Extrait de l’homélie prononcée par le Pape Benoît XVI lors de l’ordination épiscopale de cinq nouveaux prélats, le 12 septembre 2009.
Chers frères et sœurs!
Nous saluons avec affection et nous nous unissons cordialement à la joie de nos cinq frères prêtres, que le Seigneur a appelés à être successeurs des Apôtres (…). Je suis reconnaissant à chacun d'eux pour le service fidèle qu'ils ont rendu à l'Eglise en travaillant à la Secrétairerie d'Etat ou à la Congrégation pour la doctrine de la foi ou au Gouvernorat de l'Etat de la Cité du Vatican, et je suis certain que, avec le même amour pour le Christ et le même zèle pour les âmes, ils accompliront dans leurs nouveaux domaines d'action pastorale le ministère qui leur est confié aujourd'hui à travers l'ordination épiscopale. Selon la Tradition apostolique, ce Sacrement est conféré à travers l'imposition des mains et la prière. L'imposition des mains se déroule en silence. La parole humaine se tait. L'âme s'ouvre en silence à Dieu, dont la main se tend vers l'homme, l'attire à lui et, dans le même temps, le couvre pour le protéger, afin que par la suite, il soit entièrement la propriété de Dieu, il lui appartienne entièrement et introduise les hommes dans les mains de Dieu. Mais, comme deuxième élément fondamental de l'acte de consécration, vient ensuite la prière. L'ordination épiscopale est un événement de prière. Aucun homme ne peut faire d'un autre un prêtre ou un évêque. C'est le Seigneur lui-même qui, à travers la parole de la prière et le geste de l'imposition des mains, prend cet homme entièrement à son service, l'attire dans son propre Sacerdoce. C'est lui qui consacre les évêques. C'est lui qui consacre les élus. C'est lui, l'unique Prêtre suprême, qui a offert l'unique sacrifice pour nous tous, qui lui accorde la participation à son Sacerdoce, afin que sa Parole et que son œuvre soient présentes en tout temps.
En vertu de ce lien entre la prière et l'action du Christ sur l'homme, l'Eglise a développé dans sa Liturgie un signe éloquent. Au cours de la prière d'ordination, on ouvre sur le candidat l'Evangéliaire, le Livre de la Parole de Dieu. L'Evangile doit pénétrer en lui, la Parole vivante de Dieu doit, pour ainsi dire, l'imprégner. L'Evangile, au fond, n'est pas seulement parole – le Christ lui-même est l'Evangile. A travers la Parole, la vie même du Christ doit imprégner l'homme, afin qu'il devienne entièrement un avec Lui, que le Christ vive en Lui et donne à sa vie sa forme et son contenu. De cette manière, doit se réaliser en lui ce qui dans les lectures de la Liturgie d'aujourd'hui apparaît comme l'essence du ministère sacerdotal du Christ. Le consacré doit être empli de l'Esprit de Dieu et vivre à partir de Lui. Il doit apporter aux pauvres l'annonce joyeuse, la liberté véritable et l'espérance qui fait vivre l'homme et le guérit. Il doit établir le Sacerdoce du Christ au milieu des hommes, le Sacerdoce à la façon de Melchisedek, c'est-à-dire le royaume de la justice et de la paix. Comme les 72 disciples envoyés par le Seigneur, il doit être une personne qui apporte la guérison, qui aide à guérir la blessure intérieure de l'homme, son éloignement de Dieu. Le premier bien essentiel dont l'homme a besoin est la proximité de Dieu lui-même. Le royaume de Dieu, dont il est question dans le passage évangélique d'aujourd'hui, n'est pas quelque chose "à côté de Dieu", une condition quelconque du monde : c'est tout simplement la présence de Dieu lui-même, qui est la force véritablement guérissante.
Jésus a résumé tous ces multiples aspects de son Sacerdoce dans cette unique phrase : "Le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir" (Mc 10, 45). Servir et à travers cela se donner soi-même ; être non pour soi-même, mais pour les autres, de la part de Dieu et en vue de Dieu : tel est le cœur le plus profond de la mission de Jésus Christ et également la véritable essence de son Sacerdoce. Ainsi, il a fait du terme "serviteur" son titre honorifique le plus élevé. A travers cela, il a accompli un renversement des valeurs, il nous a donné une nouvelle image de Dieu et de l'homme. Jésus ne vient pas comme l'un des maîtres de ce monde, mais c'est Lui, qui est le véritable Maître, qui vient comme serviteur. Son Sacerdoce n'est pas domination, mais service : tel est le nouveau Sacerdoce de Jésus Christ à la façon de Melchisedek.
Saint Paul a formulé l'essence du ministère apostolique et sacerdotal de façon très claire. Face aux disputes qui existaient au sein de l'Eglise de Corinthe entre des courants divers qui se référaient à des apôtres divers, il demande : Mais qu'est-ce qu'un Apôtre? Qu'est-ce qu'Apollos? Qu'est-ce que Paul? Ce sont des serviteurs, chacun d'eux selon ce que le Seigneur lui a donné (cf. 1 Co 3, 5). "Qu'on nous regarde donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. Or, ce qu'en fin de compte on demande, c'est que chacun soit trouvé fidèle" (1 Co 4, 1sq). A Jérusalem, au cours de sa dernière semaine de vie, Jésus lui-même a parlé dans deux paraboles de ces serviteurs auxquels le Seigneur confie ses biens dans le temps du monde, et y a relevé trois caractéristiques qui distinguent la façon juste de servir, dans lesquelles se concrétise aussi l'image du ministère sacerdotal. Jetons un bref regard sur ces caractéristiques, pour contempler, avec les yeux de Jésus lui-même, le devoir que vous, chers amis, êtes appelés à assumer en cette heure.
