Nous avons vu dans notre précédent article que le Seigneur Jésus a constitué son Eglise "sur" Pierre. L’Ecriture nous révèle également que Jésus-Christ lui-même est dans l’Eglise et que l’Eglise demeure en Lui (Jn 15. 1ss ; Ga 3. 28 ; Ep 4. 15-16 ; Ac 9.5) ; qu’elle est son prolongement dans l’histoire du monde, comme son propre Corps (cf. 1 Co 12. 12-13.27 ; Col 1. 18), et que c’est par elle, avec elle et en elle qu’Il demeure présent au monde, et poursuit son œuvre de rédemption universelle. Tout comme il n’existe qu’un seul Jésus-Christ, il n’y a qu’un seul Corps mystique du Christ : une seule et unique Eglise catholique et apostolique (cf. Lumen Gentium n°8).
L’Eglise catholique n’est donc pas une Eglise parmi d’autres. Elle est la communauté visible et spirituelle voulue et établie par Jésus-Christ sur la terre (cf. Lumen Gentium, n°8). Cette Eglise n’a jamais cessé d’exister au cours des siècles, et c’est en elle seule que demeurent tous les éléments institués par le Christ lui-même (cf. Unitatis Redintegratio, n° 3.2 ; 3.4 ; 3.5 ; 4.6).
La continuité historique entre l’Eglise fondée par Jésus-Christ et l’Eglise catholique romaine est assurée par la succession apostolique. Comme nous l'enseignait le Pape Benoît XVI : « La succession apostolique du ministère épiscopal est la voie qui garantit la transmission fidèle du témoignage apostolique. Ce que représentent les Apôtres dans la relation entre le Seigneur Jésus et l'Eglise des origines, est représenté de manière analogue par la succession ministérielle dans la relation entre l'Eglise des origines et l'Eglise actuelle. Il ne s'agit pas d'un simple enchaînement matériel ; c'est plutôt l'instrument historique dont se sert l'Esprit pour rendre présent le Seigneur Jésus, Chef de son peuple, à travers ceux qui sont ordonnés pour le ministère par l'imposition des mains et la prière des évêques. A travers la succession apostolique, c'est alors le Christ qui nous rejoint : dans la parole des Apôtres et de leurs successeurs, c'est Lui qui nous parle ; par leurs mains, c'est Lui qui agit dans les sacrements ; dans leur regard, c'est son regard qui nous enveloppe et nous fait sentir aimés, accueillis dans le coeur de Dieu. »
En dépit des divisions entre chrétiens et des déchirures de l’histoire, l’Eglise fondée par Jésus-Christ n’a donc pas disparu ; elle n’est pas une réalité en morceaux, ou un idéal qui ne sera atteint qu’à la fin des temps, lorsque les chrétiens seront de nouveau unis : elle « subsiste » intégralement dans l’Eglise catholique, communauté visible et spirituelle gouvernée par les Evêques, successeurs des Apôtres, qui sont en communion avec le Pape Benoît XVI, successeur de Saint Pierre. L’Eglise voulue par le Christ continue ainsi de fait à exister dans l’Eglise catholique : « la continuité de la subsistance comporte une substantielle identité d’essence entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique » (cf. Congrégation pour la doctrine de la foi : « Le vrai visage et la nature de l’Eglise du Christ », in Osservato Romano, 11 juillet 2007). « Le Concile a [ainsi] voulu enseigner que l’Eglise de Jésus-Christ comme sujet concret dans ce monde peut être reconnue dans l’Eglise catholique ».
Par fidélité à son dessein de salut et à la promesse de Jésus faite à Pierre, Dieu a maintenu l’Eglise de son Fils dans l’Histoire, et celle-ci est entièrement présente dans l’Eglise catholique.
Cette « subsistance » de l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ ne peut être reconnue en vérité qu’à la seule Eglise catholique, en laquelle l’Eglise du Christ existe pleinement dans sa singularité (ou sa « non multiplicabilité ») comme unique sujet dans la réalité historique.
Toutefois, si le Concile a renoncé à l’« est » de l’identification absolue – corpus christi est ecclesia Romana catholica – pour le remplacer par le verbe « subsistit in » d’acception plus large – Haec ecclesia subsistit in ecclesia catholica – c’est pour manifester que cette identification de l’Eglise du Christ avec l’Eglise catholique romaine n’implique nullement qu’en dehors de l’Eglise catholique, il n’y ait rien. Le Pape Jean-Paul II l’a redit avec force dans son Encyclique Ut Unum sint (n°13) : « En dehors des limites de la communauté catholique, il n'y pas un vide ecclésial. De nombreux éléments de grande valeur qui, dans l'Eglise catholique, s'intègrent dans la plénitude des moyens de salut et des dons de grâce qui font l'Eglise, se trouvent aussi dans les autres Communautés chrétiennes. »
Le verbe « subsister », finalement retenu par les Pères conciliaires, entend donc exprimer qu’en dehors des structures de l’Eglise Catholique romaine, dans les autres Eglises ou Communautés ecclésiales, se trouvent « de nombreux éléments de sanctification et de vérité » (Lumen Gentium, n°8). « Ces communautés ont ainsi sans aucun doute un caractère ecclésial et une valeur salvifique conséquente ». Ces Eglises et Communautés séparées « ne sont nullement dépourvue de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ en effet ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut » (cf. Unitatis redintegratio, n°3). Plus encore, l’Eglise catholique reconnaît que « tout ce qui est accompli par la grâce de l’Esprit Saint dans nos frères séparés peut contribuer à notre édification » (Decret sur l’œcuménisme, 4). Et le Pape Jean-Paul II reconnaissait qu’en « tant qu’Eglise catholique, nous avons conscience d’avoir reçu beaucoup du témoignage, des recherches et même de la manière dont ont été soulignés et vécus par les autres Eglises et Communautés ecclésiales certains biens communs aux chrétiens » (Ut Unum Sint, n° 87). Mais il convient de préciser que leur « force dérive de la plénitude de grâces et de vérité qui a été confié à l’Eglise catholique » (Unitatis redintegratio, n°3). Comme l'affirmait le Pape Pie XI à ce sujet : « Les parcelles détachées d’une roche aurifère sont aurifères elles-aussi ».
