13 janvier 2011 4 13 /01 /janvier /2011 17:06

Extrait du discours prononcé par le Pape Benoît XVI lors de sa rencontre avec les artistes, le 21 novembre 2009.

 

[…] Le moment actuel est malheureusement marqué, non seulement par des phénomènes négatifs au niveau social et économique, mais également par un affaiblissement de l'espérance, par un certain manque de confiance dans les relations humaines, c'est la raison pour laquelle augmentent les signes de résignation, d'agressivité, de désespoir. Ensuite, le monde dans lequel nous vivons risque de changer de visage à cause de l'œuvre qui n'est pas toujours sage de l'homme qui, au lieu d'en cultiver la beauté, exploite sans conscience les ressources de la planète au bénéfice d'un petit nombre et qui souvent en défigure les merveilles naturelles. Qu'est-ce qui peut redonner l'enthousiasme et la confiance, qu'est-ce qui peut encourager l'âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l'horizon, à rêver d'une vie digne de sa vocation sinon la beauté? Chers artistes, vous savez bien que l'expérience du beau, du beau authentique, pas éphémère ni superficiel, n'est pas quelque chose d'accessoire ou de secondaire dans la recherche du sens et du bonheur, car cette expérience n'éloigne pas de la réalité, mais, au contraire, elle mène à une confrontation étroite avec le vécu quotidien, pour le libérer de l'obscurité et le transfigurer, pour le rendre lumineux, beau.

 

Une fonction essentielle de la véritable beauté, en effet, déjà évidente chez Platon, consiste à donner à l'homme une "secousse" salutaire, qui le fait sortir de lui-même, l'arrache à la résignation, au compromis avec le quotidien, le fait souffrir aussi, comme un dard qui blesse, mais précisément ainsi le "réveille", en lui ouvrant à nouveau les yeux du cœur et de l'esprit, en lui mettant des ailes, en le poussant vers le haut. L'expression de Dostoïevski que je vais citer est sans aucun doute hardie et paradoxale, mais elle invite à réfléchir : "L'humanité peut vivre – dit-il – sans la science, elle peut vivre sans pain, mais il n'y a que sans la beauté qu'elle ne pourrait plus vivre, car il n'y aurait plus rien à faire au monde. Tout le secret est là, toute l'histoire est là". Le peintre Georges Braque lui fait écho : "L'art est fait pour troubler, alors que la science rassure". La beauté frappe, mais précisément ainsi elle rappelle l'homme à son destin ultime, elle le remet en marche, elle le remplit à nouveau d'espérance, elle lui donne le courage de vivre jusqu'au bout le don unique de l'existence. La recherche de la beauté dont je parle ne consiste bien évidemment en aucune fuite dans l'irrationnel ou dans le pur esthétisme.

 

Mais trop souvent la beauté qui est publicisée est illusoire et mensongère, superficielle et éblouissante jusqu'à l'étourdissement et, au lieu de faire sortir les hommes d'eux-mêmes et de les ouvrir à des horizons de véritable liberté, en les attirant vers le haut, elle les emprisonne en eux-mêmes et les rend encore plus esclaves, privés d'espérance et de joie. Il s'agit d'une beauté séduisante mais hypocrite, qui réveille le désir, la volonté de pouvoir, de possession, de domination sur l'autre et qui se transforme, bien vite, en son contraire, assumant les visages de l'obscénité, de la transgression ou de la provocation pour elle-même. En revanche, la beauté authentique ouvre le cœur humain à la nostalgie, au désir profond de connaître, d'aimer, d'aller vers l'Autre, vers ce qui est Au-delà de soi. Si nous laissons la beauté nous toucher profondément, nous blesser, nous ouvrir les yeux, alors nous redécouvrons la joie de la vision, de la capacité de saisir le sens profond de notre existence, le Mystère dont nous faisons partie et auquel nous pouvons puiser la plénitude, le bonheur, la passion de l'engagement quotidien. Jean-Paul II, dans la Lettre aux Artistes, cite, à ce propos, ces vers d'un poète polonais, Cyprian Norwid : "La beauté est pour susciter l'enthousiasme dans le travail / le travail est pour renaître" (n. 3). Et plus avant il ajoute : "Parce qu'il est recherche de la beauté, fruit d'une imagination qui va au-delà du quotidien, l'art est, par nature, une sorte d'appel au Mystère. Même lorsqu'il scrute les plus obscures profondeurs de l'âme ou les plus bouleversants aspects du mal, l'artiste se fait en quelque sorte la voix de l'attente universelle d'une rédemption" (n. 10). Et dans sa conclusion, il affirme : "La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance" (n. 16).

 

Ces dernières expressions nous poussent à accomplir un pas en avant dans notre réflexion. La beauté, de celle qui se manifeste dans l'univers et dans la nature à celle qui s'exprime à travers les créations artistiques, précisément en raison de sa capacité caractéristique d'ouvrir et d'élargir les horizons de la conscience humaine, de la renvoyer au-delà d'elle-même, de se pencher sur l'abîme de l'Infini, peut devenir une voie vers le Transcendant, vers le Mystère ultime, vers Dieu. L'art, dans toutes ses expressions, au moment où il se confronte avec les grandes interrogations de l'existence, peut assumer une valeur religieuse et se transformer en un parcours de profonde réflexion intérieure et de spiritualité. Cette affinité, cette harmonie entre parcours de foi et itinéraire artistique est attestée par un nombre incalculable d'œuvres d'art qui mettent en scène les personnages, les histoires, les symboles de cet immense dépôt de "figures" – au sens large – qu'est la Bible, l'Ecriture Sainte. Les grands récits bibliques, les thèmes, les images, les paraboles ont inspiré d'innombrables chefs-d'œuvre dans tous les domaines des arts, de même qu'ils ont parlé au cœur de chaque génération de croyants à travers les œuvres de l'artisanat et de l'art local, tout aussi éloquentes et saisissantes.