La première caractéristique que le Seigneur demande au serviteur est la fidélité. Il lui a été confié un grand bien, qui ne lui appartient pas. L'Eglise n'est pas notre Eglise, mais son Eglise, l'Eglise de Dieu. Le serviteur doit rendre compte de la façon dont il a géré le bien qui lui a été confié. Ne lions pas les hommes à nous ; ne recherchons pas le pouvoir, le prestige, l'estime pour nous-mêmes. Conduisons les hommes vers Jésus Christ, et ainsi, vers le Dieu vivant. A travers cela, nous les introduisons dans la vérité et la liberté, qui découle de la vérité. La fidélité est altruisme, et précisément ainsi, elle est libératrice pour le ministre lui-même et pour tous ceux qui lui sont confiés. Nous savons que dans la société civile, et souvent, même dans l'Eglise, les affaires souffrent du fait que beaucoup de personnes, auxquelles a été confiée une responsabilité, œuvrent pour elles-mêmes et non pas pour la communauté, pour le bien commun. Le Seigneur trace en quelques lignes une image du mauvais serviteur qui se met à faire ripaille et à frapper ses employés, trahissant ainsi l'essence de sa charge. En grec, le mot qui indique la "fidélité" coïncide avec celui qui indique la "foi". La fidélité du serviteur de Jésus Christ consiste précisément également dans le fait qu'il ne cherche pas à adapter la foi aux modes du temps. Seul le Christ possède les paroles de vie éternelle, et nous devons apporter ces paroles aux personnes. Elles sont le bien le plus précieux qui nous a été confié. Une telle fidélité n'a rien de stérile, ni de statique ; elle est créative. Le maître réprimande le serviteur, qui avait caché sous terre le bien qui lui avait été confié pour éviter tout risque. Avec cette apparente fidélité, le serviteur a en réalité laissé de côté le bien du maître, pour pouvoir se consacrer uniquement à ses propres affaires. La fidélité ne signifie pas la peur, mais elle est inspirée par l'amour et par son dynamisme. Le maître loue le serviteur qui a fait fructifier ses biens. La foi exige d'être transmise : elle ne nous a pas été confiée uniquement pour nous-mêmes, pour le salut personnel de notre âme, mais pour les autres, pour ce monde et pour notre temps. Nous devons la situer dans ce monde, afin qu'elle devienne en lui une force vivante; pour faire croître en lui la présence de Dieu.
La deuxième caractéristique, que Jésus demande à son serviteur, est la prudence. Il faut tout de suite écarter un malentendu. La prudence est quelque chose de différent de l'astuce. La prudence, selon la tradition philosophique grecque, est la première des vertus cardinales ; elle indique le primat de la vérité, qui à travers la "prudence" devient le critère de notre action. La prudence exige la raison humble, disciplinée et vigilante, qui ne se laisse pas éblouir par des préjugés ; elle ne juge pas selon les désirs et les passions, mais elle recherche la vérité – également la vérité qui dérange. La prudence signifie se mettre à la recherche de la vérité et agir d'une manière qui lui soit conforme. Le serviteur prudent est tout d'abord un homme de vérité et un homme à la raison sincère. Dieu, au moyen de Jésus Christ, nous a ouvert la fenêtre de la vérité qui, face à nos seules forces, reste souvent étroite et seulement en partie transparente. Il nous indique dans l'Ecriture Sainte et dans la foi de l'Eglise la vérité essentielle sur l'homme, qui imprime la juste direction à notre action. Ainsi, la première vertu cardinale du prêtre ministre de Jésus Christ consiste à se laisser façonner par la vérité que le Christ nous montre. De cette manière, nous devenons des hommes vraiment raisonnables, qui jugent à partir de l'ensemble et non à partir de détails au hasard. Ne nous laissons pas guider par la petite fenêtre de notre astuce personnelle, mais par la grande fenêtre, que le Christ nous a ouverte sur la vérité tout entière, regardons le monde et les hommes et reconnaissons ainsi ce qui compte vraiment dans la vie.
La troisième caractéristique dont Jésus parle dans les paraboles du serviteur est la bonté : "Très bien, serviteur bon et fidèle... entre dans la joie de ton maître" (Mt 25, 21.23). Ce que l'on entend par la caractéristique de la "bonté" peut nous devenir clair, si nous pensons à la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche. Cet homme s'était adressé à Jésus en l'appelant : "Bon Maître" et il reçut une réponse surprenante : "Pourquoi m'appelles-tu bon? Personne n'est bon, sinon Dieu seul" (Mc 10, 17sq). Seul Dieu est bon au sens plénier. Il est le Bien, le Bon par excellence, la Bonté en personne. Chez une créature – chez l'homme – être bon se fonde donc nécessairement sur une profonde orientation intérieure vers Dieu. La bonté s'accroît avec l'union intérieure au Dieu vivant. La bonté présuppose surtout une communion vivante avec le Bon Dieu, une union intérieure croissante avec Lui. Et de fait : de qui d'autre pourrait-on apprendre la véritable bonté sinon de Celui qui nous a aimés jusqu'à la fin, jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1)? Nous devenons des serviteurs bons à travers notre rapport vivant avec Jésus Christ. C'est seulement si notre vie se déroule dans le dialogue avec Lui, seulement si son être, ses caractéristiques pénètrent en nous et nous façonnent, que nous pouvons devenir des serviteurs vraiment bons.
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