14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 19:24
Dans son remarquable livre intitulé « Entrez dans l’espérance », le Pape Jean-Paul II évoque la question de l’islam. Un texte extrêmement nuancé qui me paraît faire la synthèse de nos récents échanges sur la question – et que nous gagnerions sans doute à méditer longuement. Je me suis permis d’ajouter quelques commentaires (en bleus) pour faire suite à nos discussions.

4153P1G8YJL. SS500Dans la Déclaration conciliaire Nostra Aetate (…) on peut lire : « L’Eglise regarde (…) avec estime les musulmans qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissant, Créateur du ciel et de la terre ». En raison de leur monothéisme, ceux qui croient en Allah nous sont particulièrement proches.

[1. Jean-Paul II part de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate qui constitue, selon Benoît XVI, la Magna Charta de nos relations avec les musulmans et qui définit l’esprit avec lequel les catholiques doivent aborder la question de l’islam.

2.
Le Pape souligne la proximité particulière que nous avons avec les musulmans « en raison de leur monothéisme ». Quelque soit les différences théologiques que nous pouvons avoir avec eux, nous avons en commun de croire en l’existence d’un Dieu unique, Créateur du ciel et de la terre, ontologiquement distinct du monde, et par suite, radicalement transcendant – contre le matérialisme qui considère l’univers comme le seul être, et contre le monisme qui considère que l’univers est une illusion et que seul existe l’Un (ou la Substance, ou le Brahman) entendu comme une énergie "divine" impersonnelle].

Je me souviens d’un évènement de ma jeunesse. Nous visitions à Florence le couvent Saint-Marc, où nous admirions les fresques de Fra Angelico. Un homme se joignit alors à notre groupe, partageant notre émerveillement devant l’œuvre du grand artiste que fut ce moine, mais il ne tarda pas à ajouter : « Mais il n’y a rien là qui atteigne la beauté de notre monothéisme musulman ». Cette déclaration ne nous empêcha pas de continuer notre visite avec cet homme en discutant amicalement avec lui. A cette occasion, j’ai pu avoir comme un avant-goût de ce que serait ce dialogue entre le christianisme et l’islam que l’on tente de développer systématiquement depuis le Concile.

[3. Un évènement de la vie personnelle du Pape va lui faire mesurer l’ampleur de la difficulté du dialogue avec les musulmans. Il ne s’agit pas de nier ces difficultés ou de les sous-évaluer, mais de voir au contraire combien elles rendent urgent l’établissement d’un dialogue avec les croyants musulmans – un dialogue que l’Eglise cherche à développer « systématiquement » depuis le Concile, nous dit le Pape].

Quiconque lit le Coran, en connaissant déjà bien l’Ancien et le Nouveau Testament, percevra clairement le processus de réduction dont la Révélation divine y est l’objet. Il est impossible de ne pas être frappé par l’incompréhension qui s’y manifeste de ce que Dieu a dit de Lui-même, d’abord dans l’Ancien Testament par les prophètes, ensuite de façon définitive dans le Nouveau Testament par son Fils. Toute cette richesse de l’auto-révélation de Dieu, qui constitue le patrimoine de l’Ancien et du Nouveau Testament, a été, en fait, laissée de côté dans l’islam.

Le Dieu du Coran est appelé des plus beaux noms connus dans le langage humain. Mais, en fin de compte, c’est un Dieu qui reste étranger au monde. Un Dieu qui est seulement Majesté et jamais Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». L’islam n’est pas une religion de rédemption. Il n’offre aucun espace à la Croix et à la Résurrection. Jésus est mentionné, mais seulement comme prophète qui prépare la venue du dernier de tous les prophètes, Mahomet. Marie aussi, la Vierge-Mère, est nommée. Mais le drame de la Rédemption est complètement absent. C’est pourquoi non seulement la théologie mais encore l’anthropologie de l’islam sont très éloignées de celles du christianisme.

