2. La seconde objection de Miky au sujet de la théologie naturelle est la suivante : quand bien même serait-elle débarrassée de tout préjugé concernant Dieu, de tout a priori en faveur de son existence, ses conclusions ne sont pas convaincantes. Or, selon Miky : « Si Dieu existe et qu'il est tout-puissant, il peut, s'il veut que je crois en lui, faire en sorte que j'y crois. Puisque je ne crois pas en lui, c'est donc, ou bien qu'il ne souhaite pas particulièrement que je crois en lui, ou bien qu'il n'est pas tout-puissant. Le Dieu en lequel tu crois étant tout-puissant, alors s'il existe, il ne tient pas particulièrement à ce que je crois en lui. Tu vas me dire : "Oui mais Dieu respecte notre liberté". Cela n'a rien à voir. La vérité doit s'imposer à partir du moment où l'on applique la méthode adéquate pour la trouver et qu'elle est accessible. On n'a pas le choix d'y croire ou de ne pas y croire. Je n'ai pas le choix de croire que la Terre est plate, car cela s'impose à moi qu'elle est ronde. (…) [Si les arguments de la théologie naturelle] ne sont pas absolument convaincants et sont sujets à discussion, cela voudra dire que la démonstration en question n'en sera pas une. La vérité du théorème de Pythagore peut être démontrée. Cela veut dire qu'une fois vérifié que le raisonnement est correct, il n'y a plus matière à discussion. L'affaire est close. Connais-tu des religions en géométrie ? Non, bien sûr. Si les arguments de théologie naturelle sont encore discutés aujourd'hui, c'est que précisément, ils ne démontrent rien du tout... Vas-tu enfin l'admettre ? » (Cf. le fil de discussion de l'article "L'impuissance à accueillir la vérité est la maladie de la raison", commentaire n°11 et suivants).
Prenant pour exemple son cas personnel, Miky nous dit que « émotionnellement, je serais plutôt porté à croire, mais intellectuellement, aucun de tes arguments ne me satisfait. Donc j'en conclus qu'il n'y a pas de tels arguments objectifs et rationnels, et donc que Dieu, s'il existe, préserve à 100% ma liberté de croire. Mais cela veut dire aussi que la théologie naturelle est vaine. »
A ceci, je répondrais tout d’abord que : OUI, Dieu nous laisse libre de croire en son existence ou pas.
Comme disait RV au sujet de la résurrection du Christ (mais le raisonnement peut tout à fait être transposé à l’existence de Dieu) : « Je pense qu'il est peut-être un peu maladroit de chercher absolument une preuve irréfutable de la résurrection de Jésus car Dieu travaille surtout dans la discrétion. Autrement dit, il laisse une place à ta liberté (de croire ou de ne pas croire). Si Dieu voulait absolument convaincre les hommes de la résurrection de son Fils, cela lui serait très simple. Il suffirait qu'il fasse entendre sa voix, du haut du ciel, et qu'il dise très fort : "C'est Dieu qui vous parle. Je voudrais dire à tous les hommes de tous les pays que Jésus est vraiment ressuscité. Le catholicisme n'est pas une supercherie". Il pourrait faire cela (puisqu'il peut tout). S'il ne le fait pas, c'est parce qu'il s'y prend autrement avec nous. Il laisse des signes suffisamment clairs pour que notre foi repose sur des bases solides, mais suffisamment discrets pour que personne ne puisse dire : "Je suis obligé (forcé, au sens négatif du terme) de croire. Il n'y a aucune place pour la réflexion et le cheminement personnel. La preuve s'impose à nous". Oui, voilà, je pense que c'est peut-être là l'explication : Dieu ne laisse pas de preuve qui s'impose (au sens négatif du terme) à l'homme. » (Le mystère Jésus, commentaire n°12).
Le Père François Varillon, grand théologien du siècle passé, n'écrivait pas autre chose :
"Dieu seul respecte absolument la liberté de l'homme. Il la crée : ce n'est pas pour la pétrifier ou la violer. C'est pourquoi jamais il ne crie ni n'impose. Il suggère, il propose, il invite. Il ne dit pas "Je veux", mais "Si tu veux..." Des expressions comme "commandements de Dieu", "volonté de Dieu" doivent être critiquées, comprises selon l'amour. Dieu ne reproche pas : il abandonne ce soin à notre conscience. "Il est plus grand que notre coeur" (1 Jn 3. 20). Il reste caché pour n'être pas irrésistible ; son invisibilité est pudeur. Il ne veut pas que nous puissions le "prouver" de telle manière que notre raison soit contrainte. L'indiscrétion, incompatible avec la majesté, signifierait une extension de l'amour de soi : cela même que finalement nous discernons à la racine de nos impérialismes et de nos cléricalismes." (François Varillon, L'humilité de Dieu, Le Centurion 1974, page 91).
Tu ne vas pas t’en tirer comme ça ! me réplique alors Miky. Car « Je ne vois pas comment tu peux concilier les deux. A la fois dire que la métaphysique nous apporte des vraies certitudes quant à l'existence de Dieu, et en même temps affirmer que Dieu nous laisse libre de croire. C'est vouloir concilier la chèvre et le chou. Et que dire de la théologie naturelle ! Elle va contre les desseins de Dieu de préserver notre liberté de croire, puisque son but et de fournir des bonnes raisons de croire en Dieu... »
Sur la théologie naturelle, je renvoie à ce que j'écrivais la semaine dernière à ce sujet : à savoir que son but est de fournir des raisons de croire… aux croyants qui ont choisi librement, par la grâce de Dieu, de croire en Lui.
Sur la métaphysique, je dirais : OUI, elle nous apporte de vraies certitudes. Mais… il est vrai aussi que les vérités métaphysiques n'ont pas la même force contraignante que les vérités dans l'ordre physique.
