6 septembre 2009 7 06 /09 /septembre /2009 15:27
Mon cher Miky,

Je voudrais t’exprimer ma gratitude pour ton dernier article concernant le problème du Mal en face de l’existence de Dieu – reprenant les termes d’une discussion que nous avions eu à ce sujet il y a quelques mois de cela.

Je te remercie, car cet article, extrêmement stimulant pour la réflexion, me remet un peu en selle, après quelques mois de léthargie.

Je te remercie aussi, car cette question du Mal est essentielle, et je suis prêt à y consacrer du temps pour en débattre si tu le souhaites.

« Une des théodicées les plus en vogues (et défendue notamment par Plantinga), tente d'expliquer l'existence du mal malgré l'existence de Dieu comme un moindre mal : Dieu tenait à ce que nous soyons libres, or la liberté impliquait que l'on puisse choisir le mal. »

Cette théodicée ainsi énoncée n’est pas chrétienne (en tout cas, pas catholique). Dans le christianisme, Dieu est absolument étranger au Mal, à l’idée même de mal. Il n’est pas de Mal en Dieu, et Dieu ne peut absolument pas concevoir le Mal. On ne peut donc pas dire que le Mal – fut-il le « moindre » – ait été voulu par Dieu.

Ce que Dieu a voulu de toute éternité, en créant les anges et les hommes – qui ont en commun d’être des créatures libres –, c’est manifester sa Bonté souveraine et sa Toute-Puissance. L’existence est un Bien. La liberté aussi (n’est-ce pas ton avis ?). Aussi, quand Dieu crée un être libre, gratuitement, sans que cet être n’ait rien demandé ni mérité pour cela, en vue d’une communion d’amour avec Lui et une multitude de frères et de sœurs, il manifeste sa Bonté infinie et sa Toute-Puissance ; il fait resplendir sa Gloire et triompher le Bien.

Contrairement à ce que tu dis, la liberté n’implique pas que l’on puisse choisir le Mal. Elle implique que l’on puisse choisir le Bien, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Elle comporte certes comme conséquence la possibilité d’un refus, d’un choix différent. Mais cette conséquence est hors des vues de Dieu. Lorsque Dieu créé, Il ne peut pas imaginer que des anges et des hommes vont le rejeter – comme je ne peux pas imaginer que si je t’offrais le choix entre une cerise et une Ferrari, tu choisirais la cerise (la comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais elle me paraît éclairante). Voilà pourquoi le Mal est un mystère ; pour l’homme, qui en fait l’amère expérience sur la terre ; mais aussi, je crois, pour Dieu. C’est peut-être la raison pour laquelle la Bible ne nous éclaire pas vraiment sur ce « mystère d’iniquité » (cf. 2 Th 2. 7) qui ravage la Création, et qui conserve ainsi toute son épaisseur. Si Dieu ne nous apporte aucune explication à l’existence (si l’on peut dire) du Mal, c’est sans doute… qu’il n’en a aucune ! Il nous révèle certes que « c’est par l’envie du Diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 1. 13). Mais pourquoi cette envie de l’Ange déchu? Pourquoi le Mal ? Pourquoi cet usage dévié de la liberté des créatures, et ce choix par elles d’un moindre bien que le Bien souverain – qui est Dieu et la vie avec Dieu (la cerise contre la Ferrari ; le plat de lentille contre le droit d’aînesse…). Nul ne le sait. Pas même Dieu, je pense.

« Dieu ne pouvait donc pas atténuer le mal sans nous rendre esclaves et donc brimer notre liberté. »

En fait, pour remédier au problème du Mal, Dieu avait trois possibilités :

Ø
OU BIEN détruire purement et simplement les anges et les hommes ; les réduire à néant : on efface tout… et on ne recommence pas !

Ø
OU BIEN les maintenir dans l’être, mais leur ôter effectivement toute liberté de faire le Mal ; et par voie de conséquence : toute liberté de choisir le Bien (car de même que le choix du Bien implique la possibilité du non-choix du Bien, donc du Mal ; de même la suppression du Mal implique la suppression du libre choix en faveur du Bien – ne resterait donc plus sur la scène du monde que des esclaves soumis ou des robots pré-programmés) ;

mais dans ces deux cas, le Mal aurait finalement triomphé de Dieu, puisqu’à cause du Mal, Dieu aurait été contraint de faire « marche » arrière et de renoncer aux Biens que sont la vie et la liberté ; le Mal aurait donc paradoxalement le dernier mot, en dépit de sa suppression !

