Depuis quelques jours se répand à grande vitesse l’information selon laquelle l’Eglise aurait rendu de manière définitive un jugement négatif au sujet de Medjugorje. Cette information est relayée par nombre de sites et autres blogs catholiques, sans grand discernement hélas.
Le point de départ de cette traînée de poudre est un article de Thierry Boutet paru sur le site Internet de la Fondation de Service Politique. Dans cet article daté du 11 avril, l’auteur affirme que « Pour de nombreux catholiques, la question de l’authenticité des apparitions de Medjugorje, n’est pas tranchée. Or il n’en est rien. L’Église ne reconnaît pas le caractère surnaturel des apparitions. »
Selon Thierry Boutet, « Un communiqué officiel des évêques de Toscane, à la suite de leur visite ad limina (…), publié l’an dernier à la demande de Mgr Angelo Amato, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, atteste que la position de la Congrégation est celle de l’évêque de Mostar, Mgr Ratko Peric. Or pour celui-ci, les faits de Medjugorje ne sont pas surnaturels. Ils sont « non-surnaturels » (constat de non supernaturalite). »
Rappelons ici que le droit canon établit une distinction entre :
- le « Constat de non supernaturalitate » (il est établi qu’il n’y a rien de surnaturel),
- le « Non constat de supernaturalitate » (le surnaturel n’est pas établi),
- et le « Constat de supernaturalitate » (il est établi que c’est surnaturel).
[On pourrait schématiser en disant que par le « Constat de non supernaturalitate », l’Eglise se prononce CONTRE la surnaturalité d’un évènement ; par le « Constat de supernaturalitate », elle se prononce POUR ; et par le « Non constat de supernaturalitate », elle NE SE PRONONCE PAS. Les deux premiers « Constat » sont par nature définitif et sans appel, en raison du charisme de l’infaillibilité reconnu à l’Ordinaire (l’Evêque) du lieu dans le discernement des apparitions. Le « Non constat » est susceptible de révision, puisqu’il ne tranche pas la question de la surnaturalité ou non de l’évènement considéré.]
Dans son article, Thierry Boutet déclare que les faits de Medjugorje sont « non-surnaturels » (constat de non supernaturalite). » Voilà qui est clair, précis, non équivoque : cela signifie que l’Eglise a tranché ; qu’elle a établi qu’il n’y a rien de surnaturel à Medjugorje ; que c’est une décision définitive et sans appel, qui exige de tous les fidèles catholiques un assentiment sans réserve et une obéissance filiale. D’où l’intitulé de l’article : « Medjugorje : la position officielle de l’Eglise ». [Les fidèles qui se sont laissé abuser pourront toujours se consoler en se disant que cette décision « n’implique pas (…) que les grâces de conversion reçues (…) ne soient pas authentiques » ! Alleluia.]
