1 octobre 2006 7 01 /10 /octobre /2006 19:37

Cher Pasteur,

Tout d’abord, c’est un réel plaisir pour moi que de débattre avec vous.

Votre dernière missive m’inspire de nombreuses réflexions. Les voici :

1°) « Tout d’abord, écrivez-vous, une mise au point : le titre de l’article qui vous a fait réagir était Benoît XVI accablé par ses défenseurs, ce qui je crois est assez explicite, c’est plus les réactions de défenses du pape par des catholiques et des athées qui eux affirmaient de façon tout aussi explicite que Manuel II Paléologue que l’Islam était une religion intrinsèquement violente. C’est cette réaction qui me permettait de dire que Benoît XVI avait par ses propos incité à la haine de l’autre et donc s’était montré anti-évangélique. » : Mais croyez-vous, cher Pasteur, qu’il soit absolument pertinent d’apprécier la justesse et la validité d’une parole au regard seulement des extrapolations qu’ont pu en faire certains esprits plus ou moins bien intentionnés ? Que ces extrapolations soient fondées ou non, elles ne constituent pas l’expression de la pensée du Pape, et il ne me paraît pas légitime d’assimiler les deux points de vue.

Êtes-vous d'ailleurs si sûr que ce soient les propos du Pape qui aient été la cause directe des réactions « anti-musulmanes » observées au lendemain du discours de Ratisbonne ? Vous écrivez  que « Benoît XVI s’est à présent désolidarisé de sa citation (ce qu’il n’avait pas fait lors de son discours). ». Mais relisez attentivement le texte du discours : vous serez bien obligé de constater que le Pape se démarque nettement de la citation de l’Empereur Byzantin, et n’entretient aucune équivoque quant à sa propre pensée, ainsi que l'a déjà fort bien relevé Mickaël sur son Blog.

Un article de votre part sur la redoutable capacité des médias à lancer de fausses informations et à provoquer ainsi des tensions « sur commande » et des remous à l’échelle planétaire m’aurait paru relever d’une analyse plus fine et plus juste de la situation. Le vrai scandale n’est pas le discours du Pape, mais la manipulation médiatique éhontée qui a voulu faire dire au Saint Père l’exact contraire de ce qu’il a dit et de ce qu’il pense, au risque de mettre le monde à feu et à sang...

2°) « l’explication que vous donnez de l’événement ne me paraît pas convaincante du tout. Si Benoît XVI voulait, par une citation provocante, interpeller l’Islam, il aurait mieux valu le faire dans un discours ou une déclaration adressé directement aux musulmans plutôt que par une citation lancée au détour d’un discours sur la raison qui n’a rien à voir avec la question » : vous auriez dû être Pape, cher Pasteur ! Pour ma part, je trouve plutôt intelligent qu’un tel sujet ait été abordé devant un public averti, au cours d’une « conférence du style de celle de Ratisbonne, destinée à des universitaires capables de suivre une pensée particulièrement riche, et dont le développement exigeait une démonstration historique complexe » (Gérard Leclerc, dans la revue France Catholique du 22 septembre 2006).

Vous dites que le Pape a lancé au détour d’un discours sur la raison une citation provocante qui n’avait rien à voir avec la question : mais, outre que la suite de la citation manifeste bien le lien avec le sujet, « cette manière de procéder, qui consiste à remonter à un texte ancien pour arriver à son sujet, fait partie du formalisme habituel des exposés universitaires. » (Guillaume de Lacoste de Lareymondie, sur Libertépolitique.com).

Maintenant, je suis bien d'accord avec vous pour dire que cette citation avait de grandes chances de ne pas être immédiatement bien accueillies par le monde musulman. Comme l'écrit le Père Matthieu Villemot dans l'édition du 28 septembre 2006 de Paris Notre Dame : « Supposons qu'un leader musulman, dans une université coranique, cite un texte de l'empereur Julien, persécuteur des chrétiens "grands ennemis de la cité et de la paix". Aurais-je le réflexe de vérifier le contexte de la phrase, de me demander pourquoi cet imam cite un texte aussi marginal? Honnêtement, je crois que je commencerais par m'énerver. A notre époque, s'énerver est le premier réflexe. Nous nous sentons tous, tout le temps, attaqués. Souvenons-nous des polémiques entre catholiques autour du film de Mel Gibson, selon qu'on était "pour" ou "contre". Et ce n'était qu'un film! Le Pape, homme timide qui exècre la polémique, a sans doute sous-estimé ce réflexe contemporain. Mais est-ce lui qui a eu tort ou nous tous, chrétiens inclus, qui devons réapprendre à nous écouter avant de nous condamner. »

