Cher Pasteur,
Je souhaiterais réagir à l’un de vos derniers articles paru sur votre Blog le 23 septembre 2006, et intitulé : "Benoît XVI accablé par ses défenseurs".
Dans ce petit texte, vous vous livrez à une vigoureuse critique du Pape Benoît XVI, avec toute votre sensibilité de chrétien protestant – que je respecte absolument ; mais vous comprendrez qu’un fidèle catholique ait envie de vous répondre avec sa sensibilité particulière, dans un esprit de dialogue et avec beaucoup de respect tant envers votre personne qu’envers vos convictions personnelles.
Vous accusez ainsi le Pape de trahir l’Evangile : « Benoît XVI (…) affirme, écrivez-vous, que l'Eglise dont il est chef est la seule véritable Eglise, alors quand ses paroles entraînent la division, le jugement et la condamnation de l'autre, il trahit l'Evangile. »
Il trahit l’Evangile pourquoi ? Parce qu’il se prétend, si je vous comprends bien, l’unique représentant de « la seule véritable Eglise », et que ses paroles entraînent la division, le jugement et la condamnation de l’autre, toutes choses contraires à l’Evangile.
Mais de quel Evangile parlons-nous ?
Avec de tels raisonnements, on pourrait reprocher en effet… au Christ lui-même de trahir l’Evangile ! Lorsque Jésus se présente par exemple comme l’Unique Vérité (Jn 14. 6), ou lorsqu’il affirme que seront condamnés tous ceux qui refuseront de croire en Lui (Mc 16. 16), ses paroles suscitent inévitablement la division, et sont perçues par ceux qui ne croient pas en Lui comme une condamnation...
C’est précisément cet Evangile dont vous parlez qui prophétise au sujet de Jésus qu’« Il sera un signe de contradiction » (Lc 2. 34). Et le Maître Lui-même avait prévenu ses Apôtres : « Si le monde a de la haine pour vous, sachez qu'il m'a haï avant vous (...). Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». (Jn 15. 18-20) A un autre moment, Jésus déclare à ses disciples : « Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous, car c'est ainsi que leurs pères agissaient à l'égard des faux prophètes » (Luc 6. 26).
Il ne me paraît donc pas très sérieux de tirer argument des remous provoqués par le discours de Ratisbonne pour affirmer du Pape qu’il « trahit l’Evangile ».
Lorsque vous prêtez au Saint Père des paroles de jugement et de condamnation, de quelles paroles parlez-vous ? Avez-vous lu le texte du discours de Ratisbonne ? Si tel est le cas, où pouvez-vous y lire la moindre condamnation ? Je veux dire : quant aux personnes. Car si condamnation il y avait dans les propos du Pape, elle ne pourrait concerner en vérité que ceux qui croient pouvoir user de la violence pour des motifs religieux.
Je sais bien que les journalistes occidentaux ont savamment entretenus l’équivoque sur la pensée du Pape en lui attribuant indûment des propos tirés d’une citation de l’Empereur byzantin Manuel II Paléologue ; mais si équivoque il y avait, il me semble qu’elle a été levée par les propos ultérieurs du Saint Père.
Une analyse objective du texte permet de constater que l’intention du Pape était en réalité d’affirmer que « la violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l'âme. »
Il est hautement regrettable que les médias aient occulté la seconde partie de la citation de l’Empereur byzantin, en tout point remarquable : « Dieu n'apprécie pas le sang, ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de l'âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire quelqu'un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non de la violence et de la menace... Pour convaincre une âme raisonnable, il n'est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d'instrument pour frapper, ni de quelqu'autre moyen que ce soit avec lequel on pourrait menacer une personne de mort... ».
Commentaire du Pape sur ce passage : « L'affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. » S’ensuit un long développement sur ce thème de la foi et de la raison.
Où voyez-vous cher Pasteur un quelconque jugement à l’égard de quiconque dans ce texte ? Qu’y a-t-il de contraire à l’Evangile dans ces paroles ? Qui peut donc se sentir offensé par ces propos ? Le Pape a-t-il le droit de dire que la violence n’est pas compatible avec la religion ? Ou bien le priez-vous poliment de se taire, afin ne pas froisser diplomatiquement certaines susceptibilités ? Mais dans ce dernier cas, n’est-ce pas alors qu’il y aurait trahison de l’Evangile…
Permettez-moi d’aller encore plus loin : même à supposer qu’il y ait eu dans les propos du Pape une quelconque condamnation à l’égard d’un groupe déterminé, elle ne serait pas en soi contraire à l’Evangile, si l’on englobe par ce terme toute l’économie de la Nouvelle Alliance, en ce compris les textes apostoliques. Souvenez-vous par exemple de l’exhortation de l’Apôtre Paul à Timothée dans sa deuxième Lettre : « Proclame la parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, mais avec une grande patience et avec le souci d'instruire. » (4. 2).
Votre analyse me paraît donc mal fondée. Ainsi que la conclusion sans appel que vous en tirez : « il me semble très dangereux, dites-vous, de se parer du titre de "vicaire du Christ". En effet, aucun chrétien ne peut se prétendre absolument fidèle à l'enseignement du Christ. Mais Benoît XVI a pris ce titre, bien plus, il affirme que l'Eglise dont il est chef est la seule véritable Eglise (…) ; le problème n'est pas dans la violence réelle ou non de l'Islam, il est dans ce que le pape représente et dans l'humilité du message évangélique... »
« Aucun chrétien, dites-vous, ne peut se prétendre absolument fidèle à l'enseignement du Christ » : c’est vrai. Mais c'est précisément pour cette raison qu'il fallait absolument que Dieu donnât ce charisme à son Eglise et à son Pape, pour que cet enseignement puisse demeurer dans son intégrité et être transmis sans altération à travers les siècles...
« Quant au charisme dont vous parlez, me répondez-vous, c'est précisément le point qui nous oppose.
« Premièrement je ne crois pas que l'Eglise se limite à l'Eglise catholique romaine et je ne lui reconnaît aucun pape » : ça, serais-je tenté de dire, c’est votre opinion,…
« Deuxièmement, la Bible et l'Esprit Saint me paraissent suffire amplement à ce que malgré les altérations et dérives (y compris pontificales…), la Bonne Nouvelle nous soit transmise : la preuve que cela ne suffit pas, c’est l’absence d’unité du monde protestant auquel vous appartenez, unité qui vous est pourtant si chère à vous lire, et que vous considérez (à juste titre) comme un critère d’authenticité évangélique… Sans vouloir vous offenser, j’observe chez nombre de mes amis protestants une fâcheuse propension à la division et à la condamnation de l’autre (« le Pape trahit l’Evangile ! » ; ou d’un autre blogueur protestant en commentaire sur ce Blog : « tu propages plein de mensonges »…)
« Troisièmement, je serais assez curieux de savoir comment vous appuyez bibliquement votre affirmation quant à l'autorité nécessaire du pape... : de cela, je suis tout à fait disposé à discuter avec vous, cher Pasteur. Mais sans vous désobliger, je serai curieux pour ce qui me concerne de savoir comment vous justifiez bibliquement la Sola Scriptura...
Lire également le fil au sujet de l'Eglise Catholique Romaine sur le Blog de Miky.