10 septembre 2006 7 10 /09 /septembre /2006 13:19

[Cet article est la suite de La morale sexuelle catholique en débat ]

Cher Miky,

Pour répondre aux divers points que tu soulèves dans ton article sur l'absolu et le relatif, je voudrais tout d'abord commencer par répondre à cette première grande question : au fond, qu’est-ce que le péché ?

Tu le dis toi-même très bien Miky : « Je sais que pécher veut simplement dire "manquer la cible" ». C’est effectivement le sens du mot « péché » en hébreu : manquer son but, manquer sa cible. Quelle cible ? Le bonheur, tout simplement. Pécher, c’est se tromper de bonheur. Non pas donc seulement le constat objectif et froid (tel un constat d’huissier) d’une infraction à une loi d’airain qui s’imposerait de l’extérieur, et à laquelle nous serions sommés d’obéir à peine d’être sévèrement châtiés, mais bien plutôt une erreur d’aiguillage qui nous fait faire fausse route, et nous éloigne de ce que à quoi notre cœur aspire le plus profondément : la plénitude du bonheur.

L’homme qui trompe sa femme croit ainsi (consciemment ou non) qu’il trouvera son bonheur dans l’adultère. Or, il se trompe, car créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme est fait pour la Vérité, l’Amour, la Justice et la Fidélité. Une vie qui ne satisfait pas à ses exigences ne pourra donc jamais le combler.

Comme l’écrit Marie-Noëlle THABUT dans son commentaire du Livre de l'Exode (24. 3-8) : « Ne nous y trompons pas. Ce n’est pas à Dieu que notre obéissance profite. Si Dieu nous donne des commandements, c’est parce que nous ne pouvons pas trouver notre bonheur sans un certain mode de vie ; quand nous désobéissons aux commandements, c’est à nous que nous faisons du mal, c’est notre propre malheur que nous construisons (…) ».

Quand l’homme pèche, c’est donc d’abord à lui-même qu’il porte préjudice, et en fait de « châtiment », il aura simplement à souffrir des conséquences de ses propres actes. Ainsi, lorsqu’un enfant désobéi à ses parents qui lui avaient interdis de s’approcher du feu, c’est lui-même qui se brûle, c’est lui qui se fait mal… De même sur le plan spirituel : lorsque nous péchons, nous commettons sans le savoir des dégâts considérables dans notre âme…

Mais comment expliquer cela ? Pourquoi le Mal fait-il ainsi… mal ?

Tout simplement parce que l’homme qui se sépare de Dieu en s’écartant de la loi divine se soumet, sans en avoir nécessairement conscience, à un autre dieu qui l’asservira et le réduira en esclavage. « Tout homme qui commet le péché est un esclave » dit Jésus (Jn 8. 34). Car à la base de tout péché, il y a finalement une idolâtrie : nous mettons à la place de Dieu ce qui ne l’est pas.

Le Père Pascal Ide, dans son remarquable ouvrage sur les sept péchés capitaux, reprend l’assimilation du péché à l’idolâtrie en rappelant que l’Ecriture Sainte nous révèle quatre caractéristiques de l’idole :

1°) Elle est ce que l’homme fabrique de ses propres mains ;

2°) Elle est le mensonge d’un faux bonheur : elle se fait passer pour Dieu, mais elle n’est pas Dieu et déçoit toujours ses dévots ;

3°) Elle assimile l’idolâtre : l’homme qui a fabriqué l’idole finit par lui ressembler ;

4°) Elle aliène : elle entraîne souvent une dépendance, une « addiction ».