[4. Voilà donc les difficultés exposées. Elles sont naturellement d’ordre théologiques (et anthropomorphiques). Elles sont si profondes qu’il est illusoire – à mon avis – d’envisager le dialogue interreligieux sous le seul angle du débat théologique : si tel était le cas, nous ne pourrions pas cheminer très loin...

Cela dit, même sur le plan théologique, il existe tout de même un certain nombre de points de raccords dont le Pape ne parle pas ici, mais qui sont des voies ouvertes pour un approfondissement réciproque du donné révélé (par ex. le fait que dans le Coran, Jésus n’ait pas de père humain ; qu’il y soit désigné comme le Verbe ; qu'y soit annoncé aussi son retour à la fin des temps, au Jour du Jugement…)

5.
Il est intéressant de noter ici que le respect dû à l’islam et aux musulmans n’implique pas le moindre relativisme doctrinal. Au contraire : le respect implique la reconnaissance de l’altérité – et donc : qu’un musulman soit musulman et puisse parler comme un musulman à un chrétien, et qu’un chrétien soit chrétien et puisse parler comme un chrétien à un musulman. Parvenir à dire nos différences dans un climat d’amitié et de paix, dans le respect de nos différences au nom de ce qui nous unit déjà, voilà le but premier, me semble-t-il, du dialogue interreligieux. Ainsi, nous pourrons manifester l’Evangile en acte – par la proposition d’une amitié – et le proclamer de notre bouche – par la présentation loyale de notre foi (tout ce que le Seigneur nous demande en somme – pas plus, pas moins.)]

Cependant, la religiosité des musulmans est digne de respect. On ne peut pas ne pas admirer, par exemple, leur fidélité à la prière.
Sans se préoccuper ni du temps ni du lieu, celui qui nomme Dieu Allah tombe à genou et se plonge dans la prière plusieurs fois par jour. Cette image reste un modèle pour ceux qui confessent le vrai Dieu, et en particulier pour ces chrétiens qui abandonnent leurs merveilleuses cathédrales et prient si peu ou ne prient pas du tout.

Le Concile a invité l’Eglise au dialogue avec les fidèles du Prophète (sic), et l’Eglise s’est engagée dans cette voie. Nous lisons dans Nostra Aetate : « Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».

Dans cette perspective, les rencontres de prière à Assise ont certainement eu, comme je l’ai déjà indiqué, une importance considérable, surtout la prière pour la paix en Bosnie en 1993. Il faut ajouter les rencontres avec les musulmans pendant mes nombreux voyages apostoliques en Afrique ou en Asie. Il est arrivé que la majorité des habitants du pays où je me rendais soient des fidèles de l’islam : eh bien, cela n’empêchait pas que le Pape soit chaleureusement accueilli ni qu’il soit écouté avec bienveillance.

Mon voyage au Maroc, où j’étais invité par le roi Hassan II, peut sans aucun doute être considéré comme un évènement historique. Ce ne fut pas seulement une visite de courtoisie, mais un fait d’ordre vraiment pastoral. Inoubliable, cette rencontre avec les jeunes dans le grand stade de Casablanca (1985) ! L’ouverture des jeunes au discours du Pape sur la foi en l’unique Dieu était frappante. Il y a certainement eu là un évènement sans précédent.

[6. Après avoir relevé les aspects admirables de l’islam dont les chrétiens pourraient s’inspirer pour revitaliser leur foi (le Pape cite l’exemple de la prière, mais il aurait pu évoquer aussi le jeûne ou la pratique de l’aumône), il témoigne d’un certain nombre d’évènements au cours desquels il fut frappé par l’ouverture des musulmans à son discours, la chaleur de leur accueil et la bienveillance de leur écoute. Nous-même peut-être, à notre petite échelle, avons-nous pu faire cette expérience qu’un musulman n’est jamais complètement insensible à la manière dont nous pouvons manifester publiquement notre foi ou notre prière : cela les touche, les interpelle, cela leur pose question, et souvent, ils viennent nous interroger, ils cherchent à comprendre, ils sont sincèrement curieux et souvent agréablement surpris de découvrir qu’un chrétien puisse être aussi un vrai croyant, un adorateur en esprit et en vérité – ce qui créé un lien et ouvre la possibilité d’une amitié.]