L’examen du communiqué officiel des évêques de Toscane reproduit par Thierry Boutet recèle cependant quelques surprises. En voici le contenu :
« Pendant la visite ad limina apostolorum des évêques de la région de Toscane, qui a eu lieu du 16 au 20 avril 2007, nous avons eu une réunion à la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi avec son secrétaire, Mgr Angelo Amato, qui, alors qu’il parlait avec nous des apparitions de Medjugorje, nous a invités à rendre publique l’homélie de l'évêque de Mostar du 15 juin 2006, prononcée à la paroisse St-Jacques à Medjugorje, pour éclairer le phénomène religieux lié à ce lieu. Répondant à cette invitation, nous la faisons connaître, et surtout nous demandons aux prêtres de la lire soigneusement et d’en tirer les conséquences nécessaires pour que nos fidèles soient correctement éclairés. »
Thierry Boutet conclut de la lecture de ce texte que « la position de la Congrégation est celle de l’évêque de Mostar, Mgr Ratko Peric. Or pour celui-ci, les faits de Medjugorje ne sont pas surnaturels. Ils sont « non-surnaturels » (constat de non supernaturaliter). » La sentence tombe alors comme un couperet : « L’Église ne reconnaît pas le caractère surnaturel des apparitions. »
Il est de notoriété publique effectivement que Mgr Peric ne croit pas à titre personnel aux apparitions de Medjugorje. Cette incrédulité est à l’origine de l’hostilité de principe affichée par certains catholiques envers tout ce qui touche à Medjugorje. Ainsi, Florence Pagan, qui rappelle sur son site que « Dans le cas d'apparitions, seuls l'évêque ou Ordinaire du lieu, la conférence épiscopale à laquelle appartient l'évêque concerné, et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, au nom du souverain pontife, ont l'autorité de se prononcer. Dans le cas de Medjugorje, Monseigneur Zanic et ensuite Monseigneur Peric, évêques du lieu, ne croient pas aux apparitions. La conférence épiscopale a déclaré qu'il n'y avait rien de supernaturel qui puisse être prouvé, et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi s'en tient à ce qu'a dit la conférence épiscopale. » Elle en déduit donc les conséquences qui lui paraissent s’imposer : « En ce qui me concerne, je choisis de suivre et d'obéir la décision de Monseigneur Zanic, l'évêque du lieu, ainsi que celle de son successeur, Monseigneur Peric. »
Cette position, a priori pleine de bon sens et empreinte de sagesse évangélique, repose néanmoins sur une erreur d’appréciation des règles du droit canonique romain : Florence Pagan fait une confusion en effet entre la décision de l'évêque du lieu, au terme de laquelle il statut sur l’authenticité de l’apparition alléguée et engage effectivement l’infaillibilité de l’Eglise ; et l'expression de son opinion personnelle au sujet de l’évènement considéré. Or, sauf erreur de ma part, le charisme de l'infaillibilité s'exerce dans la prise de décision définitive de l'Ordinaire du lieu, et non dans la simple expression de son intime conviction.
C’est du reste ce qu’avait laissé entendre Mgr Tarcisio Bertone (aujourd’hui n° 2 du Vatican) dans une réponse adressée, au nom de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, à Mgr Aubry, Evêque de Saint Denis de la Réunion : « Ce que S.E. Mgr Peric a affirmé dans une lettre au Secrétaire Général de Famille Chrétienne, dans laquelle il a déclaré : « Ma conviction et position n'est pas seulement "Non constat de supernaturalitate" mais également celle "constat de non supernaturalitate" des apparitions ou révélations de Medjugorje », doit être considéré expression d'une conviction personnelle de l'Evêque de Mostar, lequel, en tant qu'Ordinaire du lieu, a toujours le droit d'exprimer ce qui est, et demeure, un avis qui lui est personnel. »
La situation a-t-elle donc changée depuis la lettre de Mgr Bertone en 1998 ? Eh bien oui, selon Thierry Boutet ! En raison de ce communiqué officiel des évêques de Toscane, qui « atteste que la position de la Congrégation est celle de l’évêque de Mostar, Mgr Ratko Peric »…
Première observation ici : on se demande vraiment ce que les évêques de Toscane viennent faire dans cette histoire… Que je sache, les évêques de Toscane n’ont aucune compétence pour statuer sur l’authenticité ou non des apparitions de la Vierge Marie à Medjugorje ! Pas davantage le « Vecernji list », ni l’archevêque de Sarajevo, ni non plus l’évêque émérite d’Isernia en Italie, tous trois appelés à la barre des témoins par Thierry Boutet. Le document de référence cité dans l’article de ce dernier a beau revêtir la forme d’un communiqué officiel, il ne peut servir de base à l’énoncé de la position officielle de l’Eglise Catholique au sujet de Medjugorje.
