27 septembre 2009 7 27 /09 /septembre /2009 12:29


Deuxième Partie
: LA RAISON


UNE FOI TRANS-RATIONNELLE
 

 

 


Chers amis,

Trop souvent, l’on a opposé la Foi et la Raison. Sans doute parce que la Foi n’est pas affaire de Raison. « C’est le cœur qui sent Dieu, disait Pascal, et non la Raison. Voilà ce que c’est que la Foi. Dieu sensible au cœur, et non à la Raison ».

Il est donc bien entendu que la Foi n’est pas le produit naturel de la Raison. On ne rencontre pas le Dieu de la Révélation à la suite d’un processus intellectuel, d’une réflexion rationnelle aussi brillante et magistrale soit-elle. C’est dans le fond du cœur que se joue notre adhésion au Dieu qui se révèle ; c’est là le siège de la Foi.

Dieu se rencontre comme une personne vivante, dans une expérience spirituelle que l’Esprit nous donne de vivre, dont beaucoup témoignent, mais dont tous les croyants n’ont peut-être pas toujours conscience (je pense aux chrétiens de « naissance » qui n’ont pas eu leur chemin de Damas, mais dont l’humble vie de foi est authentique expérience de Dieu).

Saint Paul disait ainsi : « Personne ne peut dire Jésus est Seigneur si ce n’est dans l’Esprit Saint » (1 Co 12. 3). Personne… Ce n’est donc pas dans les livres (ou sur le Blog Totus Tuus...) que l’on découvre la Seigneurerie de Jésus-Christ sur le monde et sur soi ; mais dans le fond de son cœur, sous l’action du Saint Esprit. Le croyant est celui qui, éclairé par la divine lumière du Saint-Esprit, reçoit l’intime certitude de la vérité de la Révélation en Jésus-Christ et peut ainsi confesser du fond de son cœur que Jésus-Christ est Seigneur.


Ou pour dire autrement : la Foi est le fruit d’une grâce surnaturelle infusée en nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous est donné ; elle n’est pas le résultat mécanique d’un raisonnement intellectuel.


Lorsque Paul Claudel se convertit à la cathédrale de Notre Dame de Paris, l’après-midi de Noël 1886, son cœur fut saisi par la présence de Dieu, lors même que son esprit restait envahi d’innombrables objections contre les vérités de la foi : « C’est vrai. Dieu existe, il est là. C’est quelqu’un, c’est un être aussi personnel que moi. Il m’aime, Il m’appelle. Les larmes et les sanglots étaient venus et le chant si tendre de l’Adeste ajoutait encore à mon émotion. Emotion bien douce où se mêlait cependant un sentiment d’épouvante et presque d’horreur. Car mes convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catholique me semblait toujours le même trésor d’anecdotes absurdes, ses prêtres et ses fidèles m’inspiraient la même aversion qui allait jusqu’à la haine et au dégoût ».


Témoignage édifiant où l’on voit le cœur touché dans ses profondeurs devant l’évidence soudaine de la présence de Dieu, lors même que l’intelligence n’est pas encore convertie : « la religion catholique me semblait toujours le même trésor d’anecdotes absurdes » écrivait Claudel.


La Foi n’est donc pas affaire de Raison, au sens où elle n’en est pas le fruit naturel. Nul ainsi ne peut se donner la Foi ; elle est une grâce surnaturelle, un don de Dieu, le fruit d’une effusion de l’Esprit Saint qui nous donne de percevoir ce que nul œil n’a pu voir ; d’entendre ce que nulle oreille n’a jamais entendue (cf. 1 Co 2. 9).


Est-ce à dire pour autant que la Foi s’oppose à la Raison ? Qu’elle est irrationnelle ? Non point. Car si la Foi n'est pas affaire de Raison, elle a à faire avec la Raison. Elle est en vérité un acte de la Raison humaine elle-même – mue par l’action de la grâce, et non par ses seuls ressorts internes.


Dans la démarche de Foi, le cœur est touché d’abord. Mais la Raison est sollicitée, et c'est elle en dernière instance qui donne son adhésion aux vérités révélées. Il ne peut y avoir de Foi authentique si notre Raison n’est pas accordée avec notre cœur profond, si notre être tout entier n’est pas unifié en Dieu. Une foi purement sentimentale qui ne chercherait pas ses racines dans la Raison ne serait pas véritablement humaine – puisque l’homme est un être doué de Raison ; c’est pourquoi elle ne mériterait pas le nom de Foi, puisque la Foi implique et engage tout l’homme – « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit » (cf. Deut 6. 5 ; Mt 22. 37 ; Mc 12. 30 ; Lc 10. 27).


