Nous l’avons vu dans notre dernier article, pour connaître la vérité sur Dieu, la vérité de Dieu, il nous est nécessaire que Dieu lui-même se révèle en Personne. Car si Dieu est bien l’Absolu transcendant, le Tout-Autre de la Bible, bref, si Dieu est Dieu, alors il faut bien s’attendre à ce qu’il ne soit pas immédiatement accessible, perceptible, et compréhensible à la raison humaine : il est par essence l’Au-delà de tout, et en particulier, l’au-delà de toutes nos conceptions, de toutes nos pensées. Il y a dès lors comme un abîme infranchissable entre Lui et nous.
Notre humaine raison n’étant pas capable par elle-même et à elle seule de concevoir ce Dieu si grand et si Saint, il faut donc en quelque manière qu’Il descende jusqu’à nous pour se faire connaître. Sans quoi, nombre de nos questions demeureraient irrémédiablement sans réponse... C’est précisément cette descente, cette kénose de Dieu qui s’opère dans l’incarnation du Fils de Dieu. En Jésus-Christ, Dieu se rend accessible à notre humaine raison pour nous conduire dans son Royaume, là où notre raison ne saurait à elle seule nous mener.
Pour autant, lorsque Dieu se révèle, il ne nous fait pas entrer dans un ordre de déraison ou de folie, mais il nous donne accès tout au contraire à une Raison supérieure, sa Sagesse éternelle, qui est la source même de notre propre raison.
Comme l’écrivait le Père Carré : « L’oreille humaine, merveilleux organe, ne peut percevoir les ultrasons, et pourtant, les ultrasons existent. Il en va de la raison comme de l’oreille. Il existe un ultrarationnel que la raison ne peut atteindre. »
Dans la Révélation, la Sagesse divine s’adresse à notre raison ; elle l’élève et la conduit vers un degré de connaissance supérieur, divin, qui peut paraître « folie » à notre raison blessée par le péché originel, mais qui ne cesse jamais en réalité d’être Sagesse de Dieu.
Non ! notre Dieu n’est pas fou, et ne nous demande pas de le devenir. C’est le monde qui est fou, et qui prend pour de la folie l’expression même de la Sagesse éternelle du Père qui « se révèle juste à travers ce qu’elle fait » (Mt 11. 19).
Saint Paul ne dit pas autre chose :
- « Le langage de la croix est folie POUR ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Co 1. 18) ;
- « nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie POUR les peuples païens » (1 Co 1. 23) ;
- « Car la folie de Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme » (1 Co 1. 25)
- « L'homme qui n'a que ses forces d'homme ne peut pas saisir ce qui vient de l'Esprit de Dieu ; POUR lui ce n'est que folie, et il ne peut pas comprendre, car c'est par l'Esprit qu'on en juge. » (1 Co 2. 14).
C'est donc un contresens, à mon humble avis, que d’invoquer ces textes de l’Ecriture pour disqualifier, réduire ou dévaluer l'oeuvre de la raison, en laquelle nous pouvons placer tout au contraire notre confiance pour penser le monde et l’univers, et parvenir ainsi à la connaissance de Dieu. J’ai même la faiblesse de penser que la raison nous a été donnée précisément pour cela…
Dans ton article du 13 mars 2007 , tu m’objectes, Miky, qu’« en voulant maintenir une confiance absolue en une raison toute-puissante (... je pense avoir démontré dans mon dernier article que je ne considère nullement la raison « toute puissante »), l'Eglise romaine ne tient pas compte des résultats fournis par la raison, et donc déroge aux principes de cette dernière. »
Mais il me semble, moi, tout au contraire que l’Eglise est bien la seule à tenir compte précisément « des résultats fournis par la raison » ! Quels résultats ? Eh bien ces résultats prodigieux que l’analyse rationnelle a permis d’obtenir sur le plan scientifique.
Je pense par exemple aux travaux de Urbain Le Verrier, qui a découvert la planète Neptune en 1846 au terme d’une démarche purement rationnelle, un calcul mathématique réalisé à partir des écarts constatés entre les positions théoriques d’Uranus, au regard de l’attraction solaire, des perturbations produites par Jupiter et Saturne, et du mouvement effectivement constaté par l’observation. Lorsqu’après avoir fait son calcul, Le Verrier demanda au directeur de l’observatoire de Berlin de pointer sa lunette sur l’endroit indiqué, ô miracle, la planète s’y trouvait ! Ce qui inspira à François Arago cette parole, prononcée à l'Académie des Sciences : « M. Le Verrier vit le nouvel astre au bout de sa plume »…
Je songe également à Mendeleev qui avait décrit, en 1869, les propriétés des éléments qui auraient dû figurer dans les quelques cases laissées libres de son tableau périodique. La découverte ultérieure de ces éléments vint confirmer de manière éclatante les prévisions du chimiste russe…
On se souvient également comment Lemaître en 1927, Robertson en 1929, et Tolman en 1930, qui ne se connaissaient pas, avaient proposé des modèles d’univers à rayon variable… que les découvertes empiriques de Hubble et Humason allaient ensuite confirmer !
Et l’on pourrait multiplier les exemples.
L’expérience historique confirme donc la légitimité de l’analyse rationnelle non empirique. Elle nous montre de quelle manière la pensée peut atteindre la connaissance du vrai à partir d’une simple réflexion de l’esprit humain. Les limites que tu y poses, Miky, ne se trouvent donc pas là où tu les situes. Et le préjugé empiriste, selon lequel il n’y aurait de science certaine qu’expérimentale, se trouve contredit aujourd’hui… par la science elle-même !
Il n’est dès lors pas raisonnable de songer qu’il ne puisse y avoir de science certaine qu’expérimentale. Notons d’ailleurs que si tel était le cas, les mathématiques cesseraient de facto d'être une discipline scientifique, puisqu’elles ne sont pas expérimentales…
Cela dit, je te rejoins complètement sur la nécessité de se fier à l’expérience, et à tout ce qu’elle peut nous révéler de l’univers et de ses secrets (cf. ton texte de John Stuart Mill). C’est d’ailleurs le cœur de la philosophie première d’Aristote, dont s’inspirent tant les métaphysiciens catholiques.
Je suis d’accord avec toi pour considérer l’expérience comme pourvoyeuse d’informations précieuses et fiables, de preuves tangibles et réelles, pour parler comme Stuart Mill, à partir desquelles on peut raisonner correctement.
Mais je trouve en revanche tout à fait injustifié et déraisonnable de s’en tenir là, et d’invalider toute extrapolation métaphysique comme "non scientifique" au seul motif qu’elle ne seraient pas empirique, considérant qu’en dehors de l’expérience, il ne saurait y avoir de preuves recevables. Je trouve cela excessif, et de toute façon contredit par les faits, et… par l’expérience scientifique elle-même.
(à suivre...)