Texte de la Newsletter n°12 (publiée le 30 janvier 2011) du Groupe Facebook consacré à l'oeuvre de Claude Tresmontant, l'un des plus grands métaphysiciens du siècle passé – qui réfuta magistralement l'athéisme.
Les philosophies monistes qui affirment que l’être de l’univers n’existe pas, qu’il est une simple apparence – que le seul être existant est l’Esprit (ou le Brahman, ou l’Un) – sont amenés logiquement à confesser l’éternité de l’être, et par suite, de tous les êtres qui sont l’Être éternel pulvérisé en une multiplicité qui n’est qu’illusion dissimulant la réalité de l’unicité de l’être. Toutes les âmes humaines, selon cette conception, sont éternelles, et préexistaient à la naissance des personnes individuelles, comme elles survivront à leur propre mort. « L’âme était de condition divine, mais elle est tombée, dans un corps qui l’emprisonne et l’exile » (Claude Tresmontant).
« La doctrine de la divinité fondamentale de l’âme conduit à une anthropologie de type dualiste. C’est l’existence dans le corps qui est responsable de nos malheurs présents. L’ensomatose explique la multiplication, la dispersion de l’âme universelle unique, en une multitude d’êtres, qui se croient distincts les uns des autres, alors qu’en leur fond, ils sont un. Ils sont l’Un.
« Dans cette tradition théosophique, dont on peut suivre le cours jusque chez des philosophes du XIXe siècle comme Schelling, la naissance, à vrai dire, n’est pas un commencement d’être. C’est le moment de l’ensomatose, c’est-à-dire de la chute dans ce monde sensible. Mais en réalité, l’âme préexistait, au sein de la vie divine, avant sa chute dans le corps. De même, la mort n’est pas une annihilation, mais, dans le meilleur des cas, un retour à la condition divine, si l’âme s’est purifiée de la souillure que comporte l’existence corporelle, matérielle, ou bien, si l’âme n’a pas suffisamment pratiqué l’ascèse, elle est contrainte de s’incorporer de nouveau, soit dans un corps d’homme, soit dans un corps d’animal. C’est cela le ‘triste cycle lassant’ dont parle une tablette orphique, ce triste cycle imposé aux âmes insuffisamment purifiées.
« On voit comment, dans cette perspective, la matière – ici, le corps – est supposée responsable du mal que représente l’existence individuée, multiple, et responsable aussi du mal que l’âme peut faire dans sa condition corporelle. Le bien, c’est de se délivrer de la souillure du corps » (Claude Tresmontant, in Le problème de la Révélation, Seuil 1969, p.69-70).
« Le mythe de la divinité originelle, de la préexistence, de la chute des âmes dans ces corps supposés mauvais, – le mythe de la transmigration des âmes, ou métensomatose, et du retour à l’origine, – est (…) un mythe cyclique, puisque finalement les âmes retournent à leur point de départ. » (Claude Tresmontant, in Les Métaphysiques principales, François-Xavier de Guibert, 1995, p. 171-172).
Mais si l’Un est vraiment le seul être, comment expliquer ce drame de la « Chute » de l’Être absolu (qui ne dépend, par définition, d’aucun autre être) dans des corps multiples ; cette aliénation de l'Être divin dans la matière « gluante », cette « ignoble marmelade », cette « larve coulante », cette « saleté poisseuse » dont parlait Sartre dans la Nausée ? Par une tragédie à l'intérieur de l'Un. « Et donc, on passe du monisme de la Substance aux spéculations théosophiques selon lesquelles il y a bien en effet une tragédie au sein de l’Être qui est unique. On passe bien de Plotin et de Spinoza à Fichte, Schelling et Hegel. Il faut bien admettre qu’il y a une tragédie au sein de l’Être pour expliquer l’existence de cette illusion qu’est le monde de la multiplicité. Et donc, à la place de la métaphysique hébraïque de la Création, on a une métaphysique gnostique de la chute, chute au sein de l’Un bien entendu. C’est la doctrine du gnostique Valentin et de son école. » (Claude Tresmontant, in Les Métaphysiques principales, François-Xavier de Guibert, 1995, p. 179-180).
Reste à nous interroger sur l’origine de cette « science » de l’être ; à nous demander d’où le philosophe moniste tire sa connaissance de l’Être divin et toutes ses informations sur la vie intime de l’Un.