C’est ce qu’avait compris Paul Claudel qui, après avoir été touché par la grâce, entrepris un important travail intellectuel pour évangéliser peu à peu sa pensée. Comme beaucoup d’autres convertis ayant vécu une expérience spirituelle similaire, Paul Claudel se plongea dans les livres pour amener son intelligence, sa Raison, à croire sans réticence : « L’étude de la Religion était devenue mon intérêt dominant (…). Les livres qui m’ont le plus aidé à cette époque sont d’abord les Pensées de Pascal, ouvrage inestimable pour ceux qui cherchent la Foi, bien que son influence ait souvent été funeste ; les Elévations sur les mystères et les méditations sur les Evangiles de Bossuet et ses autres traités philosophiques ; le poème de Dante, et les admirables récits de Sœur Emmerich. La métaphysique d’Aristote m’avait nettoyé l’esprit et m’introduisait dans les domaines de la véritable Raison ».


Pour être pleinement croyant, il ne suffit donc pas d’avoir le cœur touché par la grâce, d’avoir reçu une révélation ineffable. Il faut encore que la Lumière de Dieu pénètre peu à peu l’intelligence et que sa force transforme notre volonté. Comme le disait Michel Etcheverry : « Le Seigneur n’est pas un locataire comme les autres. Il occupe toute la place ». Dieu nous aime trop pour ne pas avoir préparé à notre intelligence la nourriture dont elle a besoin pour éliminer ses doutes. C’est Dieu Lui-même qui a suscité dans l’esprit humain des exigences critiques, le besoin de ne rien affirmer sans raison, le besoin de vérifier ses intuitions. Nous ne cédons donc pas à l’orgueil lorsque nous cherchons à donner à notre Foi des fondements solides. C’est le mouvement interne à la Foi elle-même qui le requiert.

« Jamais Dieu ne demande à l'homme de faire le sacrifice de sa raison! 
affirmait avec force le Pape Benoît XVI lors de son dernier passage en France. Jamais la Raison n'entre en contradiction réelle avec la Foi » (homélie sur l'Esplanade des Invalides à Paris, le 13 septembre 2008).

La Foi n’est donc pas une attitude irrationnelle, puisqu’elle sollicite le consentement de la Raison humaine. Elle n’est pas non plus une attitude purement rationnelle, puisque l’essence de la Foi – qui est rencontre personnelle avec le Dieu d’Amour – réside précisément… dans l’Amour, qui est affaire de cœur, non d’intelligence. Je pense que c’est ainsi qu’il faut entendre la phrase de Pascal que nous citions plus haut, en début d’article.


La Foi est un processus qui implique une intervention divine (une grâce, qui est première et sans laquelle nous ne pourrions rien) ; une intervention divine touchant le cœur de l’homme (c’est-à-dire son être profond, et non pas nécessairement ni exclusivement sa sensibilité, le « cœur » n’étant pas simplement la « sensibilité ») ; lequel homme, en vertu même de cet Amour qui le touche, se trouve conduit à faire don à Dieu de tout son être, et de sa Raison en particulier.


Si la Foi n’est donc pas à proprement parler rationnelle, elle n’est pas davantage irrationnelle ; elle est, selon la belle expression de Mgr Léonard, trans-rationnelle, au sens où elle s’appuie sur la Raison, mais la dépasse. Sans jamais perdre le lien avec la Raison ! Ou comme disait le Cardinal Barbarin aux JMJ de Cologne en 2005 : « Nous ne croyons pas pour des raisons, mais nous avons nos raisons de croire ». Car si la Foi n’est pas purement rationnelle, il est raisonnable de croire.


L’objection qui vient alors immédiatement à l’esprit est la suivante : un homme raisonnable peut-il accorder du crédit à une Foi trans-rationnelle ? Est-il raisonnable de croire à quelque chose qui dépasse la Raison ? N’est-il pas plus raisonnable et prudent au contraire de s’en tenir aux strictes limites de la Raison ? Est-il véritablement légitime de transgresser les frontières de la Raison pure ?


Pour ma part, je pense que OUI et cela pour trois… raisons.


