Cette semaine, un grand homme nous a quitté. Un prêtre de l’Eglise catholique. L’abbé Pierre. Un géant de l’amour fraternel, un géant de la charité. Un homme auquel on voudrait ressembler. Ne serait-ce qu’un tout petit peu…
J’ai été personnellement profondément ému par toutes les manifestations d’amour que son départ pour le ciel a provoquées chez beaucoup de gens. Des gens si différents pourtant : croyants de toutes religions et athées, riches et pauvres, jeunes et vieux,… Même notre République laïque s’est humblement inclinée devant cet homme de Dieu. C’est dire la puissance de l’Amour…
La messe de funérailles de l’abbé Pierre a fait remonter dans mon cœur le souvenir d’une autre messe de funérailles, célébrée celle-ci il y a un peu moins de deux ans. Celle de notre bien aimé Jean-Paul II. Ici comme là, on a retrouvé la même ferveur populaire, le même hommage unanime rendu par une foule innombrable « de toutes langues, races et nations », faisant taire ainsi l’espace d’un instant les divisions et les clivages qui déchirent d’ordinaire notre humanité. Comme une manifestation de la « bonne odeur du Christ »… Comme une anticipation aussi de ce qui se produira à la fin des temps (telle est en tout cas notre espérance !), lorsque l’humanité comprendra enfin de quel amour elle est aimée, et de quelle manière cet amour s’est manifesté à elle dans la vie de tous les saints, de Jean-Paul II comme de l’abbé Pierre. Ainsi que Gérard Leclerc l’écrit au sujet de ce dernier dans le journal France Catholique : « Il suffisait de le voir célébrer sa messe pour comprendre où était le secret de son cœur et la source de sa charité, brûlante comme la justice et compatissante comme la grâce. »
Bien sûr, je fais partie de ceux qui ont été profondément blessés par certaines paroles ou prises de position de l’abbé. Mais je crois que l’heure est au pardon (« il lui sera beaucoup pardonné parce qu’il a beaucoup aimé ») et à la reconnaissance. Reconnaissance envers son œuvre. Enorme. Gigantesque. Au-delà de ce qui était sans doute humainement concevable et possible. Reconnaissance aussi – et surtout ! – envers Dieu, pour la puissance qu’il a bien voulue manifester au monde, dans la pauvreté de cet homme.
Au fond, l’abbé Pierre a été pauvre jusque dans sa doctrine. Il n’avait rien pour plaire : « Il n'était ni beau ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n'avait rien pour nous plaire » écrit le prophète Isaïe au sujet du Serviteur. « Devant Dieu, le serviteur a poussé comme une plante chétive, enracinée dans une terre aride. » Et nous trouvons dans ce même passage d'Isaïe ces paroles prophétiques que nous pouvons méditer en resongeant particulièrement aux évènements de la semaine passée : « Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s'élèvera, il sera exalté ! Et voici qu'il consacrera une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce qu'on ne leur avait jamais dit, ils découvriront ce dont ils n'avaient jamais entendu parler. Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? A qui la puissance du Seigneur a-t-elle été ainsi révélée ? » (cf. Isaïe, chapitres 52 et 53)
L’abbé Pierre ne sera sans doute jamais canonisé. Et à juste titre. Mais je le tiens pour un saint. La sainteté, me semble-t-il, n’implique pas nécessairement l’infaillibilité, ainsi que nous le voyons dans l’Evangile au sujet de la Mère de Dieu elle-même qui, toute immaculée qu’elle soit, a dû cheminer dans l’obscurité de la foi, et consentir à ne pas tout comprendre du dessein de Dieu, gardant et méditant dans son cœur tous les mystères de la vie de Jésus. L’Eglise elle-même n’est assurée du charisme de l’infaillibilité que dans les seuls domaines de la foi et de la morale. Elle n’est pas préservée pour le reste, et l’Histoire témoigne contre elle de beaucoup d’égarements pour lesquels le Pape Jean-Paul II lui-même avait imploré, on s’en souvient, la miséricorde divine, cette même miséricorde à laquelle le Pape Benoît XVI a confié l’abbé Pierre.
Dernière remarque enfin : ce n’est pas la première fois que j’observe une étonnante corrélation entre les textes bibliques que l’Eglise nous donne à méditer au cours des messes du dimanche, et les évènements du monde. Je suis ainsi particulièrement touché par ce texte que nous lirons demain, dans la 1ère épître aux Corinthiens (chapitres 12 et 13), texte que nous connaissons certes bien, mais qui prend un relief particulier avec le départ de l’abbé Pierre, comme une ultime Parole donnée par le Seigneur pour nous encourager à suivre son admirable exemple et à nous engager résolument, à notre tour, sur le chemin du don total de nous-même et de l’amour :
« Frères, parmi les dons de Dieu, vous cherchez à obtenir ce qu'il y a de meilleur. Eh bien, je vais vous indiquer une voie supérieure à toutes les autres.
« J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante.
« J'aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, s'il me manque l'amour, je ne suis rien.
« J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien.
« L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.
« L'amour ne passera jamais. »
Revoir l'hommage rendu à l'abbé Pierre sur la chaine de TV KTO, et la messe de funérailles