17 décembre 2006 7 17 /12 /décembre /2006 12:14

Un ouvrage collectif, paru au début de l'année, invitait l'Église à remettre radicalement en question la morale sexuelle enseignée par elle, notamment en matière de contraception. La Commission doctrinale [de la Conférence des évêques de France] a jugé opportun de rédiger une note critique sur cet ouvrage expliquant pourquoi cette révision n'était ni possible, ni souhaitable, même si des évolutions restent toujours envisageables. Cette note est technique ; elle n'aborde pas les aspects pastoraux de la question qui demeurent évidemment de première importance.

 

Mgr Jean-Louis BRUGUÈS,

Président de la Commission doctrinale

 

     

La thèse des auteurs prétend s'appuyer en fait sur deux arguments majeurs

    

 

a. Premier argument

 

L'enseignement de l'Église sur la contraception manquerait de fondement scripturaire : « On cherche en vain dans l'Évangile une allusion à la fécondité » (p. 24). On chercherait également en vain dans l'Évangile une allusion à l'arme nucléaire, qui a pourtant fait l'objet d'une réflexion importante du Magistère depuis les années soixante. Cet argument tient de ce que le Père Cottier appelle « une sorte d'argumentation fondamentaliste inversée ». En effet, dans un premier temps, on exige que l'Écriture parle avec une littéralité toute matérielle d'un sujet. Dans un deuxième temps, l'absence d'une telle littéralité sert de justification pour affirmer qu'une doctrine est sans base scripturaire. Le théologien suisse ajoute : « Étrange façon de se référer à la richesse et à la fécondité de la Parole de Dieu et qui, de plus, fait totalement fi de l'expérience chrétienne et de la réflexion de l'Église garantie par l'assistance de l'Esprit Saint ».

 

L'usage de l'épisode d'Onan qui occupe plus de trois pages (p. 27-29) ferait assez bien la preuve du défaut général de méthode théologique en ce livre : puisqu'on imagine que la Tradition trouvait en lui l'argument biblique décisif contre la contraception, on le retourne maintenant en argument favorable, ayant cru démontrer l'absence dans le récit de cet interdit circonscrit.

 

Lorsque nous lisons « qu'il n'y a pas de fondement biblique mais uniquement une tradition ecclésiale » sur la condamnation de la contraception (p. 94), nous supposons que les auteurs n'ont pas intégré l'enseignement de la Constitution conciliaire Dei Verbum, déclarant que la Tradition et l'Écriture « jaillissant d'une source divine identique, ne forment pour ainsi dire qu'un tout et tendent à une même fin ». Le texte précise que « l'Église ne tire pas de la seule Écriture Sainte sa certitude sur tous les points de la Révélation ».

 

Enfin, les auteurs ne mentionnent aucunement les catéchèses de Jean-Paul II sur l'amour humain, où le Pape replaçait l'enseignement d'Humanae vitae dans l'anthropologie et l'ethos bibliques. De même, ils n'ont pas réalisé que les réflexions de Donum vitae sur les fécondations artificielles venaient compléter les arbitrages d'Humanae vitae sur la contraception, à partir de la même logique de continuité entre union et procréation, et du droit de l'enfant à être fruit et expression du « don de soi réciproque » des parents.

 

 

b. Deuxième argument

 

L'enseignement de l'Église sur la contraception, lequel repose sur « la soumission à la nature et à ses lois », serait contradictoire : en effet, il condamne, d'une part, l'onanisme qui est pourtant « naturel » et, d'autre part, il prône des méthodes « naturelles » pourtant dépendantes de matériels plus ou moins sophistiqués. Celles-ci d'ailleurs ne cherchent pas une autre finalité que celle visée par l'utilisation de contraceptifs mécaniques ou chimiques : l'union sexuelle sans transmission de la vie (p. 28-29).

 

Nos auteurs donnent deux définitions de la « loi naturelle » à laquelle se réfère l'Église ; mais toutes deux sont inadéquates. Il ne s'agit ni d'une « inscription morale spontanée au cœur de tout homme », ni d'une « soumission à la nature et à ses lois » (p. 26). La doctrine thomiste sur la loi naturelle ne se réfère pas à un ordre naturel (ordo naturalis), mais à un ordre rationnel (ordo rationalis). Ce n'est pas la nature qui dicte sa loi à la raison, ni même les inclinations naturelles de l'homme comme l'inclination à l'union sexuelle ; c'est la raison du sujet qui constitue un ordre moral à partir de l'expérience intérieure de sa nature personnelle, réfléchie elle-même à travers ses multiples inclinations.

 

Ainsi, en matière de sexualité conjugale, la raison peut percevoir que tout ce qui favorise le don de soi et la fécondité est bon dans la mesure où ces deux dimensions se situent dans l'ordre de l'amour. En revanche, ce qui contredit volontairement le don total et réciproque des époux en s'opposant à la fécondité, blesse l'amour et ne peut donc être véritablement bon. Il ne saurait être compris comme bon par la raison.

 

Le « retrait » a beau ne pas faire appel à des artifices, il ne correspond pas pour autant à la nature de l'amour humain qui appelle un don total de soi, corporel et spirituel. L'apologie du coitus interruptus proposée à plusieurs reprises dans ce livre peut surprendre : cette méthode, largement pratiquée par la bourgeoisie française dès la Renaissance, institue le type même de l'acte amputé de sa fin, une fausse donation des époux. On comprend pourquoi elle ait semblé peu saine. Inversement, l'utilisation de « matériels » n'infirme pas la bonté des méthodes « naturelles » : elles sont bonnes en tant qu'elles intègrent les données de la physiologie masculine et féminine pour une planification familiale soucieuse de ne jamais entraver dans l'étreinte conjugale le don des personnes, ni d'exclure le don d'une nouvelle vie lorsqu'elle est possible. C'est là leur distinction essentielle d'avec les diverses méthodes contraceptives.