Premièrement : parce que l’homme raisonnable franchit quotidiennement les limites de sa raison, bien qu’il n’en ait pas conscience.
Il est dans la nature même de l’homme raisonnable de poser des actes de Foi transrationnels. Et de même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, de même le rationaliste athée le plus intransigeant pose chaque jour des acte de foi transrationnels sans qu'il le soupçonne.


Ainsi, lorsqu’il est amoureux.


L’amour humain lui-même est transrationnel… et heureusement ! Pauvre amitié que celle qui serait entièrement contrôlée par la Raison et se présenterait comme la conclusion logique d’un raisonnement contraignant ou d’un calcul rigoureux : « Ca + ça + ça = je t’aime ». Non, ce n’est pas cela l’Amour. Pourtant, même si l’amour est plus qu’une question de clairvoyance rationnelle, son idéal n’est pas d’être aveugle ou inintelligent. L’amour n’est donc pas irrationnel : sa vérité ne se réduit pas à un coup de tête déraisonnable. Celui qui aime authentiquement sait pourquoi il aime, même si son amour déborde ce savoir. Ou pour dire autrement : le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, mais… ces raisons du cœur qui transgressent l’ordre purement rationnel de la Raison sont malgré tout… des raisons !


Mais, allez-vous me dire, notre rationaliste athée n’est peut-être pas amoureux… Qu’à cela ne tienne ! Il communique quand même avec les autres ! Il leur parle, et les écoutent quand ils s'adressent à lui. Et de fait : le langage parlé constitue le mode de communication le plus direct et le plus efficace entre les hommes. Toutefois, si la parole rend possible des échanges d’expériences et d’idées qu’aucun autre moyen d’expression ne pourrait traduire, elle permet aussi le pire des mensonges puisque mon interlocuteur ne peut vérifier du dehors si les mots que j’exprime sont conformes ou non à ma pensée intime. C’est pourquoi, chez l’homme, le langage le plus révélateur, celui de la parole, prend toujours la forme d’un témoignage, c’est-à-dire d’une affirmation qui, ne pouvant être immédiatement vérifiée de l’extérieur, appelle de la part de l’auditeur une certaine attitude de confiance… et de foi.


Toute communication authentiquement humaine est donc transrationnelle, en ce qu’elle échappe à une vérification extérieure exhaustive. Je dois « croire » au « témoignage » de mon interlocuteur. Pour autant, cette confiance que je fais à autrui ne doit pas être aveugle, et si j’ai des raisons de penser que l’autre pourrait se tromper ou me tromper, il m’est loisible d’entreprendre les quelques vérifications limitées qui me sont accessibles du dehors, en procédant par exemple à certains recoupements avec d’autres sources d’information.


Ainsi, toute « révélation » interpersonnelle appelle une attitude de « foi » transrationnelle en un « témoignage » ; mais en même temps, pour être digne de notre raison autant que de la liberté de l’autre, cette confiance doit être éclairée, s’appuyer sur des raisons. Il devient alors raisonnable de croire en la parole de l’autre, même si cette « foi » dépassera de toujours le strict cadre de ce que ma Raison pourra vérifier par elle-même.


Dans toute relation humaine authentique, il y a donc, comme dans la Foi religieuse, un mélange de confiance transrationnelle et de clairvoyance raisonnable. Voilà pourquoi il n’est pas déraisonnable d’adhérer à une Foi religieuse transrationnelle ; voilà pourquoi la Foi trans-rationnelle est profondément digne de l’homme, et conforme à sa nature : il est humain de communiquer et d’aimer ; il est humain de croire.


D’autant plus – et c’est le second argument – qu’il est raisonnable de reconnaître des limites à la Raison humaine.


Il est vrai que la Foi dépassant la Raison, elle nous conduit inexorablement à des mystères humainement incompréhensibles. Que l’on songe par exemple à la Sainte Trinité : la conception d’un Dieu unique en trois personnes. Ou au fait que Jésus soit né d’une vierge ; ou encore que dans l’Eucharistie, le Christ nous donne réellement à manger son Corps et son Sang. Voilà bien des mystères insondables auxquels le chrétien est appelé à adhérer par la Foi. Alors ? Cela fait-il de lui un homme insensé ? Est-il vraiment raisonnable de croire en des réalités qui dépassent notre Raison ?


