Chers amis lecteurs,
En ce début du mois de novembre, l’Eglise nous invite à tourner notre regard vers le ciel. La Toussaint est ainsi l’occasion de nous rappeler notre vocation à la sainteté et au Salut éternel auprès de Dieu, avec toute notre famille du ciel déjà parvenue dans la gloire. La fête du lendemain, 2 novembre, célèbre la mémoire de tous les défunts qui ne sont pas encore dans la pleine lumière et qui vivent un temps de purification : c’est un jour de recueillement, de prière et de pieuse visite au cimetière. Le mois de novembre tout entier est traditionnellement mois de prière pour les âmes du Purgatoire. C’est aussi une période de l’année où la liturgie nous donne à méditer les passages évangéliques sur la fin du monde et le retour en gloire du Christ ; un temps où nous sommes particulièrement invités par le Seigneur à la veille du cœur et à l’attente vigilante du Bien-aimé, dont la venue est aussi sûre que l’aurore (cf. Os. 6. 3)...
« Tu es poussière et tu retourneras à la poussière » nous dit l’Ecriture (Gn 3.19). Voilà bien une parole que nous devrions nous redire chaque matin. Car reconnaissons-le : nous ne vivons pas, en général, avec la pensée omniprésente de notre mort. Tant mieux, diraient certains ! Oui, peut-être… sauf que nous nous comportons du coup comme des êtres immortels, tout à fait insouciants de leur fin dernière... Nous oublions que tout, pour chacun de nous, peut s’arrêter brutalement, dès aujourd’hui ; que la frontière qui nous sépare de l’autre rive est ténue – et il faut malheureusement parfois un accident grave et imprévu pour être rappelé à cette cruelle réalité…
Je ne sais pas grand-chose du monde qui m’entoure, disait Pascal, de ce que sont les immensités cosmiques qui m’environnent et dans lesquelles je suis comme perdu au milieu de nulle part... Je ne sais pas pourquoi je suis ici plutôt que là, ni pourquoi je vis en ce temps là plutôt qu’à un autre. Tout ce que je sais est que je dois bientôt mourir et tomber pour jamais, ou dans le néant, ou dans les mains de Dieu.
Dieu ou le néant ? Qu’on le veuille ou non, c’est en considération de ces deux possibilités que chacun va - consciemment ou non - orienter sa vie. La question de la mort est une question existentielle que nul ne peut esquiver (nous sommes tous « embarqués » disait Pascal). On peut vouloir fuir cette question (dans le divertissement par exemple) et refuser de la voir en face : mais en réalité, fuir, c’est déjà prendre position : c’est choisir le néant contre Dieu.
Si nous sommes incroyants, nous allons vouloir vivre « à fond » les différents plaisirs que la vie nous offre, sans trop nous soucier des conséquences : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Co 15. 32). Puisque la vie doit un jour finir, eh bien, autant en « profiter » tant qu’elle est là ; après, il sera trop tard... Dans cette perspective, la vie est considérée comme un fruit à cueillir et à déguster pour soi. D’où cette propension, chez ceux qui n’ont pas d’espérance, à « mordre la vie à pleines dents »… jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien.
Les croyants vont quant-à-eux régler leur vie en considération du Jugement de Dieu. Ils savent que les actes qu’ils posent ne sont pas anodins, qu’ils ont des conséquences ; qu’ils sont ou bien « bons », ou bien « mauvais ». Ils ont lu dans leurs Saintes Ecritures qu’ils auront un jour des comptes à rendre pour la vie qu’ils auront choisi de mener. Pour eux, la vie est un don reçu de Dieu ; ils ne s’en considèrent pas comme les propriétaires, mais bien plutôt comme les gérants, les intendants. Dans cette optique, il ne leur est pas possible de faire n’importe quoi ; il leur importe de rechercher la voie juste et bonne qui conduit à la vie, la vraie vie, celle qui porte de bons fruits pour Dieu et pour les autres (car il est un chemin, nous dit la Bible, qui conduit à la vie, et un autre qui conduit à la mort : « Si tu veux entrer dans la vie, dit Jésus, observe les commandements » - Mt 19. 17).
J’ai toujours fait partie personnellement de cette seconde catégorie de personnes. Cela ne vous étonnera guère. Pourtant, je n’ai pas toujours été croyant. Mais voilà : j’ai toujours eu l'intime conviction que le bien et le mal ne pouvaient avoir le même poids, la même valeur, ni les mêmes conséquences sur notre destinée ultime. Ma raison se révoltait à l’idée que Hitler et Mère Térésa, par exemple, puissent connaître tous deux la même chute dans l'abîme du néant, sans que leurs actes aient la moindre influence, positive ou négative, sur leur sort éternel. Cette égalité dans la mort me semblait une prime insupportable à l'injustice et au mal.
