Cher Miky,
Je voudrais revenir sur ton échange avec RV (que je salue bien fraternellement au passage à mon tour !) sur la raison et la foi (Cf. Le mystère Jésus, Commentaires n° 12 à 17).
Pour vous répondre à l’un et à l’autre, je voudrais partir de l’ouvrage "Le choix de Dieu" du Cardinal Lustiger, dont nous célébrons les funérailles aujourd’hui. Cet article me fournit l’occasion de rendre hommage au grand théologien qu’il fut, et à l’archevêque des mains duquel j’ai eu la grâce de recevoir le sacrement de confirmation, un inoubliable 16 mai 1998 en la Paroisse St Léon , à Paris...
Dans un chapitre consacré à la « Raison, la science et la foi », le Cardinal pose tout d’abord l’affirmation selon laquelle il est possible, selon la foi catholique, de démontrer par l’usage de la raison, l’existence de Dieu. « Parce que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dieu a mis en l’homme un pouvoir raisonnable de connaissance de la vérité, qui doit lui permettre d’accéder à la vérité suprême qui est Dieu (…) Dès le moment où l’homme est fait pour Dieu et où Dieu donne à l’homme raison, liberté et intelligence, Dieu donne à l’homme le pouvoir de le reconnaître. Au nom même de la foi, le croyant est amené à affirmer le pouvoir de la raison humaine. »
Il est donc dans la nature de l’homme raisonnable de pouvoir parvenir à la connaissance de l’existence de Dieu. Tout homme peut accéder à cette connaissance, et non pas seulement le chrétien féru de théologie naturelle. Cette connaissance est universelle, et provient de la raison. Telle est cette « amorce de croyance en l'existence de Dieu » que tu évoques, et que tu appelles indûment « Foi ». Ainsi, l'homme qui contemple le ciel étoilé ne peut qu’être saisi par l’harmonie et la beauté qui règne dans la nature ; et s’il en vient à penser à Dieu, c’est que sa raison lui aura inspiré que tout cela ne peut qu’être l’œuvre d’un génial Artisan.
Comme l’écrivait Voltaire : « En apercevant l’ordre, les lois mécaniques et géométriques qui règnent dans l’univers, je suis saisi d’admiration et de respect. Si les ouvrages des hommes me forcent à reconnaître en nous une intelligence, je dois en reconnaître une bien supérieure agissant dans la multitude de tant d’ouvrages. J’admets cette intelligence suprême sans craindre que jamais on puisse me faire changer d’opinion. Rien n’ébranle en moi cet axiome : tout ouvrage démontre un ouvrier » (Enéide).
La foi ne se réduit donc pas à un sentiment. D’ailleurs, pour qu’un sentiment naisse pour quelqu’un, encore faut-il croire en son existence. Et cela est objet de raison, non de foi.
Pourtant Miky, tu soulèves une vraie question. Si la croyance en l’existence de Dieu est admissible rationnellement, et universellement connaissable par tous les hommes, comment se fait-il que beaucoup ne croient pas ? Comment se fait-il que tu n’y croies pas ? « Aucun argument en faveur de Son existence, ne peut, il me semble, me convaincre. (…) Je ne parviens pas à être convaincu par les arguments en faveur de l'existence de Dieu. »
Reprenons notre lecture du « Choix de Dieu » du Cardinal Lustiger.
« La révélation renforce l’optimisme fondamental sur l’outil intellectuel et sur sa validité, mais elle dévoile que les hommes sont blessés dans leur liberté, leur conscience, leur raison. « L’insensé dit en son cœur : « Dieu n’existe pas » (Ps 14/13, 53/52). La raison a voulu être souveraine ; elle a voulu se donner à elle-même ses propres mesures, alors qu’elle demeure appelée à la recevoir dans le respect d’une objectivité donnée par ailleurs et d’une finalité originaire.
« La raison n’existe pas indépendamment des volontés, des désirs, des choix. Pour que l’homme se laisse convaincre par les preuves de l’existence de Dieu, il faut que sa raison purifiée et ordonnée accepte de se laisser convaincre.