D'où vient que les vérités métaphysiques n'aient pas la même force de persuasion que les vérités dans l'ordre physique?
Claude Tresmontant, un autre théologien du siècle passé, nous éclaire à ce sujet :
"L'humanité est travaillée par des passions si violentes qu'elle ne parvient pas à s'élever d'une manière unanime jusqu'à la considération du bien commun, et la soumission à ses exigences (...).
"Il est peut-être aisé de se mettre d'accord sur le fait que deux et deux font quatre, car cela nous est indifférent. Mais dès que les intérêts humains entrent en jeu, les passions se mêlent, comme on sait, à la recherche de la vérité. Cela est vrai en science comme en politique et en philosophie.
"En science, les intérêts sont plus subtils. Mais l'histoire des sciences, l'histoire de la physique, de la biologie, de la médecine, montre que les passions jouent un rôle considérable dès lors qu'une découverte nouvelle, une théorie révolutionnaire, vient mettre en question un acquis, un enseignement reçu, des structures mentales habituelles, une vérité que l'on croyait inébranlable. Chaque découverte importante a provoqué, on le sait, une résistance violente de la part des docteurs de la Loi ancienne, aussi bien en physique qu'en astronomie, en chimie, en biologie, en médecine, en psychologie...
"En philosophie, les problèmes soulevés engagent tout l'homme. Les conclusions auxquelles on aboutira comportent des conséquences pratiques, concrètes. Elles seront susceptibles d'exiger des transformations dans la vie même du philosophe qui sera conduit à les reconnaître pour vraies. Comment s'étonner dans ces conditions que les passions, les préférences secrètes, les hostilités inavouées, jouent un rôle dans la conduite du raisonnement, dans le choix des éclairages, dans l'appréciation des arguments?" (Claude Tresmontant, Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu, Editions du Seuil, Livre de Vie, 1966, page 65).
Miky n’ayant pas jugé pertinente la référence à Claude Tresmontant, en raison de la sympathie suspecte que lui porte un Blogueur fantaisiste, je me permets de relever cette citation de Karl Jaspers, philosophe existentialiste allemand, qui reprend en substance la même idée : « Que contrairement aux sciences, la philosophie sous toutes ses formes doive se passer du consensus unanime, voilà qui doit résider dans sa nature même. Ce que l’on cherche à conquérir en elle, ce n’est pas une certitude scientifique, la même pour tout entendement ; il s’agit d’un examen critique au succès duquel l’homme participe de tout son être. Les connaissances scientifiques concernent des objets particuliers et ne sont nullement nécessaires à chacun. En philosophie, il y va de la totalité de l’être, qui importe à l’homme comme tel ; il y va d’une vérité qui, là où elle brille, atteint l’homme plus profondément que n’importe quel savoir scientifique » (Karl Jaspers, Introduction à la philosophie, Librairie Plon, 10/18, 1981, page 6).
Ce caractère non contraignant de la démonstration n’est donc pas propre à la question de l’existence de Dieu. Elle s’étend en vérité à toutes les grandes questions de l’existence humaine.
Ainsi en est-il par exemple de l'Amour.
L'Amour existe-t-il? Oui, on le voit bien, on en fait soi-même l'expérience. Mais voilà : certains n'y croient pas... L'existence de l'Amour peut être démontrée de manière rationnelle à partir de la réalité objective (les mariages, les témoignages de ceux qui en vivent...), mais les arguments invoqués ne seront jamais absolument convaincants pour qui n’en aura pas fait soi-même l’expérience, et toujours sujets à discussion (à partir du chiffre des divorces, des témoignages contraires...).
Si on ne croit pas en l'amour, et que l’on rechigne de surcroît à en faire soi-même l'expérience, alors les choses se compliqueront quasi-irrémédiablement : on se donnera peu de chances de pouvoir un jour le rencontrer...
Eh bien, ainsi en est-il de l’existence de Dieu ! La démonstration reste objectivement convaincante, et suffit à donner de vraies certitudes (j'y renvoie mes lecteurs : http://totus-tuus.over-blog.com/article-7006879.html), mais elle n’est pas contraignante à la manière des vérités scientifiques rappelées par Miky.
Elle est édifiante, mais non contraignante.
Comme pour l’Amour, elle emportera définitivement la conviction lorsqu’elle se trouvera confirmée par l’expérience personnelle.
« D'où je dois en déduire que la seule manière d'avoir la preuve de l'existence de Dieu est de le rencontrer soi-même. » rétorque Miky.
Pas tout à fait : à moins d’une intervention divine fulgurante à la Saint Paul (toujours possible : Dieu est souverainement libre de se révéler aux hommes comme Il veut), ce sont bien plutôt en général les preuves de l’existence de Dieu qui vont nous conduire à tenter l’expérience de la foi, à rechercher la rencontre avec Dieu : pour tenter une expérience en effet, il faut avoir de bonnes raisons de la tenter. Mais c’est la seule expérience qui validera ces preuves en dernier ressort, et qui nous en révèlera toute la valeur ; c’est elle en définitive qui aura le dernier mot. Mais qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? N’en est-il pas de même dans le domaine scientifique ?
En conclusion : Dieu, dans sa grande Sagesse nous donne les moyens de croire avec certitude en son existence, mais il ne nous y contraint pas ; là est son génie : de pouvoir nous communiquer une vraie certitude, sans que cette certitude nous écrase et ne s’impose à nous de l’extérieur avec la même force contraignante qu’une démonstration mathématique. Oui, c’est le génie de Dieu d’avoir permis qu’il en soit ainsi ; je dirais même plus : cela seul est digne de Lui.