Ensuite, les évêques de Toscane disent avoir établi ce texte officiel pour répondre à la demande de Mgr Angelo Amato, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui les « a invités à rendre publique l’homélie de l'évêque de Mostar du 15 juin 2006, prononcée à la paroisse St-Jacques à Medjugorje, pour éclairer le phénomène religieux lié à ce lieu. Répondant à cette invitation, nous la faisons connaître, et surtout nous demandons aux prêtres de la lire soigneusement et d’en tirer les conséquences nécessaires pour que nos fidèles soient correctement éclairés. »
Il s’agit donc d’un document dont l’objet est de rendre accessible au plus grand nombre le texte de l’homélie de Mgr Péric, jugée suffisamment édifiante par Mgr Angelo Amato pour éclairer les fidèles sur le « phénomène religieux lié à Medjugorje ».
Que dit alors le texte de cette homélie, dont Thierry Boutet nous dit qu’elle traduit « la position officielle de l’Église ».
1°) Que ce n’est pas parce que des gens viennent se confesser en nombre à Medjugorje que la Vierge y apparaît ! Soit.
2°) Que des franciscains ont gravement désobéi au Saint Père en conservant « par la force pendant des années des églises paroissiales et des cures ainsi que des propriétés d’Église », y exerçant en toute illégalité, et administrant des « sacrements sacrilèges » ou « invalides ». Là, les choses se gâtent, effectivement…
Mais la surprise vient de l’énoncé du 3°) : « Troisièmement, je suis sincèrement reconnaissant au Très Saint-Père le pape Jean Paul II de sainte mémoire, et au pape régnant Benoît XVI, qui ont toujours respecté les jugements des évêques de Mostar-Duvno, le précédent aussi bien que l’actuel, pour ce qui concerne les prétendues “apparitions” et les “messages” de Medjugorje, tout en reconnaissant le droit du Saint-Père de délivrer une décision finale sur ces événements. » Je vous avoue m’être frotté les yeux à plusieurs reprises en lisant ce passage : « tout en reconnaissant le droit du Saint-Père de délivrer une décision finale sur ces événements. » Ce petit membre de phrase, qui a sans doute échappé à la sagacité de Thierry Boutet, est absolument essentiel pour appréhender l’exacte portée des déclarations de Mgr Peric dans son homélie du 15 juin 2006 : si Mgr Peric affirme lui-même en effet reconnaître au Pape le droit de délivrer sur les évènements de Medjugorje une décision finale, c’est bien que cette dernière n’a pas encore été prise ! On ne peut donc considérer l'homélie de Mgr Peric comme un jugement définitif, ainsi que le prétend Thierry Boutet. Celui-ci a certes raison de dire que l’homélie de Mgr Peric traduit « la position officielle de l’Église ». Mais celle-ci n'est pas, contrairement à ce qu'il affirme, un « Constat de non supernaturalitate » (comment oser faire accroire au public que Mgr Peric aurait définitivement statué sur la question, lorsqu’il affirme lui-même dans le corps de son homélie que les apparitions de Medjugorje « semblent (…) ne pas être authentiques. » Semblent…) On peut donc à tout le moins s'étonner qu'un journaliste de la compétence de Thierry Boutet ait pu se méprendre à ce point sur le sens et la portée du document épiscopal rapporté, et de l'homélie à laquelle il renvoit.
