[Le présent article est une nouvelle contribution au passionnant débat engagé sur ce Blog au sujet de la délicate question de la virginité perpétuelle de Marie, et constitue la suite de l'article consacré aux "frères et soeurs" de Jésus, ainsi qu'à ma réponse au Commentaire n° 14 du Pasteur Eric Georges].
Pourquoi les Evangélistes n’ont-ils pas été plus explicites au sujet de la virginité perpétuelle de la Vierge Marie ? Je me permets de vous livrer ici, cher Pasteur, le fruit de ma réflexion à ce sujet.
1°) Tout d’abord parce que les Evangiles ont été écrits pour faire connaître au monde le nom de Jésus, « en dehors duquel il n’y a pas de salut » (Actes 4. 12). La Bonne Nouvelle du Salut, ce n’est pas d’abord un message ou un évènement, ce ne sont pas des prodiges ou des miracles éclatants, c’est d’abord une personne vivante, c’est Jésus-Christ lui-même ! C’est Lui et Lui seul qui est l’objet de la prédication évangélique, car c’est Lui et Lui seul qui est notre Salut. C’est en Lui que nous trouvons la vie, c’est par Lui que nous allons au Père, et c’est de Lui que vient tout don parfait, y compris celui de la virginité perpétuelle de Marie ! A ce dernier titre, ainsi que l’écrivait Roger Bichelberger : « c'est la foi au Christ et elle seule qui fonde (…) notre vénération pour [la Mère de Dieu]. »
Les miracles, les signes et les prodiges, dont celui de la virginité perpétuelle de Marie, ne sont donc jamais premiers dans la prédication évangélique. Ceux-là ne valent d’ailleurs qu’en tant qu’ils signifient la présence du Ressuscité au milieu de nous, et manifestent sa puissance salvifique. Beaucoup ne sont sans doute pas relatés, selon l’aveu même de Saint Jean : « Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait rapporter chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait ainsi. » (Jn 21. 25)
2°) Comme vous le dites si bien : les Evangiles « ne se veulent pas des récits biographiques (…). En revanche, ils relatent ce qui sort de l’ordinaire. »
La vie continente de Marie après la naissance de Jésus sortait-elle vraiment de l’ordinaire ?
Sans doute moins que le mystère même de la conception et de la naissance virginales de Jésus, sur lequel les Evangélistes insistent tant : le grand mystère de l’Incarnation, la venue de Dieu dans notre condition humaine !
Rappelons en outre qu’à l’époque de Jésus, la virginité consacrée n’était pas totalement inconnue. Nombreux étaient en effet ceux et celles qui – tout en vivant chez eux – embrassait cet état de vie, à l’intérieur d’un mouvement lié au « monachisme » de Qumran (les Esséniens).
La virginité vécue dans le cadre des fiançailles constituait, il est vrai, une nouveauté radicale et... « détonante » dans le judaïsme contemporain. Mais était-elle finalement si… étonnante pour les Evangélistes, au regard de la Radicale Nouveauté manifestée en Jésus-Christ, dont ils ont eue eux-mêmes à témoigner dans leurs écrits ?
Même à supposer que cette virginité perpétuelle de Marie ait pu leur paraître chose extraordinaire, dans le nombre si considérable de faits merveilleux ayant parsemé la vie du Fils de Dieu en notre monde, celui-là n’était peut-être pas le plus éclatant…
En tout cas, plus grand-chose ne devait les étonner au sujet du Christ et de tout ce qui le concernait de près ou de loin, et surtout pas la vie chaste et pure de sa mère à laquelle ils étaient tous appelés, eux aussi, tous mariés que certains d’entre eux aient pu être !
La continence sexuelle pour le Royaume à laquelle fait allusion Jésus en Mt. 19.11-12, n’était pas condamnation de la sexualité ou du mariage, mais elle s'est très vite imposée comme une évidence aux disciples du Christ désireux de vivre, à l'imitation de leur Maître, un amour sans partage à l'égard de tous, et sans réserve à l'égard de l'Unique. L’extraordinaire n’aurait-il donc pas été pour les Apôtres et Evangélistes que la Mère du Sauveur, première des disciples du Christ, après l'avoir enfanté dans la virginité, ne vécût pas elle-même cette continence pour le Royaume ?
3°) Enfin, et peut-être même surtout, les Evangélistes n’ont sans doute pas pris immédiatement la pleine mesure du don que Jésus fit sur la Croix au disciple qu’il aimait.
Il a fallu en effet des siècles de contemplation du mystère du Christ et de l’Eglise, pour que le peuple de Dieu entre progressivement dans l’intelligence de cet évènement fondateur, et saisisse la portée véritable du rôle maternel de la Vierge Marie à l’égard de l’Eglise toute entière, Corps mystique du Christ.
