Extrait du dernier – remarquable – ouvrage du Cardinal Christoph Schönborn, « Hasard ou Plan de Dieu », paru aux éditions du Cerf en novembre 2007.
Il est important de réfléchir au rapport qui existe entre science, Raison et foi (…). Le conflit actuel est souvent réduit à une opposition entre science et religion. Mais ce qui est capital dans tout cela, c’est de voir le « trait d’union » qui les lie : la Raison.
C’est la Raison qui discerne une direction, un plan, une finalité, un design, un purpose, dans la nature, et ce de plus en plus. Plus notre savoir augmente et plus nous élargissons et affinons nos connaissances sur les étapes de la vie, et plus, à mon avis, (…) il devient irrationnel de ramener tout cela à un unguided, unplanned process of random vaiations and natural selection (…), c’est-à-dire à un « processus de transformations aléatoires et de sélection naturelle n’ayant ni direction ni plan ».
Stanley Jaki, bénédictin et historien scientifique, dit un jour qu’il était bien curieux qu’il y ait des « darwinistes », car leur but durant toute leur carrière, est de prouver qu’il n’y a pas de but.
Omnes agens agit propter finem (tout agir agit en vue d’une fin) : c’est un fondement de la métaphysique classique, chez Aristote, chez Saint Thomas d’Aquin et bien d’autres (…). Il est [certainement] légitime, et on peut le justifier méthodiquement, d’exclure la question du but, de la recherche de finalité, parce que l’on voit la nature d’une certaine manière. Mais il n’est pas légitime, je dirais même qu’il n’est pas rationnel, d’en déduire qu’il n’y a pas de finalité.
L’agressivité que l’on manifeste envers le groupe de chercheurs américains qui se consacrent au thème de l’intelligence design n’a pas grand-chose à voir avec la science. On peut bien critiquer la méthode qu’ils utilisent, mais le fait de s’interroger sur l’origine du intelligent design dans le vivant est parfaitement légitime, c’est une question qui relève de l’homme et de sa Raison. La réponse n’est pas à attendre de la recherche qui, elle, travaille selon une méthode strictement scientifique, elle est en fait confiée à l’homme en tant qu’être qui s’interroge, qui s’étonne et qui pense (…).
Durant des siècles, la Création fut racontée comme l’histoire de la Création selon la Bible. Les hommes se considéraient comme faisant partie d’une grande histoire qui commençait avec Adam et Eve, et qui avait son ancrage dans l’œuvre de six jours du Créateur. On croyait que le monde avait été créé il y a six mille ans, et le peuple juif compte d’ailleurs encore les années « depuis la Création du monde ». Il n’est pas étonnant que cette histoire fut de plus en plus mise en contradiction au fur et à mesure des découvertes de l’immensité de l’univers, de l’âge de l’histoire de la terre. L’histoire « scientifique » du monde remplaça peu à peu l’histoire biblique, pour ne plus en faire qu’un conte mythique. Cette situation concurrentielle arriva à son paroxysme avec la découverte de l’« histoire darwiniste » de la vie. Le darwinisme devint l’histoire alternative de la Création, qui désormais n’avait plus besoin d’un Créateur, et qui, par rapport à l’histoire biblique, était auréolée de l’immense attrait de la scientificité.
Force est de constater que l’Evolution est considérée aujourd’hui partout comme étant l’histoire scientifiquement valable, pouvant prétendre dire comment tout s’est réellement passé. On lui réserve une place de choix dans les livres d’histoire, dans les médias, dans les débats publics, et même dans la publicité ou les caricatures. Alors que le récit biblique a tout juste le droit, dans le meilleur des cas, de contenir un message sur le sens de la vie humaine.
Pourtant, on continue de raconter les deux histoires. La biblique à la messe, en particulier lors de la Vigile pascale, ou bien dans des salles de concert, comme lorsqu’on donne La Création de Haydn. Sinon, c’est l’histoire « scientifique » que l’on raconte partout, et lorsqu’on pose la question : de ces deux histoires, quelle est la vraie ? La réponse est bien sûr : la scientifique ! Comment pourrait-il en être autrement ? Elle est présentée comme « prouvée scientifiquement depuis longtemps ».
Comment expliquer alors que, depuis la parution de L’Origine des Espèces de Darwin, les scientifiques n’ont jamais cessé de s’interroger ? L’« histoire de Darwin » continue de susciter bien des questions, venant de personnes que l’on ne peut taxer de fondamentalisme. Tant de questions restent en suspens dans cette « histoire darwiniste » que l’on ne peut que s’étonner de l’emphase et de la certitude avec lesquelles on la raconte.
La recherche scientifique sur l’Evolution, qui à juste titre peut comptabiliser ses avancées est, en tant que branche de la recherche, extrêmement respectable (…). La vie s’est sûrement développée en un long processus ascendant depuis les molécules les plus simples jusqu’à la complexité de l’homme. Il est merveilleux d’étudier les liens de parenté entre tous les vivants, tous les éléments qu’ils ont en commun, mais il n’est pas nécessaire, et cela est même en contradiction avec la Raison, de considérer ce chemin grandiose de la vie jusqu’à l’homme, comme relevant exclusivement d’un processus du hasard (…).
L’alternative à un pur processus du hasard n’est pas le déterminisme total, mais le « croisement » de l’autonomie d’agir des créatures et de l’Esprit divin créateur qui les porte et leur permet d’être. Au commencement était le Verbe, non le hasard. Le hasard existe au sens du non planifié, mais il n’est pas le grand Principe créateur, comme le darwinisme idéologique voudrait qu’on le considère.