Je me suis récemment inscrit à la Fraternité des âmes délaissées du Purgatoire. Cette Fraternité dépend du sanctuaire de Notre-Dame de Montligeon, et moyennant une offrande symbolique (30 €), je me trouve lié spirituellement et perpétuellement aux membres de cette « paroisse invisible » et sans frontières qui compte plusieurs millions d’adhérents de par le monde. Je bénéficie en particulier des grâces obtenues par la célébration de toutes les messes, ce qui constitue un précieux soutien dans ma vie quotidienne de foi et de prière.
Cette adhésion m’a valu un abonnement gratuit de 6 mois à la revue du Sanctuaire : « Chemins d’éternité ». J’ai reçu cette semaine la livraison des mois de novembre/décembre 2009 consacrée aux Indulgences, et je voudrais vous partager ma joie et mes découvertes à la lecture de ce numéro vraiment indispensable que je ne saurais que trop vous recommander.
« Le sujet des indulgences pose aux chrétiens de nombreuses questions, introduit l’éditorial du Père Paul Préaux, recteur de la Basilique de Notre-Dame de Montligeon. Il s’agit, il est vrai d’un sujet délicat, à l’origine de ruptures dramatiques » (p. 3).
Le Père Jean-Robert Armogathe, aumônier de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, rappelle à cet égard le grand conflit ayant opposé Martin Luther à l’Eglise catholique, coupable à ses yeux d’« abus récurrents, le principal étant la simonie, le trafic de ces indulgences. ». Il a fallu tout le travail des Papes et des évêques pour « canaliser une piété populaire attachée à cette pratique : il fallait surtout éviter la spéculation sur l’au-delà » (p. 18). On ne marchande pas l’amour de Dieu.
Les mentalités catholiques d’aujourd’hui restent manifestement marquées par les conflits et abus d’autrefois. Car de fait, la pratique des indulgences semble plutôt délaissée par les fidèles. « Ce qui est étonnant, remarque le P. Préaux, c’est que devant la richesse d’un tel trésor dont nous sommes dépositaires, bien peu de catholiques se sentent impliqués ». La revue « Chemins d’éternité » nous invite donc à redécouvrir ce grand don des Indulgences et à en tirer tout le profit spirituel qui s'y trouve attaché : « soyons indulgents avec les indulgences ! » nous exhorte le P. Préaux.
Mais de quoi parle-t-on au juste ? « En latin, l’indulgence n’a rien à voir avec la vertu de ce nom en français : c’est une remise de peine » (P. Armogathe). Quelle peine ? Celle causée par notre attachement au péché. On pourrait entendre ici le mot « peine » non pas tant dans son acception pénale que dans le sens où le péché nous rend « triste ». On se souvient de la péricope du jeune homme riche dans l’Evangile, qui après avoir interrogé Jésus sur les moyens d’aller au Ciel, repart « tout triste parce qu’il avait de grands biens » (Mt 19. 22)… Le péché nous aliène et nous rend malheureux (même si nous avons le sentiment du contraire). Or, c’est de cette misère qu’il convient précisément d’être détaché. Ce détachement peut-être un véritable arrachement, à raison du profond enracinement du péché dans notre cœur. Et c’est ce qui explique sans doute la souffrance des âmes du Purgatoire. Mais cette souffrance nous délivre d’une douleur encore plus grande : celle qui résulte de notre éloignement de Dieu, notre seul vrai bonheur. En outre, elle n’est pas inévitable : les indulgences nous en libèrent. Preuve s’il en était besoin que ce n’est pas la souffrance en tant que telle qui purifie, mais bien l'Amour de Dieu.