Comme l’écrivait St Louis Marie Grignion de Montfort : « Dieu le Fils veut se former et, pour ainsi dire, s'incarner tous les jours, par sa chère Mère, dans ses membres (…) Si Jésus-Christ, le chef des hommes, est né en elle, les (…) membres de ce chef, doivent aussi naître en elle par une suite nécessaire. Une même mère ne met pas au monde la tête ou le chef sans les membres, ni les membres sans la tête : autrement ce serait un monstre de nature. De même, dans l'ordre de la grâce »… (Traité de la Vraie Dévotion, § 31 et 32)
Cette prise de conscience "tardive" du rôle de Marie dans l'économie du Salut est sans doute providentielle ! Car de même qu’il fallut que le Fils de l’Homme meure et ressuscite pour que sa messianité puisse être ouvertement proclamée au peuple d’Israël, sans risque de mésentente quant à la véritable signification de cette messianité (je vous renvoie ici à la question du « secret messianique » dans les Evangiles), de même sans doute fallait-il que Marie montât au Ciel, et que le dernier Apôtre disparaisse, pour que la Gloire de la Mère de Dieu (prémisse de notre propre glorification) éclatât et soit pleinement manifestée au monde, et pour que le mystère de sa maternité ecclésiale soit pleinement dévoilée.
Une prise de conscience prématurée du rôle de Marie dans l’Eglise aurait pu en effet ouvrir la brèche à d’innombrables dérives, et prêter le flan à de nombreuses hérésies, ou à tout le moins à des dévotions mal placées.
C’est ce que suggère du reste encore St Louis Marie Grignion de Montfort : « Marie n'a presque point paru dans le premier avènement de Jésus-Christ, afin que les hommes encore peu instruits et éclairés sur la personne de son Fils, ne s'éloignassent de la vérité, en s'attachant trop fortement et trop grossièrement à elle, ce qui apparemment serait arrivé si elle avait été connue, à cause des charmes admirables que le Très-Haut avait mis même en son extérieur. Ceci est si vrai que saint Denys l'Aréopagite nous a laissé par écrit que, quand il la vit, il l'aurait prise pour une divinité, à cause de ses charmes secrets et de sa beauté incomparable, si la foi, dans laquelle il était bien confirmé, ne lui avait appris le contraire. Mais dans le second avènement de Jésus-Christ, Marie doit être connue et révélée par le Saint-Esprit afin de faire par elle connaître, aimer et servir Jésus-Christ, les raisons qui ont porté le Saint-Esprit à cacher son Épouse pendant sa vie, et à ne la révéler que bien peu depuis la prédication de l'Évangile, ne subsistant plus. »(Traité de la Vraie Dévotion, § 48)
Ainsi donc, de même qu’il a fallu des siècles et des siècles de préparation du peuple hébreu avant que le Seigneur n’envoie son Fils et ne se révèle au monde dans la vérité de son identité trinitaire, de même aussi a-t-il fallu des siècles d’une lente pédagogie divine, et d’une patiente maturation du peuple de Dieu sous la motion de l’Esprit Saint, pour qu’apparaisse peu à peu l’admirable figure de Marie, dans toute sa splendeur et majesté, sans risque de confusion avec le rôle unique et central du Christ dans le plan divin de Salut de l’humanité.
Nous avons d’ailleurs trace dans l’Evangile de cette délicatesse du Seigneur envers les disciples, au sujet des vérités qu’ils ne sont pas encore prêts à porter, et qui ne seront dévoilées qu’après un temps de croissance dans l’Esprit Saint : « J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière. En effet, ce qu'il dira ne viendra pas de lui-même : il redira tout ce qu'il aura entendu ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître » (Jn 16. 12-13).
La foi en la virginité perpétuelle de Marie possède donc de solides fondements scripturaires, attestés par l’Histoire, et développés par la tradition catholique sous la conduite de l’Esprit de Pentecôte.
Outre ceux que j’ai eu l’occasion d’exposer dans le commentaire auquel vous avez réagi, cher Pasteur, les Pères de l’Eglise se plaisent à citer un autre texte, tiré cette fois de l’Ancien Testament.
Il est ainsi écrit dans Ézéchiel 44.2 : "Cette porte sera fermée ; elle ne s'ouvrira point ; et l'homme n'y passera pas parce que le Seigneur Dieu d'Israël est entré par elle."
Saint Augustin commente ainsi ce texte : "Que signifie cette porte fermée dans la maison du Seigneur, sinon que Marie sera toujours intacte ? Et que "l'homme n'y passera pas" sinon que Joseph ne la connaîtra pas ? Que signifie : "Seul le Seigneur entre et sort par elle", sinon que le Saint-Esprit la fécondera et que le Seigneur des anges naîtra d'elle ? Et "elle sera fermée pour toujours", sinon que Marie est vierge avant l'enfantement, vierge dans l'enfantement et vierge après l'enfantement ?"