 

On parle, à ce propos, d'une via pulchritudinis, une voie de la beauté qui constitue dans le même temps un parcours artistique, esthétique, et un itinéraire de foi, de recherche théologique. Le théologien Hans Urs von Balthasar ouvre sa grande œuvre, intitulée « Gloire. Une esthétique théologique », par ces lignes suggestives : "Notre parole initiale s'appelle beauté. La beauté est la dernière parole que l'intellect pensant peut oser prononcer, car celle-ci ne fait que couronner, comme une auréole de splendeur insaisissable, le double astre du vrai et du bien et leur relation indissoluble". Il observe ensuite : "Elle est la beauté désintéressée sans laquelle il était impossible de comprendre le vieux monde, mais qui a pris congé sur la pointe des pieds du monde moderne des intérêts, pour l'abandonner à sa cupidité et à sa tristesse. Elle est la beauté qui n'est plus aimée ni sauvegardée, pas même par la religion". Et il conclut:  "De celui qui, à son nom, plisse ses lèvres dans un sourire, la jugeant comme le bibelot exotique d'un passé bourgeois, de celui-ci, on peut être sûr que – secrètement ou ouvertement – il n'est plus capable de prier et, bientôt, plus capable d'aimer". La voie de la beauté nous conduit donc à saisir le Tout dans le fragment, l'infini dans le fini, Dieu dans l'histoire de l'humanité. Simone Weil écrivait à ce propos : "Dans tout ce qui suscite en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, il y a réellement la présence de Dieu. Il y a presque une incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est le signe. La beauté est la preuve expérimentale que l'incarnation est possible. C'est pourquoi chaque art de premier ordre est, par essence, religieux". L'affirmation de Hermann Hesse est encore plus incisive : "L'art signifie : montrer Dieu en chaque chose". En faisant écho aux paroles du Pape Paul VI, le serviteur de Dieu Jean-Paul II a réaffirmé le désir de l'Eglise de renouveler le dialogue et la collaboration avec les artistes : "Pour transmettre le message qui lui a été confié par le Christ, l'Eglise a besoin de l'art" (Lettre aux Artistes, n. 12) ; mais il demandait immédiatement après : "L'art a-t-il besoin de l'Eglise?", invitant ainsi les artistes à retrouver dans l'expérience religieuse, dans la révélation chrétienne et dans le "grand codex" qu'est la Bible une source d'inspiration renouvelée et motivée.

 

Chers artistes, m'approchant de la conclusion, je voudrais adresser moi aussi, comme le fit déjà mon prédécesseur, un appel cordial, amical et passionné. Vous êtes les gardiens de la beauté ; vous avez, grâce à votre talent, la possibilité de parler au cœur de l'humanité, de toucher la sensibilité individuelle et collective, de susciter des rêves et des espérances, d'élargir les horizons de la connaissance et de l'engagement humain. Soyez donc reconnaissants des dons reçus et pleinement conscients de la grande responsabilité de communiquer la beauté, de faire communiquer dans la beauté et à travers la beauté! Soyez vous aussi, à travers votre art, des annonciateurs et des témoins d'espérance pour l'humanité! Et n'ayez pas peur de vous confronter avec la source première et ultime de la beauté, de dialoguer avec les croyants, avec ceux qui, comme vous, se sentent en pèlerinage dans le monde et dans l'histoire, vers la Beauté infinie! La foi n'ôte rien à votre génie, à votre art, au contraire elle les exalte et les nourrit, elle les encourage à franchir le seuil et à contempler avec des yeux fascinés et émus le but ultime et définitif, le soleil sans crépuscule qui illumine et embellit le présent.

 

Saint Augustin, chantre amoureux de la beauté, en réfléchissant sur le destin ultime de l'homme et presque en commentant ante litteram la scène du Jugement que vous avez aujourd'hui devant les yeux, écrivait ainsi : "Nous jouirons donc d'une vision, ô frères, jamais contemplée par les yeux, jamais entendue par les oreilles, jamais imaginée par la fantaisie : une vision qui dépasse toutes les beautés terrestres, celle de l'or, de l'argent, des bois et des champs, de la mer et du ciel, du soleil et de la lune, des étoiles et des anges ; la raison est la suivante : celle-ci est la source de toute autre beauté" (In Ep. Jo. Tr. 4,5:  PL 35, 2008). Je souhaite à vous tous, chers artistes, d'emporter dans vos yeux, dans vos mains, dans votre cœur cette vision, pour qu'elle vous donne la joie et inspire toujours vos belles œuvres. Alors que je vous bénis de tout cœur, je vous salue, comme le fit déjà Paul VI, avec un seul mot : au revoir!

 

Je suis heureux de saluer tous les artistes présents. Chers amis, je vous encourage à découvrir et à exprimer toujours mieux, à travers la beauté de vos œuvres, le mystère de Dieu et le mystère de l'homme. Que Dieu vous bénisse!

 

 

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Publié par Matthieu BOUCART -
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