[Cet article est la suite de Péché mortel et péché véniel ]
Cher Miky,
Puisque les questions morales reviennent depuis quelques semaines sur le devant de la scène, en particulier sur ton Blog et celui du Pasteur Eric, je te propose aujourd’hui de reprendre ma série d’articles en réponse à ton texte sur l'absolu et le relatif, et de réfléchir avec toi et l’ensemble de nos lecteurs sur cette importante question : pourquoi, selon l’Eglise Catholique, la luxure est-elle considérée comme un péché grave ?
Tout d’abord, une importante précision d'ordre terminologique. La luxure, qui est un péché sexuel, ne désigne pas toute la sexualité humaine. Quand l’Eglise condamne le péché de luxure, elle ne condamne pas en bloc toute la sexualité, qui est un don de Dieu. Elle ne condamne pas davantage le plaisir sexuel : en créant l’homme, Dieu a inventé les zones érogènes, et associé le plus grand plaisir physique aux plus grands des biens : l’amour du conjoint et le don de la vie. Comme l’écrivait Bernanos dans son « Journal d’un Curé de campagne » : « Confondre la luxure (…) et le désir qui rapproche les sexes, autant donner le même nom à la tumeur et à l’organe qu’elle dévore. »
La luxure est très précisément, selon le Catéchisme de l’Eglise Catholique : « un désir désordonné ou une jouissance déréglée du plaisir vénérien. Le plaisir sexuel est moralement désordonné quand il est recherché pour lui-même, isolé des finalités de procréation et d’union » (§ 2351). Le Catéchisme donne plusieurs exemples : la masturbation, la fornication (l’union charnelle en dehors du mariage), la pornographie, la prostitution, le viol, et les pratiques homosexuelles (§ 2352 à 2359).
La luxure est donc l’expression d’un désir désordonné, d’une jouissance déréglée… qui se manifestent lorsque la sexualité se trouve détournée de son but pour devenir possession.
Quel est le but de la sexualité selon Dieu ? L’orgasme, le plaisir sexuel ? Non : le don. Le don d’une personne à une autre personne de l’autre sexe, et le don de la vie. Le plaisir sexuel nous est donné par Dieu comme un surcroît magnifique, un couronnement royal… mais il n’est pas une fin en soi. Il est un fruit bel et bon lorsqu’il est ordonnée à la communion des personnes et à l’ouverture à la vie qui lui donnent sens : voilà pourquoi il ne peut être légitimement accueilli que dans le cadre du mariage.
« Le feu si doux pour réchauffer peut tout ravager (…) » écrit le Père Daniel-Ange. « L’énergie sexuelle non maîtrisée peut entraîner la mort… le SIDA ! Tant il vrai que toute chose bonne détournée de sa fin se retourne contre l’homme (…). Là où l’écologie est négligée, faune et flore sont menacées… Mépriser une écologie du corps, une éducation élémentaire du cœur : la destruction s’en suit. »
Une tentation constante pour l’homme sera chercher à déconnecter le plaisir et l’acte dont il est le couronnement : tel est le péché de luxure. Comme l’écrivent Pascal Ide et Luc Adrian, la luxure « est un mensonge à fleur de peau, une possession qui se déguise en don. A chaque fois, c’est l’autre – et l’ouverture à la vie – qui est manqué ».
« Voilà pourquoi la luxure ne respecte pas la nature profonde de la sexualité : illusoire, elle ne peut à long terme que rendre triste ; centrée sur le seul orgasme, elle ne s’intéresse plus qu’à l’organe ; détournant la sexualité de sa finalité qui rime avec liberté, elle est un péché ».
La luxure consistant à détourner un don de Dieu de sa finalité, elle est une faute contre Dieu, une faute contre le prochain, et une faute contre soi-même.
1. La luxure est une faute contre Dieu : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu ? dit Saint Paul. Que vous ne vous appartenez pas ? (…) Glorifiez donc Dieu dans votre propre corps ». (1 Co 6. 19-20).
2. La luxure est une faute contre le prochain : l’objet du désir, c’est le corps de l’autre voulu pour la seule jouissance. Le concupiscent réduit l’autre à son corps, et celui-ci à ses parties désirables, érotiquement stimulantes. Il fait du corps de l’autre un objet de plaisir. La luxure déshumanise donc, parce qu’elle découpe la personne en tranches. Elle la parcellise, le plaisir sexuel se fixant sur une pulsion ou sur un objet partiel.
La luxure – pour une personne mariée – est aussi une injustice à l’égard de la famille : elle brûle de l’argent et un temps dus à autrui.
3. La luxure est une faute contre nous-mêmes : l’énergie sexuelle est l’une des plus unifiantes lorsqu’elle est tournée vers l’amour de l’autre et le don de la vie. Réduite à l’érotisme, elle fragmente le sujet en pulsions partielles, l’éclate, l’attriste, l’aveugle, l’aliène. « Ce vice capiteux est captieux. Il déchaîne, puis enchaîne, jusqu’au désespoir » (P. Ide & L. Adrian). Jean-Claude Guillebaud parlera de « tyrannie » du plaisir.
