1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 18:29

Conférence de presse du Pape Benoît XVI à bord de l’avion en vol vers l’Espagne (à l'occasion de son pélerinage à Saint Jacques de Compostelle et Barcelone), le 6 novembre 2010.

 

P. Lombardi : Votre Sainteté, soyez le bienvenu à cette traditionnelle rencontre avec nos collègues journalistes au début de ce beau voyage. Il s’agit d’un voyage bref, mais qui suscite beaucoup d’intérêt […]. Dans [un] message […] récent […], vous avez déclaré vivre votre pontificat « avec des sentiments de pèlerins ». Dans votre devise également, figure la coquille du pèlerin. Pouvez-vous nous parler de la perspective du pèlerinage, notamment dans votre vie personnelle et dans votre spiritualité, et des sentiments qui vous animent en tant que pèlerin à Saint-Jacques ?

 

Le Saint-Père : Bonjour! Je pourrais dire qu’être en chemin est déjà inscrit dans ma biographie – Marktl, Tittmoning, Aschau, Traunstein, Munich, Freising, Bonn, Münster, Tübingen, Ratisbonne, Munich, Rome – mais sans doute ceci est quelque chose d’extérieur. Toutefois, cela m’a fait penser au caractère instable de cette vie, être en chemin... Naturellement, contre le pèlerinage, on pourrait dire : Dieu est partout, il n’y a pas besoin d’aller dans un autre lieu. Mais il est également vrai que la foi, par essence, est une « existence de pèlerin ».

 

La Lettre aux Hébreux démontre ce qu’est la foi dans la figure d’Abraham, qui quitte sa terre et demeure un pèlerin vers l’avenir pendant toute sa vie ; et ce mouvement d’Abraham demeure dans l’acte de foi, c’est un pèlerinage avant tout intérieur, mais qui doit s’exprimer également de l’extérieur. Parfois, sortir du quotidien, du monde de l’utile, de l’utilitarisme, sortir uniquement pour être réellement en chemin vers la transcendance; se transcender soi-même, transcender le quotidien et trouver ainsi une nouvelle liberté, un temps de réflexion intérieure, d’identification de soi, pour voir l’autre, Dieu, c’est également toujours ce qu’est le pèlerinage : non seulement sortir de soi, pour aller vers le plus grand, mais également aller ensemble. Le pèlerinage rassemble : nous allons ensemble vers l’autre et ainsi, nous nous retrouvons réciproquement. Il suffit de dire que les chemins de Saint-Jacques sont un élément dans la formation de l’unité spirituelle du continent européen. Ici, en pèlerinage, ils se sont trouvés, ils ont trouvé l’identité commune européenne, et aujourd’hui aussi, ce mouvement renaît, ce besoin d’être en mouvement spirituellement et physiquement, de se trouver l’un l’autre et de trouver ainsi le silence, la liberté, le renouveau, et de trouver Dieu […].

 

P. Lombardi : […] Comment la foi peut-elle retrouver aujourd’hui sa place dans le monde de l’art et de la culture? Est-ce l’un des thèmes importants de votre pontificat?

 

Le Saint-Père : Il en est ainsi. Vous savez que j’insiste beaucoup sur la relation entre foi et raison, que la foi, et la foi chrétienne, n’a son identité que dans l’ouverture à la raison, et que la raison devient elle-même si on la transcende vers la foi. Mais la relation entre foi et art est tout aussi importante, car la vérité, but et objectif de la raison, s’exprime dans la beauté et devient elle-même dans la beauté, se prouve comme vérité. Là où se trouve la vérité doit donc naître la beauté, là où l’être humain se réalise de manière correcte, bonne, il s’exprime dans la beauté. La relation entre vérité et beauté est inséparable et nous avons donc besoin de la beauté. Dans l’Eglise, depuis le début, également dans la grande modestie et pauvreté de l’époque des persécutions, l’art, la peinture, l’expression du Salut de Dieu dans les images du monde, le chant, et ensuite également les édifices, tout cela est constitutif pour l’Eglise et reste constitutif pour toujours. Ainsi l’Eglise a été la mère des arts pendant des siècles et des siècles : le grand trésor de l’art occidental – que ce soit la musique, l’architecture ou la peinture – est né de la foi à l’intérieur de l’Eglise. Aujourd’hui, il y a un certain « désaccord », mais cela fait du mal aussi bien à l’art qu’à la foi : l’art qui perdrait la racine de la transcendance n’irait plus vers Dieu, ce serait un art diminué, il perdrait sa racine vivante ; et une foi qui ne posséderait que l’art du passé, ne serait plus une foi dans le présent ; et aujourd’hui elle doit s’exprimer à nouveau comme vérité, qui est toujours présente. C’est pourquoi le dialogue ou la rencontre, je dirais l’ensemble, entre art et foi est inscrit dans l’essence la plus profonde de la foi ; nous devons faire tout ce qui est possible pour qu’aujourd’hui aussi, la foi s’exprime à travers un art authentique, comme Gaudí, dans la continuité et dans la nouveauté, et que l’art ne perde pas le contact avec la foi.

