Texte de la Newsletter n°6 (publiée le 13 juin 2010) du Groupe Facebook consacré à l'oeuvre de Claude Tresmontant, l'un des plus grands métaphysiciens du siècle passé – qui réfuta magistralement l'athéisme.
La métaphysique idéaliste, acosmique et moniste procède, avons-nous dit, par déduction. Partant d’un postulat posé arbitrairement au départ, elle déduit une cosmologie, une vision de l’univers en cohérence avec l’affirmation selon laquelle l’être (le seul existant) est éternel. Et tant pis si les sciences expérimentales viennent contredire cette vision du monde : les conclusions erronées des savants n’auront qu’à être « sacrifiées » !
Nous avons vu que c’était là le point de vue de Ernest Haeckel (cf. Newsletter n°4). C’est aussi la pensée de Friedrich Engels (XIXe siècle). Pour Engels, si la nature est en régime de croissance, d’évolution, de transformation, cela ne peut être que de manière cyclique. La nature se meut en des cycles se succédant éternellement : « La physique, comme l’astronomie, était parvenue à un résultat qui conduisait à reconnaître avec nécessité finalement l’éternel mouvement circulaire de la matière qui se transforme (…). Tout ce qui était particulier et tenu pour éternel devenait périssable, et la nature toute entière était démontrée se mouvoir dans un flux et un mouvement circulaire éternels » (in « Dialektik der Natur »).
Le problème, le tout petit problème… c’est que deux siècles après Engels, « nous n’avons toujours pas la moindre trace d’un tel processus de régénération de la matière dégénérée. » Non seulement nous ne pouvons pas affirmer que la matière se régénère, « mais toute l’expérience nous enseigne le contraire. Nous ne trouvons nulle part dans la nature, dans l’Univers, de trace d’un cycle éternel. Nous trouvons partout les indications qui nous enseignent que l’Univers est un processus évolutif irréversible » (Claude Tresmontant, « Les problèmes de l’athéisme », Seuil 1972, p. 172-175).
Engels procède donc à la manière de toute la tradition métaphysique idéaliste qui va de Parménide à Descartes, Spinoza et Wolff – celle que Kant a connue et critiquée. « Paradoxe : Engels qui n’a pas assez de sarcasmes pour la métaphysique idéaliste, procède exactement comme les philosophes de la tradition idéaliste, c’est-à-dire a priori. Il se donne une philosophie préalable, qui est l’athéisme, lequel implique une ontologie. De cette ontologie-là, Engels déduit ce qui doit se passer dans l’Univers pour que l’Univers soit conforme à l’idée qu’il s’en fait. C’est la pire des méthodes métaphysiques. Engels déduit en somme une cosmologie de son ontologie posée au préalable. Mais cette ontologie, sur quoi est-elle fondée ? On ne nous le dit pas. » (Claude Tresmontant, op.cit., p. 176).
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