Lorsque l'on parle de vocation dans le langage de l'Eglise, on songe immédiatement aux prêtres et aux religieux. En approfondissant la question, on peut l'étendre au mariage et à la vie chrétienne en son ensemble. Mais cela a-t-il du sens de parler de "vocation intellectuelle"? Une telle vocation existe-t-elle ? Et si oui, quelle est-elle? Est-elle réservée aux écrivains, aux professeurs, aux journalistes, à tous ceux qui font profession de penser et d'écrire? Ou bien peut-elle s'étendre à d'autres qui consacrent des bouts de leur existence seulement à la réflexion et à l'écriture? Ce sont de vraies questions, il me semble, qui ont acquis un regain d'actualité avec le développement des moyens de communication sociale - des questions essentielles du point de vue chrétien, qu'il me paraît important d'envisager à nouveaux frais.
C'est un ouvrage du Père Antonin-Gilbert Sertillanges (1863-1948) intitulé "La vie intellectuelle : son esprit, ses conditions, ses méthodes" récemment réédité qui me révéla l'existence d'une vocation intellectuelle. Le livre s'ouvre d'ailleurs sur un Premier chapitre justement intitulé "La vocation intellectuelle".
J'eus un grand choc en découvrant ce titre, car jamais jusqu'alors on ne m'avait parlé de vocation intellectuelle. Comme beaucoup de chrétiens, je m'interroge parfois sur le sens de ma vie, sur ma vocation profonde - ce à quoi Dieu m'a destiné. Et je ne trouve guère de réponse claire, malgré mon âge (j'ai passé depuis deux ans la quarantaine). Et voilà que ce livre ouvre une fenêtre inattendue, un chemin de réflexion d'autant plus riche qu'il me paraît concerner un grand nombre de personnes parmi celles que j'ai rencontrées en 10 ans d'évangélisation sur Internet. Le livre du P. Sertillanges a beau être paru en 1921, il me paraît d'une actualité brûlante - et revêtir pour le moins un caractère prophétique.
Mais quelle est cette vocation intellectuelle? "Parler de vocation, nous explique le philosophe thomiste, c'est désigner ceux qui entendent faire du travail intellectuel leur vie, soit qu'ils aient tout loisir de se livrer à l'étude, soit que, engagés dans des occupations professionnelles, ils se réservent comme un heureux supplément et une récompense le profond développement de l'esprit". La vocation intellectuelle n'est donc pas l'apanage des seuls professionnels de l'intelligence.
La vocation présuppose un appel. Un appel de Dieu sur soi. "Cet appel ne doit pas être préjugé. On ne se préparerait que des déboires à se lancer dans une voie où l'on ne saurait marcher d'un pied sûr." Il est donc important d'entreprendre un travail de discernement - dans la prière et l'accompagnement spirituel. L'orientation intellectuelle "ne doit pas être prise avant qu'on ne se soit longuement consulté. La vocation intellectuelle est comme toutes les autres : elle est inscrite dans nos instincts, dans nos capacités, dans je ne sais quel élan intérieur que la raison contrôle. Nos dispositions sont comme les propriétés chimiques qui déterminent, pour chaque corps, les combinaisons dans lesquelles ce corps peut entrer. Cela ne se donne pas. Cela vient du ciel et de la nature première. Toute la question est d'être docile à Dieu et à soi-même après en avoir entendu les voix."
L'un des critères les plus sûrs pour un bon discernement reste la joie, l'épanouissement personnel que l'activité d'écriture provoque en nous : "Le goût qui est en corrélation avec les tendances profondes et avec les aptitudes, est un excellent juge (...). Le plaisir peut aussi déceler nos vocations. Il faut seulement qu'on scrute jusqu'en ces profondeurs où le goût et l'élan spontané rejoignent les dons de Dieu et sa Providence."
Qu'aimons-nous et que recherchons-nous par dessus-tout? Le Père Sertillanges raconte cette anecdote de la vie de Saint Thomas d'Aquin : "Saint Thomas d'Aquin, venant se fixer à Paris et découvrant la grande ville de loin, dit au frère qui l'accompagnait : "Frère, je donnerais tout cela pour le commentaire de Chrysostome sur Saint Matthieu." Quand on éprouve de tels sentiments, il n'importe où l'on est ni de quoi l'on dispose ; on est marqué du sceau ; on est un élu de l'Esprit ; il n'est que de persévérer et de se confier à la vie telle que Dieu la règle."
Nous verrons ce que la découverte d'un appel à la vie intellectuelle implique dans l'existence de "l'élu de l'Esprit".