Ø
 OU BIEN utiliser le Mal commis par les anges et les hommes pour… le retourner contre lui-même, le vaincre et en triompher ; en tirer un plus grand Bien ; et manifester de cette manière-là sa Bonté et sa Toute-Puissance.

C’est cette dernière option que Dieu a choisi (si l’on peut dire, car Dieu ne peut vouloir QUE le Bien, donc : la Vie et la Liberté ; la suppression de l’une ou de l’autre était hors de ses vues ; elle l’aurait conduit à se renier lui-même).

« Un monde "bon" mais sans liberté ne serait pas aussi parfait qu'un monde "mauvais" mais où les êtres sont libres. Par conséquent, Dieu a actualisé ce dernier type de monde, et non le premier. »

Je ne crois pas que l’on puisse dire que Dieu a actualisé le type d’un monde « mauvais » où les hommes sont libres au nom d’une convenance supérieure de ce type de monde. Car ce type de monde (qui correspond au monde dans lequel nous vivons) n’est justement pas celui que Dieu a voulu ! Ce monde qui est le nôtre n’est pas le Paradis terrestre du Jardin d’Eden (cf. Gn 2), ni le Ciel nouveau et la Terre nouvelle à venir (cf. Is 65. 17 ; Ap 21. 1). Il est un monde transitoire et inachevé « qui gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8. 22). Et qui doit déboucher sur un monde parfaitement « bon » dans lequel la liberté des hommes est totalement préservée. Dès lors, si « un monde "bon" mais sans liberté ne serait pas aussi parfait qu'un monde "mauvais" mais où les êtres sont libres », tu reconnaîtras avec moi qu’un monde « mauvais » où les êtres sont libres ne serait pas aussi parfait qu’un monde « bon » où les êtres sont libres. Or, c’est ce dernier type de monde (le plus parfait) que Dieu actualise dans notre Histoire. Il l’actualise en son Fils Jésus-Christ – dont la Résurrection inaugure le monde nouveau et annonce la restauration finale de la Création déchue ; et dont chaque eucharistie re-présente (présente à nouveau) l’évènement pascal aux hommes d’aujourd’hui pour les y associer, avec les heureuses conséquences que l’on peut voir et mesurer (la vie des Saints).

Oui, Miky, je te l’annonce avec joie – telle est la Bonne Nouvelle de l’Evangile : le Royaume des Cieux est déjà là ; il est actuel. Le Christ est ressuscité ; il est réellement présent au milieu de nous, et il est porteur de la puissance de transformation de l’humanité acquise sur la Croix et appliquée aux âmes dans chaque sacrement (qui est le canal privilégié de la grâce transformante). Le Mal dont souffre l’humanité est déjà vaincu en son Principe – qui est la rébellion du cœur de l’homme ; avant sa déroute finale, à la fin des temps, et l’avènement du Royaume de Dieu dans lequel il n’y aura plus de pleurs, ni de larmes, ni de souffrance et de Mal (cf. Ap. 21. 4) – qui est le seul type de monde que Dieu peut actualiser, en considération de sa Bonté, de sa Sagesse et de sa Toute-Puissance.

« Le présupposé de cette théodicée semble être qu'il est impossible de pouvoir librement choisir entre le bien et le mal si nous ne pouvons pas causer, par nos actions, des actes bons ou mauvais aux conséquences profondes, durables, voire définitives. D'où la nécessité, non seulement que puisse naître en nous des mauvaises intentions, mais encore qu'elles trouvent moyen de s'actualiser pleinement, et donc que de véritables atrocités (comme l'Holocauste) puissent être commises. »

Selon la théodicée catholique, le Mal n’est pas nécessaire à la Liberté. La preuve : Dieu est souverainement libre ; il est pourtant incapable de faire le Mal.

De même, la Sainte Vierge, parce qu’elle était immaculée, était totalement libre de répondre à l’appel de Dieu. C’est la raison pour laquelle elle a répondu OUI et n’a pas commis de péché – non pas parce qu’elle était moins libre, mais au contraire : parce qu’elle était plus libre (même si la possibilité théorique de dire NON et de commettre le péché existait – l’exemple de Eve et des anges est là pour nous le montrer).