3°) Votre deuxième partie sur le dialogue interreligieux est très intéressante. Nous partageons sur ce point, je crois, les mêmes convictions. Si je fais l’amalgame comme vous dites entre dialogue interreligieux et évangélisation, c’est précisément parce que j’entends le mot évangélisation dans la même acception que vous. La mission du chrétien est d’annoncer l’évangile, nullement de l’imposer : cela serait contraire à la dignité de l’homme, et en outre totalement contre-productif. Je ratifie donc pleinement cette parole : « on ne se lance pas dans un dialogue respectueux de l’autre en ayant pour but de lui démontrer notre supériorité et de l’obliger à admettre notre point de vue. »

Le dialogue interreligieux est le lieu privilégié de la Nouvelle Evangélisation, en ce sens qu’il nous permet de dire aux autres religions quelle est notre foi. L’ouverture en direction des autres traditions religieuses n’implique donc aucun relativisme, ni aucune « trahison » de l’Evangile, ainsi que vous le reconnaissez vous-même : « cela n’implique absolument pas de renoncer à nos convictions propres. »

Mais vous avez raison de souligner en même temps que le dialogue interreligieux n’a de sens que s’il est dia-logue, c’est-à-dire échange réciproque, et je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que « Le dialogue inter-religieux (ou avec les athées) ne peut se faire que si chaque partie est volontaire de recevoir de l’autre et de s’enrichir de conviction qui ne sont pas les siennes. »

Comme le disait St Thomas d'Aquin : « Tout homme qui dit la vérité est inspiré de l'Esprit Saint ». Cela est donc vrai aussi d'un athée, d'un musulman, ou d'un bouddhiste. Nous avons dès lors tous à apprendre les uns des autres.

Comme le dit encore le Concile Vatican II : "L'Eglise ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les autres religions". La vérité elle-même nous incite donc à l'écoute, à l'accueil, et à la rencontre. Et comment pourrait-il en être autrement, puisque Dieu est amour... (cf. mon commentaire sur le site d'Albert Dugas).

Pour conclure sur ce point, je voudrais vous partager une très belle réflexion de Mgr Michael Fitzgerald, ancien président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, tirée d’une conférence donnée le 20 mars dernier à l’Université jésuite John Caroll de Cleveland (Etats-Unis), et publiée dans la dernière livraison de la Documentation Catholique en date du 1er octobre 2006 :

« Je voudrais mettre en relief ce que je considère moi-même comme la plus grande source d’espoir pour le dialogue interreligieux et pour ce que ce dialogue interreligieux peut apporter au monde. Je veux parler ici de l’esprit d’ouverture de jeunes étudiants. Il y a quelque 15 ans, le Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux mettait sur pied une modeste fondation, la Fondation Nostra Aetate, dans le but de pouvoir attribuer des bourses d’études à des étudiants provenant d’autres religions et désirant étudier le christianisme à Rome. Depuis lors, environ cinquante étudiants ont bénéficié de l’offre. Les résultats m’ont impressionné.

« Ces étudiants non seulement ont suivi des cours donnés par des professeurs catholiques dans des universités catholiques, fait de la recherche sur des sujets de théologie chrétienne et écrit des mémoires et thèses sur leur sujet. Ils ont aussi été enrichis par le contact avec leurs collègues d’études provenant de divers pays. Ils ont pu rencontrer des chrétiens convaincus et discuter avec eux ouvertement, chose qu’ils n’auraient souvent pas pu faire dans leur propre pays. Ils ont eu l’occasion d’assister à des cérémonies religieuses et de voir par eux-mêmes comment prient les catholiques et comment ils célèbrent leur culte. Pour autant que je le sache, aucun d’entre eux n’est devenu chrétien, mais je dirais que tous ont été changés d’une façon ou d’une autre. Ce sont là des hommes qui, une fois retournés dans leur pays, pourront présenter le christianisme de façon plus objective. Et cela, à mes yeux, est ce par quoi le dialogue interreligieux suscite un réel espoir pour l’avenir ».

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Publié par Matthieu BOUCART -
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commentaires

E
Bien, je crois que sur ce point précis de la question chacun d'entre nous a dit à peu près tout ce qu'il avait à dire. Dans la mesure ou pour parler de la relation foi-raison, après sa citation provocatrice, Benoît XVI ne cite ni Averoes, ni Avicene (tous les deux grands défenseurs d'un Islam rationel) mais plutôt un de leur contradicteur minoritaire au sein de l'Islam, je continue à trouver que la démarcation du pape vis à vis de sa citation est loin d'apparaître si nettement dans le discours (tout au plus se démarque-t-il de la formulation et non du fond de l'accusation... Mais je doute fort que nous tombions jamais d'accord sur ce point.En revanche je me réjouis de ce que nous nous retrouvions pleinement quant au dialogue interreligieux.
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D
À propos du discours du pape, le blog Jonas Ninive disait qu'on aurait soumis un ancien discours du temps qu'il était professeur et ce blog nous donne la version du vrai discours. Il y a une montée du fanatisme religieux en Amérique, cela est inquiétant. Voir mon blog à ce sujet. Merci!
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