Nous poursuivons notre lecture de Genèse 1.
Nous avons médité jusqu’ici le verset 1 : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ».
Nous commençons aujourd’hui le verset 2 : « La terre était informe et vide, les ténèbres couvraient l’abîme et le souffle de Dieu planait sur les eaux ».
« La terre était informe et vide »… En hébreu : « tohou vabohou » – d’où provient le mot « tohu bohu » en français...
Le premier de ces mots (« tohu ») a pour racine le mot hébreu « taha » qui signifie « être désert ». Il s’emploie dans la Bible pour désigner une terre ou une ville dévastée (cf. Job 12. 24 ; 26. 7, Is. 24. 10). Le Tohu Bohu se présente donc comme un lieu inhabitable, comme peut l’être un désert brûlant et lugubre ; une terre hostile et désolée. Le désert, c’est aussi l’absence de chemin et de tout repère (Job 6. 18 ; 12. 24).
Le second des mots (« bohu »), plus rare, vient, lui, d’une racine qui signifie « être vide ». Il sert plutôt ici à renforcer le premier (« tohu ») qu’à exprimer une idée nouvelle : ils forment tous deux ensemble une locution unique en hébreu que l’on retrouve telle quelle dans la Bible, par exemple en Jérémie 4. 23 pour désigner un manque absolu d’êtres et de lumière (cf. aussi Is. 34. 11 où elle exprime une destruction totale).
Cela dit, l’expression « tohu-bohu » s’applique tout autant à une dévastation ou une destruction qu’à une matière non organisée (ce qui est le cas dans notre texte) ; à l’état originaire d’une matière brute dans laquelle aucun être ne se distinguait. Cet état primitif de la matière n’est pas mauvais ni anormal : il est seulement... primitif : c’est l’état de la « terre » telle qu’elle est sortie des mains du Créateur.
« La Création s’est donc opérée en deux temps, si l’on peut dire : Dieu a d’abord fait surgir du néant une matière informe et indéfinie, avant d’y faire ensuite le ménage » (P. Manaranche, in « En séparant le sable et l’eau », Le Sarment Fayard).
« Dieu a d’abord fait surgir du néant une matière informe et indéfinie… » Insistons sur ce point. Car certains ont prétendu ici (et ailleurs) que le Tohu Bohu n’avait pas été créé par Dieu – ou disons : pouvait ne pas avoir été créé par Dieu ; qu’il pouvait donc avoir pré-existé à l’acte créateur de Dieu – duquel il ne serait pas lui-même issu...
[Pour ceux qui voudraient se replonger dans ce passionnant débat avec le pasteur protestant Eric Georges – que je salue fraternellement en passant – voici les liens avec les articles concernés :
- Ce que nous enseignent les sciences de la nature
- La confession de foi de Calvin
- Tohu Bohu]
Il est vrai que le premier verset de la Bible ne fait pas explicitement référence à une Création ex-nihilo. Et que le texte littéral de Gn 1.1 n’interdit pas a priori de penser que le Tohu Bohu puisse avoir été là, dès l’origine, dès avant le premier acte créateur de Dieu – échappant ainsi lui-même à cet acte créateur.
Mais il est tout aussi vrai :
* que le verbe employé pour désigner l’acte créateur de Dieu (« bara ») ne s’applique dans la Bible… qu’à Dieu et à Lui seul (et non aux hommes – comme pour signifier que Dieu crée « le ciel et la terre » d’une manière dont Lui seul est capable) ;
* que le judaïsme orthodoxe a toujours compris ce texte de Gn 1.1 dans le sens d’une Création ex-nihilo ;
* que l’Ecriture elle-même confirme la Création ex-nihilo plus loin (dans la Bible) et plus tôt (dans l’Histoire) : ainsi, dans le 2e livre des Macchabées, la mère des 7 fils dit à l’un d’entre eux : « Mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a faits de rien et que la race des hommes est faite de la même manière » (2 M 7. 28).
L’Ecriture Sainte affirme donc très explicitement que Dieu a créé « le ciel et la terre » (c’est-à-dire : la totalité de l’univers visible et invisible)... à partir de rien, du néant.
« Nous croyons que Dieu n’a besoin de rien de préexistant ni d’aucune aide pour créer. La Création n’est pas non plus une émanation nécessaire de la substance divine », comme l’affirme la tradition métaphysique moniste qui nous vient de l’Inde ancienne, reprise plus tard par Plotin et Spinoza. « Dieu crée librement de rien. » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, § 296) : « Quoi d’extraordinaire si Dieu avait tiré le monde d’une matière préexistante ? Un artisan humain, quand on lui donne un matériau, en fait tout ce qu’il veut. Tandis que la puissance de Dieu se montre précisément quand Il part du néant pour faire tout ce qu’il veut. » (St Théophile d’Antioche).
Il n’est donc pas conforme à l’Ecriture sainte, pas davantage qu’aux traditions d’interprétation du judaïsme orthodoxe et du christianisme orthodoxe, de penser que le Tohu Bohu ait pu échapper à l’acte créateur de Dieu ; qu’il n’est pas lui-même créé, et créé à partir de rien.
De rien… c'est-à-dire du néant.
J’entends tout de suite l’objection : « Mais Matthieu, tu nous as dit que le néant n’existait pas ! Comment peux-tu dire que l’univers vient du néant… si le néant n’existe pas ? si du néant rien ne peut sortir ? »
Du néant, rien ne peut surgir spontanément, c’est entendu. Le néant, par définition, est stérile ; le néant, par définition, c’est l’absence de tout être. Or, de l’absence de tout être, de la négation de l’être, du non-être, ne peut sortir aucun être… c’est là une impossibilité absolue qui s’impose à nous… sauf à renoncer à l’exercice de la raison ! De « rien » ne peut sortir « quelque chose »…
Mais précisément, Dieu, ce n’est pas « rien »… Dieu, c’est « quelque chose » ; Dieu, c’est même « quelqu’un ». C’est un Être – l’Être absolu : « Je suis Celui qui Suis » dira-t-Il à Moïse dans la révélation du Buisson ardent (cf. Ex 3. 14).
Donc : si le ciel et la terre ont été créé de rien (c'est-à-dire : de l'absence de "ciel" et de "terre"), ils n’ont pas été créé par rien. La nuance est d’importance, car un certain athéisme voudrait nous faire croire que l’univers a été créé par rien – ce qui est impensable. Le judaïsme orthodoxe et le christianisme orthodoxe n’affirment rien de tel : l’univers n’a pas été créé par rien, mais par Dieu de rien – ce qui est pensable, quoique mystérieux.
De rien, et non par rien ; de rien, et non de Dieu, car l’être de l’univers n’est pas une émanation de Dieu – autrement, il en aurait tous les caractères : l’éternité, l’infinité, l’immutabilité… en vertu de l’identité de nature.