un être absurde.
Matthieu : Mais...c'est absurde!
Henri : En plus tu as parlé de doute : je te rappelle que le doute est nécessaire à la foi.
Matthieu : Non, le doute n'est pas nécessaire à la foi. Où as-tu vu cela?? Le doute est la NEGATION de la foi.
Henri : Le doute quand il s'agit de la foi est à la fois nécessaire et précieux. Après sa conversion, St Augustin écrit dans les confessions : « Je suis devenu une question pour moi même. » L'homme qu'il soit de religion ou d’indifférence, sait qu'il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il ne voit pas pourquoi il vit. Cet adolescent qui rentre à reculons dans l’existence, ce vieillard qui ne vit que de passions nostalgiques, ce passéisme est de tout les temps. L'homme ne sait pas où il va. Il y a une vie éternelle, certes c'est ma foi. Mais il y aussi comme le soulignerait un Nietzsche, l'éternelle vivacité. On me dit, maintenant, ici-bas, mais c'est pas évident pour moi. Puisque pour toujours cette vie me sera étrange et amère. Jamais je la comprendrai. Et ça, c'est encore l'absurde.
Matthieu : Ce n'est pas parce que l'homme non croyant ne sait pas où il va que sa vie n'a pas de sens. Elle en a un, mais il l'ignore – comme la chrysalide ignore qu'elle va devenir papillon (ce n'est pas parce qu'elle l'ignore qu'elle ne va pas le devenir). Le rôle des chrétiens est de révéler prophétiquement aux non-croyants que leur vie n'est pas absurde, mais qu'elle est habitée par une Présence qui donne sens à tout ce qui existe.
Tu dis : "pour toujours cette vie me sera étrange et amère. Jamais je la comprendrai. Et ça, c'est encore l'absurde." C'est absurde SI c'est vrai. Mais c'est un présupposé. C'est absurde s'il est vrai que POUR TOUJOURS cette vie te sera étrange et amère. C'est absurde si JAMAIS tu ne la comprendras. Mais précisément, dans la foi nous SAVONS que cette vie ne nous sera pas éternellement étrange et amère, et qu'un jour, nous comprendrons tout.
Cela me rappelle un passage de Bernanos : "Il y a quelque part ailleurs, je ne sais où, une maman qui cache pour la dernière fois son visage au creux d'une petite poitrine qui ne battra plus, une mère près de son enfant mort qui offre à Dieu le gémissement d'une résignation exténuée, comme si la Voix qui a jeté les soleils dans l'étendue ainsi qu'une main jette le grain, la Voix qui fait trembler les mondes, venait de lui murmurer doucement à l'oreille : 'Pardonne-moi. Un jour, tu sauras, tu comprendras, tu me rendras grâce. Mais maintenant, ce que j'attends de toi, c'est ton pardon, pardonne.'" ("Nos amis les Saints", Conférence à Tunis, 1947)
Tu es aimé d'un amour éternel Henri. Depuis toujours et pour toujours, tu es dans le coeur de Dieu. Si tu savais à quel point tu es aimé, tu en pleurerais de joie. Ta vie est en marche vers son plein accomplissement, dans l'Amour.
Dieu te garde, mon bien cher frère.