Eh bien… OUI selon Pascal ! Pour le philosophe, il est tout à fait raisonnable d’affirmer l’existence de vérités incompréhensibles. Pourquoi ? Parce que si vous n’en reconnaissez pas l’existence, il vous faut alors admettre quelque chose d’encore plus incompréhensible, à savoir : l’existence de réalités sans cause. Ce qui est la définition même de l’absurde. Le mot « absurde » ne désigne pas ici une réalité dénuée de sens, dont on ne découvre pas le but, la finalité, mais une réalité qui surgirait toute seule, sans être produite par une Cause. Or, selon Pascal, il est plus raisonnable d’affirmer l’existence d’une Cause, fût-elle mystérieuse, pour rendre compte des réalités bien concrètes qui s’imposent à nos yeux, plutôt que de les laisser sans explications, sans raison suffisante. Il ne s’agit pas là d’une démarche du cœur, mais de l’intelligence ; d’une exigence intrinsèque à la Raison elle-même qui postule que tout ici-bas a une… raison d’exister. Ou comme disait Emmanuel Mounier, il est absurde que l’absurde soit ! Il est donc tout à fait raisonnable, selon Pascal, de préférer le mystère à l’absurde ; de croire en un Dieu Créateur plutôt qu’en une auto-création spontanée de l’univers.


Ainsi, lorsque vous affirmez que le monde dans lequel nous vivons a été créé par Dieu, vous confessez certes l’existence d’une réalité incompréhensible, dont le mystère nous dépasse totalement. Mais si vous en niez l’existence, vous laissez sans explication l’existence et l’ordre du monde bien concret que vous avez sous les yeux : le monde devient absurde, sans raison d’être. Ce qui est absurde du point de vue de la Raison. Il est mystérieux que Dieu soit ; mais il serait absurde qu’Il ne soit pas. C’est pourquoi la Raison elle-même, de son propre mouvement, requiert d’aller au-delà d’elle-même ; c’est pourquoi il est plus raisonnable de croire que de ne pas croire.


Comme le dit Pascal dans ses Pensées : « Il n’y a rien de si conforme à la Raison que ce désavoeu de la Raison ». Pour le philosophe, c’est une exigence de la Raison elle-même que de reconnaître l’existence de réalités qui la dépassent. « La dernière démarche de la Raison, écrit Pascal, est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent : elle n’est que faible si elle ne va pas jusqu’à connaître cela ».


Le premier réflexe de la Raison humaine est certes de vouloir tout saisir, tout comprendre, tout expliquer ; mais, le sommet de la démarche philosophique – et le secret de la Sagesse selon Pascal –, c’est d’accepter d’avoir l’esprit dépassé par la richesse inépuisable du réel. La Raison reste « faible », peu intelligente et… raisonnable, si elle ne va pas jusqu’à cette humble soumission au mystère de l’être qui la dépasse ; de l’être de l’univers et de tout ce qui le compose... et a fortiori de l’être de Dieu ; car si les réalités de notre univers surpassent notre intelligence, à plus forte raison faut-il s’attendre aussi à être dépassé par le mystère de Dieu.


Bref, puisque les êtres sont infiniment plus riches que ce que l’esprit humain peut en saisir, l’humilité de l’esprit devant cette richesse inépuisable du réel est Sagesse. Elle est, dit Pascal, « la dernière démarche de la Raison ».


Le troisième argument en faveur de l’idée selon laquelle un homme raisonnable peut légitimement avoir recours à une foi transrationnelle réside dans l’examen même des assises rationnelles de notre Foi.
Si la Foi n’est pas stricto sensu rationnelle, il existe des raisons de croire. Quelles sont ces raisons ? C’est ce que nous verrons dans un prochain article.

(à suivre…)



Bibliographie de cette partie consacrée à la foi transrationnelle :

- Abbé Pierre DESCOUVEMONT, « Guide des difficultés de la foi catholique », 1989

- Mgr André-Mutien LEONARD, « Les raisons de croire », Communio Fayard, 1987

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Publié par Matthieu BOUCART -
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commentaires

M
<br /> J'ai juste oublié d'ajouter que je ne faisais que situer un peu plus bas que toi les limites de la raison.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Cher Matthieu,<br /> <br /> Je vois que tu as retrouvé toute ta forme ;)<br /> <br /> Pas d'objection particulière sur cet article qui va dans le sens de ce que je pense déjà : la raison elle-même nous conduit à reconnaître les limites de la raison et à admettre des choses qui la<br /> dépasse (l'exemple de la communication est bien choisi : j'ajouterais même que l'existence de notre interlocuteur en dehors de notre perception requiert déjà une sorte d'acte de foi... qui précède<br /> l'exercice même de la raison et le rend possible).<br /> <br /> Bien à toi.<br /> <br /> <br />
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