Cher Miky,
Tout d’abord laisse-moi sincèrement te féliciter pour ton dernier article, bien argumenté et charpenté, à mon sens l’un des meilleurs que tu ais écris sur ton Blog. C’est un réel plaisir que de discuter avec toi, et je te remercie d’avoir accepté d’entrer ainsi dans cette disputatio sur l’existence de Dieu.
Tu as intitulé ton texte : "Science ou métaphysique : il faut choisir", par référence - au moins inconsciente - sans doute à la fameuse publicité en faveur de la prévention routière : « Boire ou conduire… » Mais là, première grande objection : pourquoi serions-nous contraints de choisir ? Au nom de quelle étrange logique en effet devrions-nous renoncer à l’une ou l’autre de ces deux grandes démarches de l’intelligence humaine, comme si leur incompatibilité allait de soi, au même titre que le fait de boire et de conduire.
On ne peut séparer selon moi la science et la métaphysique aussi facilement et impérieusement que tu le prétends. Ce serait en tous les cas une grave erreur. Car si l’on écarte d’emblée la métaphysique pour ne retenir QUE la science comme mode d’appréhension du réel, on réduit alors le champ d’investigation de la connaissance humaine au seul « résumé » – pour reprendre tes termes – des phénomènes observés, sans chercher à les « interpréter » et à les comprendre à fond. Une telle abdication de la raison métaphysique me paraît totalement injustifiée. Car il est dans la nature même de notre humaine raison que de chercher une explication à ce que l’on observe. Et parce que la science ne donne pas l’intelligibilité complète. Certains concepts comme le vrai, le bien, l’existence ou la finalité sont irréductibles à l’analyse purement scientifique. La science est donc impuissante à résoudre les grands problèmes qui se posent à l’existence humaine, et elle ne pourra jamais assouvir la soif qui habite le cœur de l’homme de trouver un sens à sa vie, d’aimer et d’être aimé. « Croire que l’on va trouver la signification de la vie au bout d’un microscope ou d’une lunette astronomique est une plaisanterie. Analysez les larmes d’une femme qui pèle ses oignons, comparez le résultat à l’examen d’autres larmes qu’elle a versées à la mort de son mari, et essayez de découvrir la différence dans votre laboratoire ! Pauvreté de la science lorsqu’on lui assigne pour tâche la signification de l’univers. » (Stan Rougier, « Dieu était là et je ne le savais pas », Presses de la Renaissance 1998, Pocket, page 163).
« Les sciences de l’observation décrivent et mesurent avec toujours plus de précisions les multiples manifestations de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps (…). Mais l’expérience du savoir métaphysique, de la conscience de soi et de sa réflexivité, celle de la conscience morale, celle de la liberté, ou encore l’expérience esthétique et religieuse, sont du ressort de l’analyse et de la réflexion philosophiques » (Jean Paul II, Message à l’Académie pontificale des Sciences, La Documentation catholique, 17 novembre 1996, n°2148).
Sur les limites de la démarche scientifique : http://totus-tuus.over-blog.com/article-2404284.html
Si maintenant l’on écarte d’emblée la science pour ne retenir QUE la métaphysique, alors on prend le parti de se déconnecter du réel, avec tous les risques que cela peut engendrer… C'est ce tournant qu'a malheureusement emprunté la philosophie contemporaine. Elle s’est nettement détournée de l’aventure scientifique du siècle dernier, de la physique et de la cosmologie modernes, de la biologie et de la biochimie. Et nombre de philosophes aujourd’hui raisonnent comme s’ils vivaient à l’époque de Descartes ou Malebranche, sans tenir le moindre compte du réel, de l’univers physique et de son contenu. Il est vrai que dans leur système de pensée, si le monde n’est que « ma » représentation, à quoi bon une cosmologie…
Il est donc nécessaire à mon sens, pour penser correctement les grandes questions qui se posent à nous, de retenir tout à la fois et la démarche scientifique et la démarche métaphysique.
Il faut tenir compte de la démarche scientifique parce que l’on ne peut raisonner correctement en dehors du réel. La démarche scientifique est notre point d’ancrage dans le réel, la garantie que nous ne nous égarerons pas dans notre cheminement rationnel. C’est le réel qui est, et qui doit rester, notre repère essentiel, notre "juge de paix" ; c’est lui et lui seul qui peut donner la juste tonalité à notre réflexion métaphysique ; c’est lui qui fournit les matériaux indispensables au bon raisonnement, et c'est à son école que nous devons impérativement rester,… à peine de nous perdre.
Mais il faut aussi retenir la démarche métaphysique, car les sciences positives soulèvent un certain nombre de problèmes de fond qu’elles ne résolvent pas... tout simplement parce que ce n’est pas leur rôle! Ces problèmes de fond existent bel et bien, et il est vain de les ignorer ; ils sont suscités par la recherche scientifique elle-même : chaque nouvelle découverte apporte ainsi son lot de questionnements, et posent à la raison humaine un certain nombre de difficultés qui sont pour elle autant de défis à relever.
Les sciences positives et expérimentales s’appliquent ainsi à nous faire découvrir l’univers, sa constitution, la structure et la constitution de la matière et de la cellule, l’histoire de l’organisation des organismes vivants, les modalités de l’évolution biologique, etc. Mais elles ne traitent pas (parce que ce n’est pas leur rôle!) les problèmes de l’être même de cette structure intelligible qu’est l’univers, de l’être même de l’évolution cosmique et de l’évolution biologique. Or, ces problèmes se posent – et s’imposent – à la raison humaine, avec une acuité accrue au fil du temps et des découvertes, et les hommes n’ont de fait jamais cessé de se les poser. La raison humaine se sent ainsi manifestement interpellée par le fait qu’il y ait de l’être, et qu’il y ait depuis l’origine des temps organisation et évolution. Ce qui la conduit à se poser le plus naturellement la question du « pourquoi » cet univers, tel qu'il est et comme il est ?
La question est légitime, pertinente, inéluctable même, et l’on ne voit pas très bien pour quelle fumeuse raison il conviendrait de renoncer à se la poser. Cela reviendrait à renoncer à l’exercice de la pensée et de cette raison même qui nous distingue pourtant si radicalement du monde animal. Autrement dit : rien ne me paraît plus humain que de poser la question métaphysique du pourquoi de l’existence, de sa "forme" et de son contenu ; rien ne me paraît moins humain en revanche que de renoncer volontairement à chercher une explication aux phénomènes observés.
Or, cette question du « pourquoi », si légitime, si nécessaire, si pressante, échappe aux prises de la science qui, comme tu le dis si bien Miky, se contente de « résumer » les faits observés, et d’expliquer le « comment » de l’univers et de son évolution.
La discipline qui réfléchit sur le « pourquoi » est celle que l’on désigne communément depuis Aristote sous le vocable de « philosophie ». L’analyse philosophique, selon Aristote, c’est l’analyse logique du réel, jusqu’au bout (ce que tu sembles appeler « une projection des structures de l’esprit sur le donné expérimental »). La philosophie n’est rien d’autre que cela : raisonner correctement sur ce qui est. Elle ne s'oppose donc pas au raisonnement scientifique, et n'a aucune raison d'être exclue du champ de la pensée et de la rationalité humaine. Elle en constitue même le prolongement logique et naturel, ainsi que l'écrivait Ti Hamo en commentaire de ton article.
(à suivre…)