Mais si tel est vraiment le cas, pourquoi alors le sacrement de réconciliation (qui est par excellence le sacrement de l'Amour de Dieu) n’efface-t-il pas toute la peine causée par le péché ? Parce que si le pardon des péchés a pour effet de remettre effectivement la dette du pécheur et de le rétablir dans sa dignité d’enfant de Dieu, il reste à l’homme de se mettre en mouvement pour manifester l’adhésion de sa liberté à cette toute nouvelle condition qui résulte de la grâce sacramentelle. Cette mise en mouvement est une exigence intrinsèque au don de la Miséricorde. Car une fois relevé, il n’est pas possible de faire comme s’il ne s’était rien passé, comme si la faute n’avait pas été commise, comme si elle n’avait pas eu de conséquences. Je dois m’efforcer de réparer ce qui peut l’être ; c’est là une nécessité de l’Amour même. Si je n’y procédais pas, je manifesterais une bien grande ingratitude qui me maintiendrait dans l’égoïsme et donc, dans le péché. Pour sortir du péché, me purifier de l’égoïsme et en guérir, le pardon reçu ne suffit pas : je dois encore poser un acte d’amour qui va me resituer dans la Justice ; et c’est cet acte qui va parachever l’œuvre de la Miséricorde accomplie dans le sacrement du pardon (cf. Mt 18. 23-34). Celui-ci ne peut donc produire ses fruits de guérison qu’en tant que l’homme participe lui-même activement à la réparation du péché commis.
Pour mieux comprendre ce lien entre pardon de Dieu et réparation de l'homme, Don François-Regis Moreau, prêtre de la Communauté Saint-Martin, nous donne une image : celle « d’un enfant qui aurait cassé un vase à la maison : il va demander pardon à ses parents, et sa faute est effacée ; mais il n’en demeure pas mois que le vase reste brisé ! » Le pénitent est donc invité à réparer son péché. C’est là la « peine » due au péché ; une exigence de la Miséricorde même qu'il a reçue et dont il vit désormais, à charge pour lui de le manifester dans ses actes.
« Tous les théologiens chrétiens conviennent de l’objectivité de la blessure que cause le péché. Luther rejetait fermement toute tentative d’alléger la pénitence qu’impliquait cette sanctification. Tout péché est une atteinte à l’ordre du monde. Le repentir permet d’obtenir le pardon de Dieu et la réintégration du pécheur dans la communion ; mais ce qui a été cassé ne peut être que réparé, recollé. Il reste une trace matérielle du mal causé, y compris dans le pécheur lui-même : l’homme doit être progressivement guéri des conséquences négatives que le péché a causées en lui. » (P. J.-R. Armogathe, p. 19).
Le don de l'indulgence (par laquelle l’exigence de réparation est totalement ou partiellement satisfaite) est donc indéfectiblement lié, lui aussi, au sacrement du pardon. « Le sacrement de réconciliation vient rétablir mon lien avec Dieu. L’indulgence elle, vient une fois que le sacrement du pardon a été donné. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un après l’autre. » (Père Jean-Philippe Nault, recteur du sanctuaire d’Ars, p. 1). « La théologie catholique (…) situe les indulgences dans le contexte de l’agir sacramentel du Christ-Rédempteur à travers le sacrement de réconciliation pénitente » (P. Bertrand de Margerie, in Le Mystère des Indulgences, editions P. Lethielleux, cité p. 13).
Le Père Nault évoque à ce sujet la distinction classique entre la « peine éternelle » et la « peine temporelle » dues au péché. La peine éternelle est celle qui résulte du péché, en tant qu’il me coupe de Dieu. Le peine est dite éternelle « parce qu’elle dure tant que je ne reviens pas à Dieu ». « Quand je vais me confesser, je renoue ce lien plus ou moins abîmé ».
La « peine temporelle » est celle qui résulte des conséquences du péché, qui laisse des séquelles plus ou moins graves selon la gravité de la faute commise. Cette peine est satisfaite par les bonnes oeuvres du pénitent, ou dans le Purgatoire… à moins qu’elle ne soit purement et simplement remise par la grâce de l’indulgence. La pratique de l’indulgence constitue ainsi « une application concrète du principe selon lequel, dans le Royaume de Dieu, tout est DON, don grâcieux et immérité, et en même temps – dans le mystère de la Providence divine – [un rappel de ce que] nous sommes appelés, dès maintenant, à coopérer humblement à l’édification de ce Royaume. » (P. Préaux, p. 3).