« Comme tout péché, l’impureté se présente à toi comme un ami : Me voici pour te servir, pour te donner du bonheur. Si tu lui ouvres la porte de temps à autre, il devient un invité occasionnel. Mais peu à peu, il s’installe dans ta maison. Il squatte. Impossible de le déloger. Le voilà comme chez lui. Il te dicte ses lubies (…). Chez toi, le voilà maître, si ce n’est despote ! » (Père Daniel Ange)
La luxure empoisonne ainsi la vie du luxurieux. Le péché d’adultère par exemple oblige le conjoint infidèle à des contorsions épuisantes et des mensonges savants. Ce que l’humoriste Pierre Dac exprimait à sa façon : « Une femme mariée à un homme qui la trompe avec la femme de son amant, laquelle trompe son mari avec le sien et qui en est réduite à tromper son amant avec celui de sa femme parce que son amant est son mari et que la femme de son époux est la maîtresse d’un homme déshonoré par l’amant d’une femme dont le mari trompe sa maîtresse avec la femme de son amant ne sait plus où elle en est ni ce qu’elle doit faire pour ne pas compliquer une situation qui l’est déjà suffisamment comme ça » !
La luxure provoque aussi la tristesse. Pas besoin d’observer à la dérobée les clients d’un distributeur de cassettes vidéo X ou de camper dans un sex-shop, pour constater que la luxure attriste plus qu’elle ne réjouit. « Chair aux fruits amers qui replie et dégoûte de soi »… (P. Ide & L. Adrian)
« L’impureté ne te laisse-t-elle pas un goût amer, - voire un dégoût -, un peu comme dans les « redescentes » post-drogue? Tu te sens humilié, pas fier, déçu de toi-même, parce que tombé en dessous de toi-même. Déçu, car à chaque chute, tu promets de ne plus recommencer, et secrètement, tu sais que tu vas rechuter. Déçu par un adversaire qui t’a trompé, qui t’a fait miroiter quelque chose de super. Et te voilà dupé ! Tu fuses, tu t’uses, tu fonces, tu t’enfonces. Brève ivresse, puis : bonjour la tristesse ! » (Père Daniel Ange)
Surtout, la luxure aliène la liberté. Un habitué des sites pornos peut passer des heures devant l’écran, y sacrifier des fortunes et se masturber plusieurs fois par jour. La recherche obsessionnelle du plaisir sexuel entraîne des dépendances ; or, une dépendance entraîne toujours une souffrance : on peut être addict du sexe comme on peut l’être de l’alcool ou de la nourriture. On parle à cet égard de porno-dépendance. De nombreux tueurs en série arrêtés ces dernières années étaient eux-mêmes des accrocs de cassettes vidéo porno.
« Le désir n’est plus désir, il est devenu besoin (…). Combien m’avouent être complètement sous la dépendance de leurs pulsions sexuelles, incapables de résister, de se dominer et de choisir : plus libres d’arrêter. Malgré des prodiges de bonne volonté, et de volonté tout court (…) L’impureté n’est pas le plus grave des péchés, mais en un sens le plus perturbateur, car nous atteignant en ce point névralgique où se nouent les relations entre l’âme, le cœur et le corps : au plus intime de nous-mêmes. J’y pèche contre moi-même.
« L’impureté vire si facilement à l’obsession ! On finit par ne plus pouvoir penser à autre chose (…) Ne va pas me dire que c’est sans retentissement dans la vie quotidienne (…). Rien comme des actes sexuels ne marque autant la mémoire au fer rouge (…). Là, tu touches du doigt à quel point la sexualité engage non seulement ton corps, mais ton être tout entier. En des profondeurs telles que rien ne peut venir l’en déraciner. » (Père Daniel Ange)
La première victime de la luxure, c’est donc le luxurieux lui-même. Le péché de luxure fait partie de ces péchés qui trouvent leur châtiment en cette vie. « La passion porte en elle-même le germe du châtiment », écrivait Châteaubriand. L’adultère par exemple se paye de craintes constantes (être vu, attraper le SIDA, attendre un enfant…) et d’une culpabilité parfois dévorante. Sur ce plan, l’Eglise n’a pas besoin de moraliser. Le monde, à plus ou mois long terme, s’en charge pour elle…
Le péché de luxure est donc loin d'être anodin : il perturbe notre équilibre, alourdit l’âme, fatigue le corps, énerve l’esprit, trouble le regard, provoque la discorde, fait perdre la paix… Voilà pourquoi il est un péché grave.
Sources :
Pascal Ide et Luc Adrian, « Les 7 péchés capitaux », Editions Mame-Edifa
Daniel-Ange, « Ton corps fait pour l'amour », collection Le Sarment Fayard