Cependant, les difficultés très concrètes ne manquent pas non plus. Dans les pays où les courants fondamentalistes prennent le pouvoir, les droits de l’homme et le principe de la liberté religieuse sont interprétés, hélas, de façon tout à fait unilatérale : par liberté religieuse, on entend la liberté d’imposer la « vraie religion » à tous les citoyens. La condition des chrétiens dans ces pays est vraiment dramatique. Les attitudes fondamentalistes de ce genre rendent les contacts réciproques difficiles. Néanmoins, la disponibilité au dialogue et à la collaboration demeure immuable du côté de l’Eglise.

[7. Impressionnant final où le Pape fait état de la situation dramatique des chrétiens persécutés en pays musulmans, tout en se gardant d’assimiler trop facilement la violence à l'islam. Pour Jean-Paul II, les difficultés proviennent de ce que ces pays sont gouvernés par des « courants fondamentalistes » – que le Pape ne considère nullement comme représentants d’une prétendue orthodoxie islamique. Ce sont les « attitudes fondamentalistes » qui rendent le dialogue vraiment difficile. Pour autant, ils ne l’empêchent pas absolument, puisque « la disponibilité au dialogue et à la collaboration demeure immuable du côté de l’Eglise » ! L’Eglise a donc pris le parti inconditionnel du dialogue avec l’islam – en toutes ses composantes – et du refus d’entrer dans la condamnation, le mépris et le rejet.

On est frappé de retrouver la même attitude chez Benoît XVI. Ainsi, dans son discours au Corps diplomatique, le 8 janvier 2009 (texte publié ce jour sur Totus Tuus), tout juste après avoir déploré les violences et exactions dont les chrétiens sont victimes dans tant de pays – qu’il impute non à l’islam, mais à la « pauvreté morale » de leurs auteurs –, il « demande instamment de s’employer avec énergie à mettre fin à l’intolérance et aux vexations contre les chrétiens, d’œuvrer pour réparer les dommages provoqués, en particulier aux lieux de culte et aux propriétés ; et d’encourager par tous les moyens le juste respect pour toutes les religions, proscrivant toutes formes de haine et de mépris. » On ne saurait mieux dire que la religion (toute religion, dont l’islam) n’est jamais considérée en elle-même comme facteur de violence et de haine ; que la violence et la haine ne viennent pas des religions elles-mêmes, mais du péché de leurs adeptes, de leur « pauvreté morale », de leur  « fondamentalisme ».]


Ø Autres sujets traités dans l’ouvrage : Comment prier ? Dieu existe-t-il ? Jésus est-il vraiment Dieu ? Jésus devait-il se sacrifier ? Pourquoi tout ce mal ? Pourquoi tant de religions ? Hors de l’Eglise, quel salut ? A quoi sert de croire ? L’au-delà existe-t-il ?...

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Publié par Matthieu BOUCART -
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commentaires

H
<br /> Très bonne idée que de citer Jean-Paul II pour renforcer tes écrits sur le dialogue inter-religieux. Cela montre ainsi à tes interlocuteurs virulants des précédents articles qu'on peut être<br /> profondément Catholique (et probablement bientôt canonisé, comme on peut l'espérer pour JPII) et être ouvert au dialogue avec nos frères musulmans, qui ne doivent pas être assimilés aux dérives<br /> fondamentalistes.<br /> <br /> Merci Jean-Paul II (et puis Merci à Jean XXIII, Paul VI et Benoît XVI, bien sûr !), de nous avons confirmé qu'il est non seulement souhaitable mais nécessaire de rencontrer pacifiquement les autres<br /> croyants et notamment les musulmans, au-delà des idées reçues.<br /> <br />   Bonne entrée en Carême, mercredi ! Fraternellement en Christ,<br /> <br /> <br />
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