Récemment, au détour d’une aimable conversation avec quelques convives autour d’une bonne table au restaurant, deux sujets « brûlants » ont été abordés : celui de la montée du racisme en France, et celui de l’homosexualité.
Je m’étonne pour ma part que ces questions reviennent si souvent dans les discussions : que ce soit en famille, entre amis, ou dans le cadre professionnel, il est toujours un moment où une bonne âme croira utile et opportun d’aborder l’un ou l’autre de ces sujets. C’est fou quand même ce que les médias peuvent exercer d’influence sur les esprits, au point que ceux-ci n’ont même pas conscience de ressasser les éternels poncifs à la mode dans le « microcosme » parisien si déconnecté du réel. Mais passons.
Au sujet du racisme, l’ensemble des participants à ce déjeuner déplorait la montée inexorable de la haine et de la xénophobie dans notre beau pays. En témoignent, disaient-ils, les sondages favorables au Front National, et le positionnement politique d’un Philippe de Villiers ou d’un Nicolas Sarkozy. Selon eux, la présence inattendue de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 a indiscutablement marqué un tournant dans la vie politique française. Et d’aucuns le verraient à nouveau présent au second tour… de la présidentielle de 2007 !
L’un des hôtes s’enhardit alors à constater que le racisme n’est pas une spécificité française, mais une constante que l’on retrouve à des degrés divers dans tous les peuples, voire en chacun de nous. Ce sur quoi, un autre lui répliqua : « Oui, c’est vrai, je suis peut-être un peu raciste, mais moi au moins, je me soigne ! ». Et d’affirmer que ces relents de racisme en nous doivent être combattus, et ne peuvent en aucun cas servir d’excuse ou d’alibi à la montée de la haine raciale en France.
La conclusion de cette conversation fut donc unanime : les peuples doivent apprendre à s’ouvrir aux autres et à vivre ensemble. Notre responsabilité de citoyen est d’œuvrer en ce sens, par tous les moyens à notre disposition.
Deuxième sujet de conversation : l’homosexualité. Là encore, les convives partaient d’un simple constat : celui de l’Evolution Des Mœurs (je mets volontiers l’expression avec des majuscules, en raison de la très grande déférence qu’il convient d’avoir envers ce phénomène d’essence quasi-divine, devant lequel chacun est instamment invité à plier le genou - ou à courber l’échine…).
Eh oui, ma pov’dame ! Les mœurs évoluent. C’est un fait, on n’y peut rien. Il faut bien en tenir compte, et adapter la législation en fonction de cette donnée incoercible, comme cela fut le cas pour le divorce et l’avortement. Les homosexuels sont des êtres humains à part entière, ils ont le droit de vivre et d’être reconnus, le droit de se marier et d’avoir des enfants (sic). Rien, absolument rien ne justifie l’ostracisme dont ils sont encore l’objet aujourd’hui. Les principes de tolérance et d’Egalité républicaine exigent ainsi une intervention rapide des pouvoirs publics pour mettre un terme à l’injustice.
Telle fut à peu près la teneur des propos tenus ce jour-là autour de la table de restaurant.
Vint alors l’heure de nous séparer.
Je rentrai chez moi, pensif, re-songeant aux propos échangés.
Et voilà que je pris soudainement conscience de l’incohérence des positions exprimées sur chacun des deux sujets évoqués.
Je trouvai pour le moins étonnant que l’on puisse parvenir à des conclusions aussi radicalement opposées au moyen de raisonnements symétriquement contradictoires, en les défendant toutes deux ensemble avec le même aplomb et la même conviction, sans que personne n’en perçoive a priori la contradiction interne, pourtant manifeste à y bien regarder d’un peu plus près.
Ainsi, il serait essentiel, selon mes convives, que la législation française s’adaptât à l’Evolution Des Mœurs. Ceux-ci évoluant, semble-t-il, vers davantage d’homosexualité, la législation devrait en tenir le plus grand compte. Mais, me demandais-je : que faire si les Mœurs évoluent pareillement vers plus de racisme ? Convient-il de légiférer de manière à légaliser et faciliter le mépris et la haine ? A entendre mes amis convives, pas du tout ! Il faut lutter contre le racisme et la xénophobie, et réprimer sévèrement ceux qui l’attisent et le provoquent ! Mais alors pourquoi favoriser le premier phénomène, en invoquant l’Evolution des Mœurs, et combattre le second, en invoquant la morale (fût-elle républicaine…) ? A y bien réfléchir, l’argument de l’Evolution Des Mœurs ne me paraissait absolument plus pertinent…
La seconde réflexion que je me fis fut la suivante : selon mes convives, les peuples doivent faire l’effort de s’ouvrir aux autres, et d’accueillir la différence. Et chacun personnellement devrait faire ce qu’il peut pour lutter contre le racisme, considéré comme un repli frileux sur soi. Mais au sujet de l’homosexualité, personne ne songera à demander à nos amis homosexuels de faire quelque effort pour s’ouvrir à l’autre, et accueillir ainsi la différence sexuelle. Personne n’osera jamais assimiler l’homosexualité à un repli frileux sur soi… Et personne n’estimera non plus de sa responsabilité de citoyen de faire tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre l’homosexualité.
En réalité, j’ai comme le sentiment que ce qui gouverne la pensée de beaucoup de nos contemporains relève davantage d’influences idéologiques plus ou moins consciemment assumées, que de l’exercice de la raison et du souci sincère de la défense du bien commun.