Les indulgences sont accordées par le Pape, successeur de Saint Pierre, en vertu du « pouvoir des clés » qui lui a été conféré par le Christ : « Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux » (Mt. 16. 19). Elles puisent dans le trésor de la communion des Saints, « constitué des satisfactions surabondantes de Jésus-Christ, de la Vierge et de tous les Saints » : « Nous participons au merveilleux échange des biens spirituels dans lequel la sainteté de l’un profite aux autres, bien au-delà des dommages que le péché de l’un a pu causer aux autres » (Jeanine le Goff, p. 14). Les indulgences ne contredisent pas la Justice divine, puisqu’en les obtenant, nous nous approprions les mérites du Seigneur Jésus et de tous les Saints du ciel ; nous faisons nôtres leurs propres mérites, et leurs propres actes de réparation. Nos péchés sont donc bien réparés et la peine temporelle satisfaite, mais par d’autres que nous, en vertu de la solidarité qui nous unis dans le Christ. Pour reprendre notre exemple de l’enfant qui a cassé le vase, il faut imaginer qu’il soit aidé dans son acte de réparation par sa maman et sa grande sœur. Or, l’Eglise est une grande famille ! Par la pratique de l’indulgence, nos frères et sœurs aînés dans la foi viennent à notre secours et font l'essentiel du "travail", par la grâce de Dieu. C'est ainsi que « dans l’indulgence, il y a un surplus de miséricorde » (P. Nault). Jean-Paul II parlait de l'indulgence comme du « don total de la miséricorde ».
Il pourra paraître choquant à certains que le sacrifice du Seigneur Jésus-Christ sur la Croix ne suffisent pas à tout réparer. Mais quand on y réfléchit, cela renvoi à une vérité très profonde de notre foi, à savoir que « Dieu fait tout pour nous, mais pas en dehors de nous » (Jeanine Le Goff). Si Dieu agissait sans nous, il manquerait quelque chose. Or, c’est ce manque que nos œuvres viennent combler. Non pas les œuvres de la loi, qui ne sanctifient pas, mais les œuvres de la foi, dont parle St Jacques dans son Epître (2. 14-26). Les œuvres de la foi viennent compléter « ce qui manque aux souffrances du Christ pour son Corps qui est l’Eglise » (Rm 1. 24). Le P. Armogathe nous invite à contempler l’Eglise décrite dans l’Apocalypse comme l’épouse vêtue d’une simple robe de lin blanc, d’une étoffe pure et resplendissante, lequel lin blanc représente selon Saint Jean « les bonnes actions des Saints ».
En conséquence, si le Royaume de Dieu est un don gratuit que nous ne pouvons pas « mériter » par nos « bonnes œuvres », il n’en demeure pas mois que « notre agir n’est pas indifférent devant Dieu et qu’il n’est donc pas non plus indifférent pour le déroulement de l’Histoire. Nous pouvons nous ouvrir nous-mêmes, ainsi que le monde, à l’entrée de Dieu : de la vérité, de l’amour, du bien. C’est ce qu’ont fait les Saints, qui, comme « collaborateurs de Dieu » ont contribué au Salut du monde (cf. 1 Co 3. 9 ; 1 Th. 3. 2). Nous pouvons libérer notre vie et le monde des empoisonnements et des pollutions qui pourraient détruire le présent et l’avenir. » (Benoît XVI, Encyclique Spe Salvi, n°35).
« Le Christ est l’unique Sauveur des hommes, affirme Jeanine le Goff, mais Il a besoin de nous comme Il a eu besoin de Marie pour que son Fils vienne sur terre » (p. 14).
