Cher Miky,
Au vu de ton article du 13 mars 2007 et du commentaire du Pasteur Eric Georges, une précision s’impose. Je n’affirme nullement la toute-puissance de la raison humaine – loin de là –, ni même sa capacité à nous communiquer la foi. La raison est un chemin qui nous conduit à la foi. Mais la foi n’est pas au bout d’un raisonnement. En d’autres termes, de la raison à la foi, il n’y a qu’un pas, mais ce pas, c’est la Révélation divine accomplie en Jésus-Christ qui va nous permettre de le franchir.
Que la raison puisse permettre à l’homme de parvenir avec certitude à la connaissance de la vérité de ce qui existe, je le crois profondément, avec toute l’Eglise me semble-t-il, et avec le judaïsme orthodoxe. Mais je reconnais en même temps que cette connaissance simplement humaine ne peut être parce que simplement humaine que parcellaire et imparfaite, ainsi que j'ai déjà pu l'écrire.
La raison nous met donc sur la voie de la foi, elle nous oriente, nous guide infailliblement vers la vérité ; elle est une boussole qui nous évite de nous égarer, de nous perdre dans les méandres d’une religiosité naturelle qui, livrée à elle-même et déconnectée du réel, nous conduirait immanquablement aux mythes et aux fables. Mais elle ne nous donne pas accès par elle-même et à elle seule au Royaume. Le monde de Dieu est inaccessible aux hommes. Sinon il ne serait pas le monde de Dieu.
Une fois acquis la certitude métaphysique que ce monde ne peut pas provenir du néant et du hasard, mais que son existence même et ses caractéristiques postulent nécessairement l’existence d’un Être intelligent conduisant l’évolution du monde dans un certain sens, il reste encore à définir la nature et l’identité de cet Être intelligent. Or, à ce stade, la raison semble a priori impuissante à fournir une réponse définitive. Le visage du Christ n’est pas inscrit dans les étoiles.
En d’autres termes, je peux savoir que Dieu existe, en être absolument convaincu et certain. Cela ne me renseigne pas encore sur l’identité de Dieu, sur son Nom. Dieu existe, oui. Mais qui est-il ? Voilà une question qui reste en suspend…
Par la réflexion métaphysique, je suis capable d’acquérir une vraie certitude en ce qui concerne l’existence de Dieu. Mais… toutes les religions croient en l’existence de Dieu ! Et elles sont nombreuses… Me voilà donc finalement peu avancé. La raison m’a conduit sur la route de Dieu, aux confins des religions. Mais elle me laisse là en plan, dans l’incertitude et le doute.
Toi-même d’ailleurs, Miky, n’affirmais-tu pas que si l’on te prouvait l’existence de Dieu, tu deviendrais « théiste », « mais certainement pas chrétien » ? De même, il me paraît extrêmement révélateur qu’un Miteny consacre un blog tout entier à la démonstration rationnelle (fort peu convaincante malheureusement) de l’existence de Dieu,… pour rejeter avec violence et dans un même dédain toutes les religions « institutionnelles ». Preuve s’il en est que pour entrer dans une véritable démarche de foi, la raison est nécessaire, mais non suffisante.
Je me risquerais maintenant à aller plus loin. Dans le foisonnement de toutes les religions, je pense que la raison peut aller jusqu’à établir la vérité de la doctrine de la Création. Et cela, grâce aux formidables découvertes des sciences positives tout au long du XXe siècle, qui marqueront indiscutablement un tournant décisif dans l’histoire de la pensée humaine. Or, la doctrine de la Création n’est pas partagée par toutes les religions. Seules trois y adhèrent : les trois grandes religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Voilà donc qui élague considérablement…
Plus encore : la raison peut me permettre d’établir la vérité de l’authenticité de la révélation biblique. De deux manières : par l’établissement de la preuve du fait même de la révélation, du fait que Dieu ait parlé à Israël, se soit manifesté en Jésus-Christ, et conduise depuis plus de 20 siècles son Eglise. Et en établissant la preuve de la « fondamentale pertinence » du message biblique, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Guillebaud. Il est donc tout à fait possible de devenir chrétien au terme d’une démarche purement rationnelle : c’est d’ailleurs la trajectoire de l’auteur précité.