Ce qui fonde la liberté, ce n’est pas la possibilité du Mal, c’est la possibilité du Bien. Possibilité qui implique secondairement (pour une créature) celle de faire du Mal (c’est-à-dire de se détourner de Dieu). Mais qui ne met pas celui qui fait le Mal sur le même plan que celui qui fait le Bien, du point de vue de la liberté. Car celui qui fait le Bien use de la liberté que Dieu lui a donné ; tandis que celui qui fait le Mal en abuse. La Liberté ne nous a pas été donnée pour le Mal, mais pour le Bien. Il ne faut donc pas penser la liberté en terme d’alternative entre le bien et le mal, mais uniquement en terme de possibilité de choix du bien ; de même qu’il ne faut pas penser le mal en terme de liberté, mais seulement de péché (au sens littéral de « manquer sa cible », en l’occurrence celle de la vraie Liberté – le choix du Bien – et du vrai bonheur). Celui qui fait le mal peut certes avoir l’illusion d’être libre et de s’affranchir du carcan des règles morales qu’il juge brimante pour la satisfaction de ses désirs égoïstes (cf. Ga 5. 13). Mais en réalité, il perd sa liberté et devient un esclave (cf. Jn 8. 34), lorsque celui qui fait le bien devient toujours plus libre, au point de devenir lui-même libérateur pour ses frères.

« Or, il se trouve que par l'action des forces publiques et les décisions des tribunaux, des criminels sont mis hors d'état de nuire. Cela ne supprime pas nécessairement leurs mauvais penchants, mais cela permet d'éviter que ceux-ci s'expriment, ou du moins qu'ils s'expriment au-delà d'une certaine limite. On peut imaginer sans peine que de telles mesures ont permis, sinon un perfectionnement moral des dits criminels, au moins d'éviter que d'horribles méfaits soient perpétrés. »

« Toutefois, si une condition, pour que l'on puisse vraiment choisir entre le bien et le mal, est que nous pouvions causer, par nos actions, des actes bons ou mauvais aux conséquences profondes, durables, voire définitives, alors il est manifeste que ces criminels mis hors d'état de nuire ne peuvent plus choisir véritablement entre le bien et le mal. Si cela, c'est-à-dire choisir véritablement entre le bien et le mal, est un bien plus important que le fait que des actes mauvais ne soient pas commis et que des actes bons soient réalisés, alors il vaudrait mieux laisser ces criminels libres, afin qu'ils puissent, en commettant délibérement leurs crimes, réaliser ce bien supérieur. »

Si la Liberté pour Dieu est un Bien tel qu’il justifie à lui seul la prolifération du Mal sur la terre, alors pourquoi (demandes-tu) ne Le prendrions-nous pas en exemple en ouvrant toutes grandes les portes de nos prisons en permettant aux délinquants et criminels d’accomplir librement leurs méfaits ?

Tu réponds toi-même partiellement à cette question un peu plus loin dans ton article en faisant observer que la liberté des loups anéantirait la liberté des agneaux…

Je te renvoie en outre à ce que je t’écrivais déjà à ce sujet dans mon précédent article (cf. le point 5 sur le combat de Dieu contre le Mal, et le point 6 sur la question de la Liberté et du libre-arbitre).

Comme je te le disais naguère, Dieu n’est pas passif face au Mal (au contraire de Toto dans ton exemple, ou de l’attitude que tu préconises dans ton dernier article pour nous inviter à imiter Dieu). Dieu agit contre le mal. Et son action passe principalement… par nos propres mains.
« Il se trouve que par l'action des forces publiques et les décisions des tribunaux, des criminels sont mis hors d'état de nuire. » C'est vrai Miky, et c’est tant mieux. Simplement, c’est Dieu qui donne à l’homme la Raison qui lui permet d’organiser une vie sociale pacifiée, et qui donne à Untel une vocation de policier, à Untel autre, une vocation de magistrat ou d’avocat… (cf. Jn 19. 10-11) Dieu appelle – interpelle ! – les hommes dans le tréfonds de leur conscience, et les incite à se liguer contre le Mal. Aussi, quand un homme décide de consacrer son temps ou sa vie à la lutte contre telle ou telle forme de Mal ou d’injustice, il répond à un appel qui vient d’au-dedans… et d’au-delà de lui ! Dieu n’est donc pas étranger aux efforts entrepris pas les hommes pour lutter contre le Mal ; au contraire, c’est Lui qui les inspire et les suscite. C’est pourquoi laisser le Mal prospérer au nom de la Liberté des hommes serait une pure folie ; non seulement, nous n’imiterions pas Dieu dans son action face au Mal, mais nous entraverions son action contre le Mal. Nous nous ferions ainsi les complices du Mal, et nous rangerions parmi les ennemis de Dieu.

