Cher Pasteur,
Vous avez indiqué au détour d'un commentaire que vous agréiez davantage les arguments d'un Comte-Sponville, philosophe athée, que ceux défendus sur ce Blog. Dont acte, c'est votre droit le plus strict.
J'aimerais cependant soumettre à votre méditation (ainsi qu'à celle de mes lecteurs) un passage tiré d'un petit ouvrage-débat co-écrit avec le Père Philippe Capelle : "Dieu existe-t-il encore?" où André Comte-Sponville essaie de répondre à cette grande question de la philosophie : "Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien?" Voici la réponse du philosophe :
"C'est la question de l'être, dans sa formulation leibnizienne : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?" La question va au-delà de Dieu, puisqu'elle l'inclut. Pourquoi Dieu plutôt que rien? Si l'on voulait pourtant rattacher cette question à notre débat, elle rejoindrait la "preuve cosmologique", ou preuve a contingentia mundi (par la contingence du monde), laquelle prétend expliquer l'existence de la totalité des choses contingentes (le monde) par une chose absolument nécessaire (Dieu).
"Pour résumer cette "preuve" à l'extrême, elle dit à peu près ceci : "Pourquoi le monde? Parce que Dieu!" Et c'est vrai que, constatant l'existence du monde, on ne peut guère éviter de penser à sa contingence, comme disent les philosophes, ce qui signifie que le monde aurait pu ne pas exister. Or, il existe... Il faut donc qu'il ait une cause (une "raison suffisante", dit Leibniz). Mais laquelle? Si cette cause était elle-même une chose contingente, il faudrait à son tour l'expliquer par une autre, qui devrait à son tour être expliquée par une troisième, et ainsi à l'infini, ce qui laisserait la série entière des choses contingentes - donc l'existence du monde - inexpliquée.
"Il faut donc, pour expliquer l'ensemble des choses contingentes (le monde) supposer un être absolument nécessaire, extérieur à cet ensemble : c'est cet être qu'on appelle Dieu.
"Il m'est arrivé de dire, et c'est vrai, que c'est la seule des trois "preuves" classiques qui me paraisse forte, la seule qui, parfois, me fasse vaciller. Pourquoi? Parce que la contingence est un abîme, où la raison se perd (...).
"Qu'il y ait quelque chose, nul n'en doute. La question est de savoir pourquoi il y a quelque chose. Or, à cette question, nul ne peut répondre : penser l'être comme nécessaire, ce n'est pas l'expliquer, c'est constater qu'il ne s'explique que par lui-même (il est "cause de soi", disent souvent les philosophes), ce qui le rend pour nous et à jamais inexplicable.
"Si bien que la question "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien" nous renvoie à ce que j'appelle le mystère de l'être, indissociable de son évidence. Il y a quelque chose, et non pas rien ; et personne, jamais, ne pourra dire pourquoi, puisqu'on ne pourrait expliquer l'existence de l'être que par un être, autrement dit qu'à la condition de présupposer d'abord ce qu'on veut expliquer (...).
"Pourquoi voulez-vous que ce mystère (ou sa clé transcendante) soit Dieu?"
De la longue réponse de Philippe CAPELLE, je retiens cette phrase lumineuse :
"Je vous retourne également une autre question : pourquoi et au nom de quoi l'énergie originaire de l'être que vous revendiquez, si je vous entends bien, devrait-elle être comprise comme impersonnelle, dépersonnalisée, c'est-à-dire en deçà même de l'énergie et de la structure des personnes que nous sommes?"
Evidemment, je vous recommande à tous la lecture de ce très agréable ouvrage, publié aux Editions du Cerf : "Dieu existe-t-il encore?"