Je n’ai jamais compris en tous les cas l’attitude de ceux qui vivent leur vie sans réaliser que peut-être un jour, ils auront à rendre des comptes ; qui prennent le mal pour un bien et le bien pour un mal, sans songer un seul instant que cette confusion perverse puisse être sans conséquence pour leur âme ; qui ignorent totalement pour eux-mêmes la possibilité de l’enfer. Mais c’est faire ici le pari de Pascal à l’envers ! je mise tout sur une vie sans Dieu, dans l’espoir de gagner le plaisir immédiat que la vie peut m’offrir, mais avec la perspective – terrible ! – de l'anéantissement final, et le risque – plus effroyable encore ! – de découvrir un jour que je me suis mépris, et que l'enfer existe...
Je comprends que l’on ait des doutes sur l’existence de Dieu, et même que l’on choisisse de ne pas y croire, mais de là à écarter absolument le risque de se tromper… « Je crois pas en Dieu, disait le chanteur Renaud, mais j’fais gaffe quand même »… Combien parmi nos contemporains « font gaffe quand même », des fois que… ? « Si les hommes savaient ce qu’est l’éternité, ils feraient l’impossible pour se convertir » disait Hyacinthe, la petite voyante de Fatima.
Le Seigneur m’a fait la grâce, avant ma conversion, en 1997, de faire l’expérience « métaphysique » de la mort et de l’enfer. Ce n’était pas une « vision » (au sens où l’on voit quelque chose avec ses yeux de chair), ni un « songe » (puisque j’était dans un état intermédiaire entre le sommeil et le réveil) ; c’était quelque chose d’indéfinissable, et cependant de beaucoup plus réaliste et effrayant que la réalité elle-même... Je ne savais trop comment définir cela jusqu’au jour où, 10 ans après, je lus ce passage sous la plume d’un philosophe existentialiste allemand : « Beaucoup de gens bien portants ont fait (…) l’expérience suivante : ils s’éveillent avec le sentiment d’avoir aperçu dans leur sommeil le sens de choses étrangement profondes, et celles-ci se dérobent au moment où ils sont parfaitement éveillés, laissant seulement derrière elles le sentiment de l’impénétrable » (Karls Jaspers, « Introduction à la Philosophie », Plon, 10/18, 1991, pages 9 et 10).
Dans cette « expérience » de la mort, vécue dans un état de semi-sommeil, mon âme se détachait de mon corps et s’élevait vers le ciel. Je n’étais pas – je le répète – croyant à l’époque, mais mon âme, en montant au ciel, avait une intelligence lucide et instantanée de tout ce qui se passait. Je me souviens que, prenant soudainement conscience de la situation, mon premier réflexe fut de tenter de redescendre sur la terre ; mais ne le pouvant pas, et tandis je continuais à m'élever vers le ciel, je fus pris d’un grand effroi et m'écriai en moi-même : « Qu’ai-je donc fait de ma vie ?! »
Et puis il y eut cette autre expérience, de l’enfer cette fois… Ce sentiment atroce du moment précis où je devrai aller en enfer. Je me vois faire face aux flammes, elles sont là, devant moi ; je ne peux plus reculer, je ne peux plus rien changer, je suis face à ces flammes et c’est MAINTENANT que je dois y aller. Certaines échéances sont tellement lointaines qu’elles en paraissent parfois irréelles. Je me souviens par exemple dans ma jeunesse du baccalauréat ou du service militaire. Ce sont des choses dont on avait beaucoup parlé, mais qui nous semblaient loin, très loin… On y pensait donc, sans y penser... Et puis un beau matin, il a bien fallu que je me lève pour passer mon examen du baccalauréat ; et puis un beau jour, il a bien fallu que j’enfile un treillis militaire pour vivre mon premier parcours du combattant. Aujourd’hui, ces mêmes échéances me paraissent lointaines, oui… mais dans l’autre sens ! Ce que je retiens de tout cela est que tout finit toujours par arriver. Un jour viendra où nous serons face à notre destinée éternelle, sans que nous ne puissions plus rien y changer. AUJOURD’HUI, tout reste possible. Mais demain, il sera trop tard. Et un jour viendra où demain sera notre AUJOURD’HUI.
(à suivre...)
Prochain article : La possibilité de l'enfer