Un saint, c'est quelqu'un qui n'a plus aucune autre solution de rechange que la supplication.
Nous voulons bien demander, mais nous voulons avoir des solutions de rechange, pour le cas où la supplication ne marcherait pas. C'est justement cela qui fait que la supplication n'a pas cette force désespérée qui renverse les montagnes et les fait se précipiter dans la mer. On garde une solution de rechange et on ne se livre pas totalement dans cette prière de demande.
Il m'arrive parfois d'entendre: "Mais la sainteté, ce n'est pas la prière de demande, c'est l'Amour. La supplication, c'est une étape à dépasser ; moi, je suis dans l'Amour!" J'ai envie de dire : "Avez-vous déjà vu un amour qui ne supplie pas? Même l'Amour de Dieu pour nous nous supplie. C'est l'attitude la plus divine. Veux-tu de mon amour? Donne moi ton amour!" C'est Dieu qui nous aime le premier, et donc nous supplie. Et quand nous supplions, nous ne faisons que répondre à la supplication de Dieu, dit le Père Varillon.
Dieu est celui qui n'a pas peur de supplier, puisqu'il est communication et tout entier tourné vers l'autre : "Veux-tu m'écouter, me donner ton coeur, ta liberté?" Il ne faut pas faire la "fine" bouche à propos de la supplication en disant que c'est une attitude à dépasser : on ne dépasse pas l'attitude divine. Le Père, le Fils, et l'Esprit Saint se disent "merci" et ils se demandent, sans convoitise. Il y a l'équivalent trinitaire de la demande. On ne vit pas d'amour sans se demander réciproquement l'amour l'un à l'autre. C'est le mystère même de l'amour.
Même en Dieu, il y a Amour et demande réciproque de deux êtres. Si Jésus parle tant de la supplication dans l'Evangile, c'est parce qu'il voulait nous révéler le mystère trinitaire. Lui-même vit avec son Père une relation d'amour où il n'est qu'accueil et don. De tout son être, il aspire à recevoir l'Amour, il le mendie et en retour, il le rend au Père. Et cet amour a une telle consistance qu'il prend le visage et le souffle d'une personne, le Saint-Esprit. On comprend que Jésus appelle l'Esprit Saint dans l'Evangile l'Intercesseur. On pourrait dire qu'il est la supplication mutuelle de chacune des personnes de la Trinité (...).
Ainsi, nous ne dépasserons jamais la supplication et nous n'irons jamais plus loin. Au sommet de la perfection, on supplie Dieu de ne pas nous abandonner. Même dans l'éternité, on supplie Dieu et il répond "oui" à notre supplication perpétuelle.
(Jean Lafrance, "Le chapelet, un chemin vers la prière incessante", Mediaspaul, 1997, pages 58 à 60)