Nous avons vu la semaine dernière que le livre de la Genèse est le premier d’un groupe de cinq livres que l’on appelle « Pentateuque » ou « Torah » chez les juifs – expression qui signifie « Loi » - ou « Enseignement » comme l’ont fort bien précisé Pneumatis et Jonas.
La Torah constitue la première partie de l’Ancien Testament qui en compte trois – comme le faisait observer Jonas, et non pas deux seulement : les deux principales que sont la « Loi » (le Pentateuque) et les « Prophètes », dont je parlais dans mon précédent article ; la troisième qui regroupe les « Livres Sapientiaux », qui renvoient à un ensemble hétéroclite d’ouvrages (parmi lesquels on trouve les Psaumes, le livre de Job, celui des Proverbes, le Cantique des Cantiques, l’Ecclésiaste…), livres qui nous font communier, sous des formes variées, à la prière, la sagesse et la morale du Peuple hébreu ; qui nous enseignent l’art de servir Dieu dans la vie quotidienne et de devenir des personnes responsables dans la foi.
Il faudrait sans doute mentionner également – pour être parfaitement complet –, l’existence d’une 4e partie composée de ce que les catholiques appellent les « Livres Deutéro-canoniques » (littéralement : « du 2e Canon », à savoir la liste grecque) qui rassemble 7 livres juifs conservés en grec, qui se trouvent inclus dans nos Bibles catholiques, mais ne figurent pas dans les Ecritures Juives, et dont nos frères protestants contestent l’inspiration divine : il s’agit des deux livres des Maccabées, de Judith et Tobit, du livre de la Sagesse, du Siracide (ou l’Ecclésiastique – à ne pas confondre avec l’Ecclésiaste) et de Baruch.
La Tradition juive affirme que l’essentiel de la Révélation est contenue dans les 5 livres du Pentateuque ; et que si Israël n’avait pas péché, il n’y aurait eu besoin de rien d’autre que de la Torah. Elle considère que tout ce qui vient après, non seulement prend sens par rapport à la Torah, mais ne fait que déployer et apparaître au grand jour ce qui est déjà contenu dans la Torah. C’est dire l’importance de la Torah (ou Pentateuque) pour les Juifs et dans la Bible – et donc pour nous aussi chrétiens.
Le Pentateuque contient les commencements fondateurs, c’est-à-dire les évènements et les paroles à l’origine de l’histoire d’Israël et du christianisme, qui en éclairent le sens. On pourrait résumer le "synopsis" de ce groupe de livre en quelques mots très simples : une alliance à vivre sur une terre.
Le peuple juif est sans cesse invité à faire mémoire des évènements fondateurs de son Histoire ; le Pentateuque est lu chaque sabbat dans les synagogues. Nous aussi, chrétiens, sommes convoqués à cette mémoire, l’originalité du Christ ne pouvant se comprendre qu’à la lumière de ces évènements fondateurs. Nous verrons ainsi les conflits entre Jésus et les Juifs se cristalliser autour de la Torah : « Ne pensez pas que c’est moi qui vous accuserai devant le Père. Votre accusateur, c’est Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi, car c’est de moi qu’il a parlé dans l’Ecriture » (Jn 5. 45-46).
Moïse est-il le rédacteur unique du Pentateuque ? Non, écrivais-je dans mon précédent article, ce qui n’a pas manqué de soulever l’interrogation de Pneumatis. Si l’on en croit l’Introduction du Pentateuque dans la Bible de Jérusalem, il apparaît que la composition de ce groupe de 5 livres était attribuée à Moïse au début de l’ère chrétienne, et que le Christ et les Apôtres se sont conformés à cette opinion (cf. Jn 1.45, 5. 45-47 ; Rm 10. 5). Mais les Traditions les plus anciennes n’ont jamais affirmé explicitement que Moïse fut le rédacteur de tout le Pentateuque. Lorsque le Pentateuque dit : « Moïse a écrit », il applique cette formule à un passage particulier. Et puis, comme le faisait pertinemment remarquer Jonas, si Moïse était l'auteur unique du Pentateuque, comment pourrait-il parler de sa propre mort (Deut. 34) ?
De fait, l’étude moderne de ces livres a fait ressortir des différences de style et des désordres dans les récits qui font sérieusement douter qu’ils soient l’œuvre d’un unique auteur.
Si l’on tient au seul livre de la Genèse qu’il nous faut maintenant introduire, il apparaît assez clairement qu’il y eut non pas un seul auteur, mais plusieurs.
Le peuple hébreu rassemblait à l’origine des tribus nomades qui ne savaient ni lire ni écrire, et qui portaient en elles le souvenir de leurs ancêtres et des signes que Dieu avait accompli en leur faveur ; les traditions se transmettaient oralement. Ce n’est que lorsque ces tribus se fixèrent en Palestine qu’elles entrèrent peu à peu dans une nouvelle culture, celle de l’écriture.
Autour du roi, des scribes fixaient par écrit les lois et les croyances du royaume. C’est à l’époque du roi Salomon (au 10e siècle avant Jésus-Christ) qu’un écrivain inconnu, généralement appelé le « Yahviste » - parce qu’il désigne Dieu par « Yahvé » - a écrit une première histoire du peuple de Dieu. Il s’est largement inspiré pour cela de la littérature des Babyloniens se rapportant au premier couple humain et au Déluge, en les « revisitant » pour y exprimer sa foi dans le Dieu unique révélé à Israël.
Ce récit ancien a été complété ensuite à partir d’autres Traditions, et beaucoup plus tard, après l’Exil à Babylone (au 6e siècle avant Jésus-Christ), par les prêtres d’Israël. C’est parmi eux que se trouve l’auteur du poème de la Création en 7 jours qui ouvre le livre de la Genèse et l’ensemble de notre Bible.
On voit donc que le livre de la Genèse a été rédigé et mis en sa forme définitive relativement tardivement dans l’Histoire d’Israël - bien après Moïse ; et que les premiers livres de notre Bible ne sont pas forcément les plus anciens.