« Cela ne supprime pas nécessairement leurs mauvais penchants, mais cela permet d'éviter que ceux-ci s'expriment, ou du moins qu'ils s'expriment au-delà d'une certaine limite (…). On peut imaginer sans peine que de telles mesures ont permis, sinon un perfectionnement moral des dits criminels, au moins d'éviter que d'horribles méfaits soient perpétrés. »
Tes observations montrent bien qu’un système de justice purement humain ne peut régler le problème du Mal au fond. Car dans un tel système, le mal peut être empêché de « s’exprimer », non « d’exister » (si l’on peut dire). Les « mauvais penchants », ainsi que tu le reconnais, ne sont pas supprimés. Or, ce sont précisément ces mauvais penchants que Dieu veut extirper du cœur de l’homme. Définitivement. Pour qu’il puisse enfin goûter le vrai bonheur. Sans qu’il soit besoin pour cela de lui ôter la liberté (ce qui serait le choix de la facilité, mais consacrerait l’échec de Dieu en face du Mal, ainsi que je le disais plus haut, Dieu devant renoncer à un Bien… à cause du Mal). La manœuvre que cela implique est délicate ; elle s’exerce sur le théâtre de ce monde, un monde où coexistent et s’affrontent le Bien et le Mal, et où le Mal semble même parfois l’emporter ; mais sa réussite passe précisément par le mystère de la Croix. C’est sur la Croix que le Mal est vaincu de l’intérieur – et non seulement empêché d’agir ; c’est sur la Croix que les penchants mauvais des hommes sont engloutis dans la Miséricorde divine ; et c’est de la Croix que les hommes reçoivent leur "perfectionnement moral" – par la puissance transformante du Cœur de Jésus sur le cœur des hommes qui consentent à l’accueillir en eux par le moyen des sacrements (spécialement le baptême, la confession et l'eucharistie). C’est par la Croix que Dieu manifeste sa victoire et sa Toute-Puissance sur le Mal, en détruisant les forces hostiles, non par l’emploi d’une force supérieure, mais par la toute-faiblesse du Fils de l’homme crucifié. En Jésus-Christ, la faiblesse de Dieu se révèle plus puissante que toutes les ligues de l’enfer réunies. Dieu se révèle sur la Croix dans la vérité de son être : Bon et Tout-puissant, mais non pas selon nos conceptions étriquées (parce que trop humaines) de la bonté et de la Toute Puissance.

« A la limite, il faudrait que Dieu empêche les maux résultants en une diminution de la liberté morale de quelqu'un. Il y aurait donc un peu moins de liberté morale, mais elle serait équitablement répartie. Tout le monde pourrait causer des maux profonds, durables, voire définitifs, à l'exception des maux qui, limitant la liberté d'action des gens, les empêcheraient de commettre les maux en question ou des biens et donc porterait ainsi atteinte à leur libre-arbitre. »

Si je te suis, il faudrait – pour que Dieu fasse bien son travail – un peu moins de liberté, afin qu’il y ait un peu moins de mal ; un subtil dosage entre la Liberté et le Mal en somme. Mais la merveille, Miky, c’est que Dieu va faire mieux que cela : il va supprimer totalement le mal en sauvegardant totalement notre Liberté. Et cette entreprise n’est pas une promesse fumeuse pour un avenir lointain et incertain ; elle est déjà commencée (cf. Is. 43. 19).

Alors dis-moi : ce monde nouveau que Dieu est en train de créer, n’est-il pas infiniment plus beau que le monde « parfait » que tu nous dépeins ?
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Publié par Matthieu BOUCART -
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commentaires

R
en réponse à " Si Dieu ne nous apporte aucune explication à l’existence (si l’on peut dire) du Mal, c’est sans doute… qu’il n’en a aucune ! "<br /> <br /> Seul Dieu Le Fils Connait Dieu (Le Pere, Le Fils , le Saint Esprit) et je me demande pourquoi tu es si certain par ta réponse?<br /> Fait attention car le mal est rusé,
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C
magnifique exposé, d'ailleurs une parabole de Saint Maximilien Kolbe traite de la même chose,<br /> avec un langage plus abordable.ne la manquez pas : suivez mon blogue chaque moi : à bientôt.
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D
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