Pour autant, l’emploi de l’expression « subsistit in » ne signifie pas qu’il existerait en dehors de l’Eglise catholique d’autres « subsistances » de l’Unique Eglise du Christ ! Il n’existe, en rigueur de termes, qu’une seule et unique « subsistance » : l’Eglise Catholique romaine, en dehors de laquelle n’existent « que » des « elementa Ecclesiae », qui sont des éléments de la véritable Eglise, et qui tendent et conduisent vers l’Eglise catholique. Ces elementa Ecclesiae font de ces Eglises et Communautés de véritables réalités ecclésiales en lesquelles le Seigneur se plaît à répandre ses grâces, ce que l’Eglise catholique reconnaît bien volontiers ainsi que nous venons de le voir ; ils sont cependant insuffisants en eux-mêmes pour caractériser l’appartenance de ces Eglises et Communautés à l’Unique Eglise du Christ. Ces Eglises et Communautés restent affectées en effet par des « déficiences » majeures, des « manques » importants : ainsi en est-il des Eglises orthodoxes, qui ont la succession apostolique mais non pas la communion avec l’évêque de Rome ; ou encore des Communautés protestantes qui n’ont pas la succession apostolique (et donc toute la réalité du sacrement de l’Eucharistie), et ne sont pas davantage en communion avec le successeur de Pierre.
Comme le résumait fort bien le Pape Jean-Paul II : « les éléments [de l’Unique Eglise du Christ] déjà donnée existent, unis dans toute leur plénitude dans l’Eglise catholique, et sans cette plénitude dans les autres communautés » (Ut Unum Sint, n°14).
Le manque d’unité entre les chrétiens, qui est une blessure pour l’Eglise, ne s’analyse donc pas comme une altération ou une privation de son unité, mais comme un obstacle pour la réalisation plénière de son universalité dans l’Histoire. Bien que l’Eglise catholique ait la plénitude des moyens de salut, « les divisions entre chrétiens empêchent l’Eglise de réaliser la plénitude de catholicité qui lui est propre en ceux de ses fils qui, certes, lui appartiennent par le baptême, mais se trouvent séparés de sa pleine communion. Bien plus, pour l’Eglise elle-même, il devient plus difficile d’exprimer sous tous ses aspects la plénitude de la catholicité dans la réalité même de sa vie » (Unitatis redintegratio, n°4). C’est donc la plénitude de l’Eglise catholique, déjà actuelle, qui est appelée à croître dans les frères qui ne sont pas en pleine communion avec elle, mais aussi dans ses fils qui sont pécheurs, « jusqu’à ce que, dans la Jérusalem céleste, le Peuple de Dieu atteigne joyeux la totale plénitude de la gloire éternelle ».
Le dialogue œcuménique doit-il donc être compris comme la tentative d’envisager à terme le « retour » dans l’Eglise Catholique romaine des frères chrétiens égarés ? Eh bien,… pas du tout ! Ecoutons ce que nous enseigne le Pape Benoît XVI à ce sujet : « L’Eglise catholique a en vue d'atteindre la pleine unité visible des disciples de Jésus Christ selon la définition qu'en a donnée le Concile oecuménique Vatican II dans divers de ses documents. Cette unité, selon notre conviction, subsiste, premièrement dans l'Église catholique sans possibilité d'être perdue. L'Église en effet n'a pas totalement disparu du monde. Mais cette unité ne signifie pas pour autant ce que l'on pourrait appeler un oecuménisme du retour : c'est-à-dire être obligé de renier et de répudier sa propre histoire de foi. Absolument pas ! Cela ne signifie pas uniformité dans toutes les expressions de la théologie et de la spiritualité, dans les formes liturgiques et dans la discipline. Unité dans la multiplicité et multiplicité dans l'unité. Le dialogue [entre frères chrétiens doit être compris comme] un échange de dons, dans lequel les Églises et les Communautés ecclésiales peuvent apporter leurs propres trésors. Grâce à cet engagement le chemin peut continuer, pas après pas, jusque [au moment où] finalement, comme le dit la Lettre aux Éphésiens, nous arriverons « tous ensemble à l'unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l'état de l'Homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ » (Ep 4, 13). »
« Il est tout à fait évident, poursuit le Saint Père, qu'un tel dialogue ne peut en définitive se développer que dans une atmosphère de spiritualité sincère et cohérente. Nous ne pouvons pas, par nos seules forces, « faire » l'unité. Nous pouvons seulement l'obtenir comme un don de l'Esprit Saint. » (Cologne, 19 août 2005).
(à suivre…)