« Le travail de la raison sur l’affirmation de Dieu reçoit toute sa force de conviction dans l’acte de foi, qui est lui-même le fruit d’une guérison de Dieu, d’une grâce. Alors, la raison peut-elle accéder à son pouvoir propre si elle ne reçoit pas sa guérison de Dieu ? C’est la frontière – ou l’alliance – de la raison et de la foi. Frontière « irritante » pour le croyant comme pour l’incroyant. Le croyant ne peut renoncer à la raison, et en même temps il reconnaît dans la foi un surpassement de la raison. Une sagesse ou une lumière qui le dépasse et qui, en lui donnant accès à Dieu, le rend accessible à lui-même. »
A la question posée un peu plus loin : « Concevez-vous que la raison est la maladie de l’homme », le Cardinal répond : « Non. Mais l’impuissance à accueillir la vérité est la maladie de la raison. L’homme est blessé (…). Blessé par son péché et par sa condition déchirée jusqu’en sa raison. »
La pensée de RV est donc parfaitement orthodoxe, lorsqu’il affirme « qu'il ne faut peut-être pas trop enfermer la foi dans "l'intellectuel" ». Car notre raison est abîmée. A vouloir « enfermer » la foi dans une théologie par trop desséchante et intellectualiste, on risque d'étouffer la foi au point de la faire mourir (cf. les Pharisiens, les scribes et autres docteurs de la Loi, à l’époque de Jésus). Plus encore : à vouloir réduire la totalité de la réalité à ce qui est mesurable, vérifiable expérimentalement, et perceptible par nos sens, on en vient finalement à réduire l’homme lui-même en mutilant sa raison. Cela est paradoxal, mais… « trop de raison tue la raison » ; et a contrario, une certaine renonciation à la raison « raisonnante » peut nous donner accès à une Raison supérieure, un "Ultra-rationnel" que notre raison blessée ne peut atteindre par elle-même.
Là donc réside la principale « pathologie » de notre raison : dans cette tendance orgueilleuse à vouloir « enfermer » la totalité de la réalité dans ce qui lui est immédiatement accessible, au point d’exclure la question de Dieu et de la renvoyer dans le seul domaine de la subjectivité (je te recommande à ce sujet la lecture de la mémorable conférence du Pape Benoît XVI à l'Université de Ratisbonne, le 12 septembre 2006).
Tu seras peut-être heurté par l’emploi du terme de « maladie » ou de « blessure » au sujet de l’impossibilité de croire. Mais tu as écris un jour au sujet de l’athéisme : « Je ne suis pas convaincu que c'est plus parfait, mais je n'arrive pas à faire autrement. » Eh bien il y a peut-être une grâce à demander au Seigneur, une grâce de guérison et de purification de la raison. Et j’en viens à ma conclusion, que je t’offre comme un cadeau et que je livre à ta méditation avant de partir pour quelques jours de vacances, en te remerciant Miky pour tout ce que tu apportes à ce Blog par tes nombreux commentaires toujours enrichissants, et en te demandant pardon pour mes répliques un peu raides parfois.
Cette conclusion, la voici. Elle est tirée à nouveau du « Choix de Dieu » du Cardinal Lustiger.
« Celui qui hésite entre décider de croire ou attendre le foudroiement de Dieu est semblable à celui qui, dans une pièce obscure, recherche un interlocuteur inconnu et se voit pris dans une situation intolérable. Pourquoi celui vers qui il clame ne répond-il pas ? A qui me demande en cette situation : « Que faire ? », je suggère de prier conditionnellement : « Toi, Dieu que je cherche ou que je fuis, je ne sais si tu existes, mais donne moi de te rencontrer et de te reconnaître. » En effet, celui qui est engagé dans ce débat est déjà situé par rapport à Dieu, même s’il ne sait pas ce qui doit encore mûrir en lui. « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé ». Cette phrase de Pascal exprime bien la situation de celui qui hésite devant Dieu. »