 

Par leur éloge du retrait et de la licéité de la contraception, C. Grémion et H. Touzard se situeraient plutôt du côté du modèle-type de la sexualité individualiste, considéré comme masturbatoire par de nombreux psychanalystes « en ce qu'il n'appelle l'autre corps qu'à la manière mécanique de frottement et de projection affective ». À l'opposé, la planification familiale naturelle fonde la relation sexuelle conjugale sur une « sexualité parlée », authentiquement humaine. De ce point de vue, il n'est pas juste de soutenir que la planification serait une méthode contraceptive qui se dissimule : l'Église ne préconise aucune méthode, car la meilleure méthode est celle qui n'existe pas a priori, celle par où la sexualité humaine pourrait s'exprimer au mieux entre ces deux époux, sans restriction, sans peur ni tremblement, dans l'engagement réciproque de leur mariage et la plénitude concrète de leur grâce. Utiliser les méthodes dites naturelles comme une méthode pour ne pas avoir d'enfants, relèverait, en effet, d'une mentalité bien proche de celle qui inspire la contraception.

 

À côté de ces deux arguments majeurs, nos auteurs invoquent la nécessité de prendre en compte « les possibilités de transmission du sida pour les personnes à risque » qui entraîne, selon eux, la nécessité de permettre l'usage du préservatif (p. 131). C'est entrer dans une autre problématique : le discours de l'Église sur la contraception – par exemple l'allusion au safer sex dans la Lettre aux familles de Jean-Paul II (d) – présuppose un engagement matrimonial fidèle. Les relations sexuelles pré-matrimoniales, avec des partenaires multiples, ou homosexuelles, posent des problèmes moraux en elles-mêmes qui dépassent la question de l'usage ou non d'un préservatif. La question difficile des couples dont l'un des membres est séropositif mérite d'être traitée à part.

 

Enfin, les auteurs dépassent la mesure lorsqu'ils se livrent à un véritable plaidoyer pour autoriser des méthodes contraceptives anti-nidatoires. Comment peuvent-ils accuser l'Église de classer les techniques anti-nidatoires comme abortives « à partir d'affirmations techniques hasardeuses », quand eux-mêmes usent d'expressions contraires aux données de la science, comme de dire que le stérilet « empêche la survie de cellules fécondables » – il s'agit en fait d'embryons – ou d'insinuer que la réalité d'une grossesse n'est à prendre en compte qu'une fois détectée par des tests (p. 153) ? La réalité est que dès la fécondation, l'on se trouve en présence d'un être humain au développement continu, graduel et coordonné : toute tentative de situer l'apparition de l'embryon au-delà de la fécondation est scientifiquement hasardeuse.

 

Ajoutons que le raisonnement tenu au chapitre 12, qui regarde la contraception comme une pratique de prévention contre l'avortement, est démenti par la réalité toute sociologique des faits : la France, pays qui consomme le plus de produits contraceptifs, compte néanmoins le nombre le plus élevé des avortements provoqués.

 

Loin d'apporter une réponse audacieuse au problème douloureux de la distorsion entre l'enseignement de l'Église et la pratique supposée ou avérée des couples catholiques sur ce point, l'ouvrage de Catherine Grémion et Hubert Touzard contribue, malgré l'intention de ses auteurs, à éloigner les fidèles de la Bonne Nouvelle sur le sens et la beauté de la sexualité conjugale. Leur proposition d'en revenir au texte de la majorité de la Commission pontificale instituée par Paul VI avant Humanae vitae, sous prétexte que celle-ci avait proposé une véritable anthropologie du mariage (cf. p. 149), est peu recevable : elle fait fi de toute l'anthropologie du mariage développée par le Magistère de l'Église depuis le Concile. Le principal mérite de cet ouvrage sera peut-être de montrer l'urgence d'un enseignement adéquat sur la théologie du corps et d'un accueil plus favorable aux promoteurs des méthodes naturelles dans l'Église de France.

 

 

Mgr Jean-Louis BRUGUÈS,

évêque d'Angers,

Président

cardinal Philippe BARBARIN,

archevêque de Lyon

Mgr Pierre-Marie CARRÉ,

archevêque d'Albi

Mgr Jean-Paul JAMES,

évêque de Beauvais

Mgr Roland MINNERATH,

archevêque de Dijon

Mgr Albert-Marie DE MONLÉON,

évêque de Meaux

 

  

Source : La Documentation Catholique n° 2369 du 03/12/2006. Rubrique L'Église en France, paru en pages 1087 et suivants.

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Publié par Matthieu BOUCART -
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commentaires

H
  Bonjour Matthieu !  J'espère que tu as passé une bonne fête de la Nativité.
Je trouve que le 1er argument de cet article pourrait être réutilisé pour répondre à certaines objections de nos frères protestants et agnostiques (ce n'est pas parce qu'un dogme catho n'est pas écrit dans la Bible qu'il n'est pas valable..) C'est une bonne formule que ce "fondamentalisme inversé", pour refuser tout ce qui ne vient pas de l'Ecriture seule.
Cela dit, est-ce que les évêques avaient besoin de se répéter à l'occasion de la sortie d'un enième bouquin sur ce sujet polémique ? Je pense qu'un renvoi au catéchisme de l'église catholique aurait été suffisant, car depuis toujours il y a eu des personnes pour critiquer l'Eglise et ils continueront..
       fraternellement,
            Hervé
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M
Le document intégral (en format PDF) :
http://www.cef.fr/catho/actus/archives/2006/20061030eglise_contraception.pdf
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