Cela est d’autant plus incompréhensible que dans la suite de son homélie, Mgr Péric explique très bien la position actuelle des évêques « après toutes les investigations canoniques faites jusqu'ici » : « sur la base des investigations de l’Église réalisée sur les événements de Medjugorje, déclare-t-il ainsi, il ne peut pas être déterminé que ces événements impliquent des apparitions ou des révélations surnaturelles. Ceci signifie que jusqu'à maintenant, l'Église n’a pas accepté, ni comme surnaturelle ni comme mariale, une quelconque de ces apparitions » : ce qui est la définition même du « Non Constat de supernaturalitate » ! [Un « Constat de non supernaturalitate » aurait conduit à une affirmation du genre : « sur la base des investigations de l’Église réalisée sur les événements de Medjugorje, il est déterminé que ces événements n’impliquent pas d’apparitions ou des révélations surnaturelles. »] S’ensuit des recommandations pastorales envers les prêtres (non autorisés à défendre publiquement la cause des apparitions mariales) et les fidèles catholiques (à qui les pèlerinages d'Église ne sont pas permis « si ces pèlerinages présupposent l'authenticité des “apparitions” ou si en les entreprenant, ils tentent de certifier ces “apparitions” ») Voilà ce que la Congrégation pour la doctrine de la Foi, en la personne de Mgr d’Amato, entendait faire connaître aux catholiques ! Non pas une position négative de l’Eglise catholique à l’égard de Medjugorje. Mais des recommandations pastorales accompagnant la décision actuelle de « Non Constat de supernaturalitate » que tous les prêtres et fidèles doivent respecter… jusqu’à ce que l’Eglise se prononce un jour peut-être définitivement sur la question.
La position de l’Eglise catholique à l’égard de Medjugorje reste donc inchangée depuis plus de 17 ans, et le document officiel de référence demeure la Déclaration de Zadar du 10 avril 1991 de la Conférence épiscopale de Yougoslavie. Elle a été magistralement exposée à la demande de l’Eglise de France par Mgr Brincard dans une Communication publiée dans la Documentation Catholique du 6 février 2000 ; et reprécisée en 2003 dans un document intitulé "Ce que dit l'Eglise au sujet de Medjugorje" publié dans les "Nouveaux Cahiers Marials". Dans ce dernier document, Mgr Brincard indique au sujet de la Déclaration de Zadar qu’elle « constitue [à ce jour] le SEUL TEXTE OFFICIEL de la conférence épiscopale de Yougoslavie, qui fut dissoute "de facto" par la partition du pays, un an plus tard. IL NE S'AGIT PAS D'UN JUGEMENT NEGATIF ("Constat de non supernaturalitate"), tel que celui qu'avait énoncé à titre personnel Mgr Zanic, mais du CONSTAT D'UNE SITUATION, CONSTAT SUIVI DE RECOMMANDATIONS PASTORALES. Sur le fond, la commission de la conférence épiscopale NE SE PRONONCE PAS, se limitant à dire qu'en l'état des choses (...), il n'y avait pas d'évidence que les phénomènes fussent d'ordre surnaturel ("Constat de supernaturalitate") » (les mots en majuscules et soulignés le sont de mon fait).
Dans un texte publié sur Internet le 5 juillet 2006 (soit quelques semaines après l’homélie de Mgr Péric) et intitulé « Medjugorje ou la prudence maternelle de l’Eglise », Mgr Brincard réaffirme clairement que : « La position engageant l’autorité de l’Eglise a été exprimée le 10 avril 1991 à Zadar par la Conférence épiscopale de l’ex-Yougoslavie : « Sur la base des investigations menées jusqu’ici, il n’a pas été possible d’établir qu’il s’agisse d’apparitions ou de révélations surnaturelle » - en latin : « non constat de supernaturalitate ». Depuis, l’Eglise n’a pas modifié son jugement. La conférence épiscopale de Bosnie-Herzégovine, à laquelle il appartient désormais de se prononcer si besoin est, s’en tient à ce jugement. » A la question « Est-ce que la question de Medjugorje est à l’ordre du jour en France ? », l’évêque du Puy en Velay répond : « Pas à ma connaissance. Aucune demande ne m’a été adressée. Comme la position officielle de l’Eglise à ce sujet n’a pas changé, on ne m’a pas demandé de la préciser à nouveau ».
Voilà donc la vérité sur la position officielle de l’Eglise Catholique au sujet de Medjugorje. Celle que l’on aurait aimé lire sous la plume de Thierry Boutet, a fortiori dans une tribune intitulée « Decryptage »…
Lire aussi :
- Medjugorje et ses détracteurs
- Pourquoi je crois en Medjugorje