 

P. Lombardi : Actuellement est en train d'être mis en place le nouveau dicastère pour la « nouvelle évangélisation ». Et beaucoup se sont demandés si l'Espagne, avec les développements de la sécularisation et la diminution rapide de la pratique religieuse, est l'un des pays auquel vous avez pensé comme objectif de ce nouveau dicastère, voire si elle en serait l'objectif principal. Voilà la question que nous nous posons.

 

Le Saint-Père : Avec ce dicastère, j'ai pensé au monde tout entier, parce que la nouveauté de la pensée, la difficulté de réfléchir sur les concepts des Ecritures, de la théologie, est universelle, mais il y a naturellement un centre et il s'agit du monde occidental avec son sécularisme, sa laïcité et la continuité de la foi qui doit essayer de se renouveler pour être une foi d'aujourd'hui et pour répondre au défi de la laïcité. En Occident, tous les grands pays vivent chacun à leur manière ce problème : nous avons eu par exemple les voyages en France, en République tchèque, au Royaume-Uni, où le même problème est présent partout de manière spécifique à chaque nation, à chaque Histoire, et cela vaut aussi et de manière forte pour l'Espagne. L'Espagne a été, depuis toujours, un pays « originaire » de la foi ; rappelons-nous que la renaissance du catholicisme à l'époque moderne advint surtout grâce à l'Espagne ; des figures comme Saint Ignace de Loyala, Sainte Thérèse d'Avila et Saint Jean de la Croix, sont des personnalités qui ont réellement renouvelé le catholicisme, ont formé la physionomie du catholicisme moderne. Mais il est aussi vrai qu'en Espagne sont nés également une laïcité, un anticléricalisme, un sécularisme fort et agressif, comme nous l'avons vu précisément dans les années Trente, et ce débat, voire ce conflit entre foi et modernité, toutes deux très vives, se réalise encore aujourd'hui de nouveau en Espagne : c'est pourquoi l'avenir de la foi et de la rencontre – non pas le conflit, mais la rencontre entre foi et laïcité – trouve un point central également dans la culture espagnole. En ce sens, j'ai pensé à tous les grands pays d'Occident, mais surtout également à l'Espagne.

 

P. Lombardi : Avec le voyage à Madrid de l'année prochaine pour la Journée mondiale de la jeunesse, vous aurez accompli trois voyages en Espagne, ce qui n'est le cas pour aucun autre pays. Pourquoi un tel privilège? Est-ce un signe d'amour ou d'inquiétude particulière?

 

Le Saint-Père : C'est naturellement un signe d'amour. On pourrait dire que c'est le hasard qui a fait que je suis venu trois fois en Espagne. La première, pour la grande rencontre internationale des familles, à Valence : comment le Pape pourrait-il être absent, si les familles du monde se rencontrent? L'année prochaine la JMJ, la rencontre de la jeunesse du monde, à Madrid, et le Pape ne peut être absent à cette occasion. Et, enfin, nous avons l'Année sainte de Saint Jacques, nous avons la consécration, après plus de cent ans de travaux, de la cathédrale de la Sagrada Familia de Barcelone, comment le Pape pourrait-il ne pas venir? En soi, par conséquent, les occasions sont des défis, presque une obligation à honorer, mais le fait que ce soit précisément en Espagne que se concentrent un si grand nombre d'occasions, montre aussi que c'est véritablement un pays plein de dynamisme, plein de force de la foi, et la foi répond aux défis qui sont également présents en Espagne ; c'est pourquoi nous disons : le hasard a fait en sorte que je vienne, mais ce hasard démontre une réalité plus profonde, la force de la foi et la force du défi pour la foi.

 

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Publié par Matthieu BOUCART -
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