Pour autant, je reconnais avec le Pasteur que tout chrétien que l’on puisse devenir par la raison... on n’est pas encore entré dans une démarche de foi. On peut donc tout à fait être chrétien sans avoir la foi. On peut même être chrétien sans croire en l’existence de Dieu, ainsi que nous le révélaient de récents sondages. Tel était le cas d’un Charles Maurras, par exemple, qui se disait volontiers « athée, mais catholique ».
Voilà donc où je situerais les limites de la raison humaine. La raison peut conduire l’homme très loin sur le chemin de la vérité. Mais elle ne lui permet pas d’avoir de Dieu une connaissance autre que livresque et purement intellectuelle. La raison ne nous permet donc pas d’accéder par elle-même et à elle-seule à la plénitude de la vérité, qui est une personne. Pour connaître cette vérité, il faut connaître la personne.
L’homme n'entre donc dans la foi et dans la vie spirituelle que lorsqu’il adhère, non pas d'abord au message, mais au Messager. La Bonne nouvelle de l’Evangile n’est pas d’abord en effet une doctrine à croire. Elle est Jésus-Christ lui-même. C’est Jésus en Personne qui est la Bonne Nouvelle du Royaume. C’est lui-même qui est l’Evangile de Dieu ; c’est lui-même qui est le Royaume de Dieu. C’est ce qu’affirmait Karl Rahner par exemple, dans son Traité fondamental de la foi, lorsqu’il évoquait « l’évènement salvifique que Jésus est lui-même ».
Cette considération « doit [donc] éclairer toute notre réflexion et nous empêcher de tomber dans le piège d’une rationalisation trop facile de la cause et des effets du salut au sein d’un système dont la personne de Jésus ne serait qu’un élément » (P. Sesbouë). Jésus-Christ « est le salut, disait encore Rahner, il ne se contente pas de l’enseigner et de le promettre ».
La foi est donc l’entrée dans le Royaume de Dieu par la médiation du Fils unique du Père, qui en est la « Porte ». C’est Jésus, et lui seul qui nous donne accès au Royaume, au monde de Dieu, à la vie dans l'Esprit, à une vraie vie de foi. Nous devenons croyant lorsque nous nous attachons à la personne du Christ, et lorsque nous cherchons à le rencontrer par tous les moyens qu'il nous a donné, à vivre en sa présence, à l’écouter, à le servir et à l’aimer, lui le Vivant, le Ressuscité.
Comme le déclarait le Pape Benoît XVI : « Sans le Christ, la lumière de la raison ne suffit pas à éclairer l’homme et le monde » (Message Urbi et Orbi de Noël 2005).
« Jésus s’est défini comme la Vérité en personne (…). C’est lui qui révèle la pleine vérité de l’homme et de l’histoire. C’est par la force de sa grâce qu’il est possible d’être dans la vérité et de vivre de la vérité, parce que lui seul est totalement sincère et fidèle. Jésus est la vérité qui nous donne la paix » (Message du 1er janvier 2006).
« La foi ne signifie [donc] pas seulement accepter un ensemble donné de vérités concernant les mystères de Dieu, de l’homme, de la vie et de la mort et des réalités futures. La foi consiste en une relation profonde et intime avec le Christ, une relation appuyée sur l’amour de celui qui nous a aimé le premier, jusqu’à notre entier sacrifice (…). L’amour envers le Christ s’exprime par le désir de vivre en accord avec les pensées et les sentiments de son Cœur (…). L’aimer signifie mener avec lui un dialogue perpétuel, pour connaître sa volonté et l’accomplir avec ferveur » (Homélie du 26 mai 2006 à Varsovie).
J’entre donc dans la vie spirituelle – et dans la dynamique de la foi – à partir du moment où j’entre dans une relation personnelle avec Dieu, en son Fils bien-aimé, Jésus-Christ, le Seigneur. « Nous rencontrons Dieu dans l’humanité de Jésus (…). C’est l’humanité de Jésus, en tant qu’humanité du Fils, qui est pour nous la médiation, le point d’appui à notre portée, par lequel il nous est donné avec certitude de pouvoir rencontrer Dieu et de nous unir à lui (…). C’est l’humanité de Jésus qui est ce sacrement primordial par lequel la Divinité se rend accessible aux hommes » (Père Jacques Philippe).
(à suivre...)