« Leur Dieu, c’est leur ventre », disait Saint Paul à la communauté de Philippe (Phil. 3.19). Il aurait pu tout aussi bien dire : leur Dieu, c’est leur sexe ; ou bien leur Dieu, c’est leurs placements financiers ; ou encore leur Dieu, c’est leur travail ; ou leur Dieu, c’est leur pouvoir, etc. En choisissant de mettre de telles idoles à la place de Dieu dans leur vie – c’est-à-dire à la première place… –, les hommes se condamnent eux-mêmes à la tristesse et finalement au désespoir, car qu’ils le veuillent ou non, ils sont faits pour l’infini de Dieu qui seul est capable de combler leur cœur. « Dieu seul rassasie » disait Saint Thomas d’Aquin. « Tu nous a fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi » affirmait encore Saint Augustin en ouverture de ses Confessions.

Comme l'écrivait Charles Baudelaire dans « Les Paradis artificiels » : « les vices de l’homme, si plein d’horreurs qu’on les suppose, contiennent la preuve de son goût pour l’infini ; seulement, c’est un goût qui se trompe souvent de route. C’est dans cette dépravation du sens de l’infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables ».

Dans son audience générale du 5 octobre 2005, le Pape Benoît XVI définissait l’idôlatrie comme l’« expression d'une religiosité déviée et trompeuse. En effet, l'idole n'est autre qu'une "oeuvre des mains de l'homme", un produit des désirs humains; elle est donc incapable de surmonter les limites des créatures. Oui, elle a bien une forme humaine, avec une bouche, des yeux, des oreilles, une gorge, mais elle est inerte, sans vie, comme c'est précisément le cas pour une statue inanimée (cf. Ps 113B, 4-8).

« Le destin de celui qui adore ces réalités mortes est de devenir semblable à celles-ci, impuissant, fragile, inerte. Dans cette description de l'idolâtrie comme fausse religion est clairement représentée la tentation éternelle de l'homme de chercher le salut dans "l'oeuvre de ses mains", en plaçant son espérance dans la richesse, dans le pouvoir, dans le succès, dans la matière. Il arrive malheureusement à celui qui s'engage dans cette voie, qui adore la richesse, l'aspect matériel, ce que décrivait déjà de façon éloquente le prophète Isaïe: "Il s'est attaché à de la cendre, son coeur abusé l'a égaré, il ne sauvera pas sa vie, il ne dira pas: "Ce que j'ai dans la main, n'est-ce pas un leurre"?" (Is 44, 20). »

Les satisfactions sensibles et matérielles sont donc le plus souvent pour nous des mirages : nous croyons qu’ils sont notre bonheur, nous y aspirons, nous faisons effort pour y avoir accès, pour les accumuler, nous en jouissons au maximum,… mais au final, notre cœur demeure profondément vide et insatisfait, et nous nous retrouvons seul dans notre désert intérieur, comme « en manque » de quelque chose que nous ne savons même pas définir, nostalgiques d’un autre bonheur dont nous ne soupçonnons pas l’existence, ou dont nous ne connaissons pas le chemin, et qui est comme l’appel en creux à la plénitude de la vie divine pour laquelle nous sommes tous faits, et à laquelle nous sommes tous appelés.  

 

***

 

Cela dit, le péché ne réside pas uniquement dans le simple fait objectif de se tromper de route et de se faire du mal. Dans le cas évoqué plus haut de l’enfant qui désobéit et se brûle au feu, sa faute la plus grande est sans aucun doute de ne pas avoir su écouter ses parents, par orgueil ou manque de confiance. Le péché n’a donc pas seulement pour conséquence de nous faire directement du mal ; il altère plus fondamentalement une relation d’amour et de confiance qui nous fait vivre, et en laquelle se trouve le secret de notre bonheur. Il nous coupe et nous sépare de Quelqu’un qui nous aime et nous veut du bien, de Celui-là seul qui détient la clef de notre existence (puisqu’il en est le Créateur). Le péché est donc une blessure portée au Cœur infiniment aimant de Dieu, une rupture d’avec notre Source vivifiante, dont nous avons la responsabilité, et qui nous fait mourir. Et le péché, en rigueur de terme, c’est d’abord cela.