Si les indulgences nous permettent d'échapper à la peine temporelle due au péché par la grâce de Dieu et les mérites des Saints, elles s'inscrivent dans une démarche de pénitence (dont nous ne sommes pas affranchis) et de conversion (dont nous ne pouvons faire l'économie) : c’est la raison pour laquelle leur réception est conditionnée à un certain nombre de pratiques, destinées à manifester notre repentir. Par exemple, à l’occasion du Jubilé célébré à Ars pour le 150e anniversaire de la mort du Saint Curé, une démarche en cinq points a été proposée aux pèlerins :
« 1) passer la Porte Sainte, c’est-à-dire poser un acte de foi, choisir le Christ comme unique Sauveur et donc refuser ce qui m’en éloigne ;
2) se laisser laver par la Miséricorde dans le sacrement de pénitence ;
3) se laisser nourrir par Dieu par l’Eucharistie et la communion ;
4) prendre un temps de prière aux intentions du Saint Père (…) ;
5) choisir un acte de charité et le mettre en œuvre.
Il s’agit ainsi d’ouvrir notre cœur et d’entrer, avec la grâce de Dieu, dans un chemin de conversion et donc de sainteté ». (P. Nault, p. 11 et 12).
C’est donc à la mesure de notre amour que nous recevons le don des indulgences. Celles-ci n'ont aucun caractère magique. Ainsi qu’il en est également de la prière ou du sacrement de réconciliation, la grâce de l'indulgence n’agit que dans la mesure où mon cœur est suffisamment ouvert pour la recevoir. Il en résulte que l’indulgence ne présente aucun caractère automatique. « La théologie catholique (…) ne peut nullement garantir que, même dans le cas de l’indulgence plénière, la peine temporelle encore due au péché est entièrement remise par Dieu. Pour l’Eglise, la conversion est toujours nécessaire, sinon l’indulgence plénière ne serait qu’illusion. Pas d’indulgence plénière sans contrition parfaite » (P. Bertrand de Margerie, p. 13).
Rappelons ici que les indulgences peuvent être obtenues pour soi-même ou pour nos frères défunts ; que si nous ne pouvons en faire bénéficier des frères ou des sœurs vivants (en raison de l’exigence de conversion que leur réception suppose, et que nous ne pouvons satisfaire à leur place), nous pouvons les appliquer à nos frères défunts qui, eux, ne peuvent plus rien pour leur propre sanctification. « En clair, (…) ces âmes ont besoin de notre prière pour que le Seigneur leur donne les soins nécessaires. C’est un bien grand mystère qui peut étonner, voire même choquer. Mais si l’on prend le parti de se dire que l’Eglise est inspirée, on peut trouver magnifique que Dieu nous veuille aussi solidaire les uns des autres ; tant dans le mal que dans le bien. En somme, comme dans une famille ! » (Florent Triadot, p. 21).
Vous trouverez également dans ce remarquable dernier numéro de « Chemins d’espérance » un témoignage poignant de Tim Guénard, raconté par son épouse (vous saurez pourquoi en lisant la revue). Et aussi un petit livret contenant quelques prières indulgenciées (pleinement ou partiellement) qui est un trésor à soi tout seul. Saviez-vous ainsi qu’adorer le Seigneur une demi-heure devant le Saint Sacrement nous vaut une indulgence plénière ? Qu’il en est ainsi également avec la prière du Rosaire ? Que le fait pour les fidèles de chanter à la messe le « Âme du Christ » de Saint Ignace de Loyola en action de grâce après la communion leur obtient une indulgence partielle ?...
Redécouvrons donc ce trésor des indulgences afin de plonger dans le cœur de la Miséricorde divine, et cueillir ainsi abondamment les fruits de notre Rédemption. « Rendez-vous compte qu’un fidèle qui fait une démarche d’indulgence en vérité et meurt peut aller directement au Ciel ! » (P. Nault, p. 13)
Ø Pour approfondir la réflexion sur les notions de réparation et de Justice, sur les indulgences et le Purgatoire, relire "La réparation, le feu purificateur et la Justice de Dieu"
Ø Pour approfondir la réflexion sur les fins dernières, relire "Réflexions et méditations sur les fins dernières"