« Le péché, écrivait le Père Jean Lafrance, se définit par rapport à l’amour de quelqu’un en face de quelqu’un. Il n’y a de péché qu’en face d’un autre et si Dieu et nos frères n’étaient pas des personnes, il n’y aurait pas de péché et pas de coupable. S’il n’y avait pas le mystère de la rencontre d’une personne avec une autre personne, il y aurait des gens qui n’agissent pas selon leur raison, qui ne se dominent pas par manque de courage, qui sont infidèles à une loi ou un idéal, mais il n’y aurait pas de pécheurs. Dans la vie chrétienne, nous ne sommes pas seulement en face des valeurs, mais devant quelqu’un qui est Dieu ».

Comme l’écrivait Marie-Noëlle THABUT dans la suite du passage cité plus haut : « Notre faute à l’égard de Dieu, quand nous désobéissons à ses commandements, c’est de ne pas lui faire confiance pour diriger notre vie. »

Le péché primordial, le péché à l’origine de tous les autres péchés (le péché dit "originel"), c’est donc fondamentalement la défiance envers Dieu, le soupçon que nous nourrissons à l'égard de son dessein sur nous. Le Serpent nous instille le venin de la suspicion : et c’est ainsi que nous ne croyons pas vraiment en la bonté de Dieu pour chacun de nous ; que nous doutons qu’il veuille véritablement notre bonheur ; que nous lui prêtons des intentions mauvaises : en particulier celle de vouloir aliéner notre liberté, de nous amputer de quelque chose « de grand, d’unique, qui rend la vie si belle » pour reprendre les mots du Pape Benoît XVI. Ce faisant, nous choisissons délibérément le péché, que nous considérons comme un bien supérieur à Dieu Lui-même (d’où l’idôlatrie…), et c’est ainsi que nous faisons « fausse route », ainsi que nous l’avons dit plus haut, et que nous construisons notre propre malheur.

Dès lors, nous sommes invités par Dieu à l’écouter. En nous donnant sa Loi, il nous enseigne le chemin du bonheur parfait auquel notre cœur aspire profondément. Lorsque nous désobéissons, c’est d’abord à nous que nous faisons du mal, puisque le péché détruit ce qu’il y a de plus humain en nous. Mais nous commettons aussi (et surtout) une grande faute à l’égard de l’Amour de Dieu : chaque péché volontaire de notre part est comme un crachat au visage du Christ. Voilà pourquoi il est important de nous convertir (et je parle aussi pour moi !), d’écouter le Seigneur et d’implorer son pardon. Ce n’est pas chose facultative pour l’homme, mais bel et bien une question de vie ou de mort, de bonheur ou de malheur.

« Je te propose aujourd'hui de choisir ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. Écoute les commandements que je te donne aujourd'hui : aimer le Seigneur ton Dieu, marcher dans ses chemins, garder ses ordres, ses commandements et ses décrets. Alors, tu vivras et te multiplieras ; le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays dont tu vas prendre possession.

« Mais si tu détournes ton coeur, si tu n'obéis pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d'autres dieux et à les servir, je te le déclare aujourd'hui : certainement vous périrez, vous ne vivrez pas de longs jours sur la terre dont vous allez prendre possession quand vous aurez traversé le Jourdain.

« Je prends aujourd'hui à témoin contre toi le ciel et la terre : je te propose de choisir entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c'est là que se trouve la vie, une longue vie sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob. » (Deut. 30. 15-20).

Sources :

Marie-Noëlle Thabut, « L’intelligence des Ecritures », Tome 4, Editions Soceval, 2000

Pascal Ide et Luc Adrian, « Les 7 péchés capitaux », Editions Mame-Edifa

Saint Augustin, « Les Confessions », collection Points Sagesses

Beaudelaire : « Les Paradis artificiels », Livre de Poche

Jean Lafrance, « Persévérants dans la prière », Médiaspaul, 1982

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Publié par Matthieu BOUCART -
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