Très cher Hervé,
Je te remercie pour ton dernier message, et pour le lien que tu y as mis avec l’article d’Yves CHIRON diffusé sur le remarquable site Salve Regina. Tu dis que Frère Ephraïm se laisse un peu emporter par son enthousiasme au sujet de Medjugorje, mais Yves CHIRON, lui-même, a parfaitement saisi, me semble-t-il, l’exacte portée de l’évènement, lorsque devant « l’extrême difficulté à comptabiliser exactement les mariophanies à Medjugorje », il reconnaît que « ces milliers d’apparitions, continues dans la durée mais discontinues chez leurs bénéficiaires, sont un CAS UNIQUE dans l’histoire des apparitions ».
Cela dit, ce texte est par ailleurs extrêmement défavorable à Medjugorje. C’est pourquoi je me sens obligé d’y répondre. Je te supplie de ne pas prendre pour toi personnellement, cher Hervé, les critiques qui vont suivre.
A la lecture du texte, il apparaît clairement que l’auteur a un parti pris au sujet de Medjugorje. Ce qui est, me feras-tu remarquer à juste titre, son droit le plus strict. L’ennuyeux, c’est que ce parti pris nuit considérablement à l’objectivité de l’auteur, au point de le conduire parfois à « tronquer » la réalité pour parvenir à la conclusion défavorable souhaitée.
On sent bien ainsi que l’auteur n’adhère pas à la « théologie de Medjugorje », et que c’est une des raisons principales de son opposition. Après avoir décrit en effet l’évènement de manière plutôt neutre, en faisant ressortir par comparaison avec d’autres apparitions reconnues par l’Eglise les quelques points atypiques lui paraissant témoigner en défaveur de l’authenticité du phénomène, l’auteur s’attaque de front à quelques prétendues affirmations de la Sainte Vierge, pour affirmer tout de go qu’elles ne seraient pas conformes à la doctrine catholique.
L’auteur ne prend toutefois pas la précaution de discerner "l’autorité" qu’il convient d’accorder aux messages contestés. Je voudrais citer ici sur ce point Robin Dancausse, co-auteur d’un ouvrage collectif intitulé : « Medjugorje : regard sur les messages officiels dans la lumière du Carmel, de la théologie du laïcat et de l’enseignement de l’Eglise catholique en œcuménisme » (aux Editions Sakramento) : « Il [apparaît] que, dans la profusion des messages de Medjugorje, il y [a] des distinctions à faire. Il existe des messages donnés durant les apparitions quotidiennes, ceux donnés pour les voyants eux-mêmes, d’autres pour un groupe de personnes spécifiques, d’autres pour la paroisse et les pèlerins, d’autres pour un groupe de prière, etc. Il y a, en plus, les messages qui datent du temps du régime communiste, surtout ceux d’avant 1984, dont on ne retrouve aucune trace manuscrite fiable. Du point de vue historique, pour l’étude de ces messages, les sources orales dont nous disposons peuvent être discutables. Il nous est apparu clairement que les messages donnés systématiquement tous les jeudi, puis tous les 25 de chaque mois à la paroisse de Medjugorje et aux pélerins à compter du 1er mars 1984, constituaient une catégorie de messages différents ».
Il paraît donc raisonnable de distinguer les messages selon leur destinataire et la fiabilité de leurs sources, et de ne pas les considérer comme un bloc monolithique « à prendre ou à laisser ». Comme l’écrit le Père René Laurentin au sujet des détracteurs de Medjugorje : ils « ont beau jeu de déformer et radicaliser les propos improvisés des voyants, librement rapportés en croate, et parvenus souvent à travers plusieurs traductions. Ils les manipulent [en outre] dans une superbe ignorance du contexte et de la culture » (René Laurentin, "La Vierge apparaît-elle à Medjugorje?", Editions François-Xavier de Guibert, 2002, page 145).
Sur le plan de la conformité doctrinale des messages de la Vierge à Medjugorje, je n’entrerai pas dans le fond de la discussion, mais me bornerai ici à rappeler ce que déclarait à ce sujet Mgr Kurt Knotzinger, Evêque de Paolo Hnilica : « S'il y avait eu la moindre chose déviée sur le plan théologique, biblique ou moral, l'Eglise aurait émis sa désapprobation à ce sujet depuis longtemps, étant donné les millions de pèlerins qui y viennent ».
Mais c’est précisément sur l’appréciation de la position de l’Eglise au sujet de Medjugorje que l’auteur me paraît le plus « léger ».
Il rappelle tout d’abord que Mgr Zanic, Evèque de Mostar (l’autorité locale compétente pour statuer sur l’authenticité des apparitions de Medjugorje), publia le 30 octobre 1984 « un long rapport où était définie la « Position actuelle, non officielle » de l’évêché au sujet des apparitions. Il y exprimait ses « soupçons » et ses « doutes » sur le caractère surnaturel des faits ».
Puis, après avoir précisé « que Mgr Zanic aurait voulu publier un jugement canonique officiel le 9 janvier 1987 », il se borne à indiquer que « le cardinal Kuharic, président de la Conférence épiscopale yougoslave, [publia] un communiqué où il annonçait la création d’une nouvelle Commission d’enquête, placée cette fois sous l’autorité de la Conférence épiscopale et non plus du seul évêque de Mostar », sans mentionner les raisons de cette bien étrange destitution de l’Ordinaire du lieu, fait pourtant absolument unique dans l’histoire des apparitions.
Or, ainsi que l’écrivait Mgr BRINCARD, dans un texte que tu m’as toi-même transmis, Hervé, il y a quelques mois de cela : « Le 15 mai 1986, Mgr Zanic se rendit à Rome pour déposer auprès de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le dossier des travaux de la commission d'enquête diocésaine. Le 19 mai, il rédigea, dans la "Ville éternelle" sa déclaration qui comportait un jugement négatif sur les faits de Medjugorje. A la demande du Cardinal Ratzinger [futur Pape Benoît XVI], ce jugement négatif ne fut pas publié." (cf. Page 5, dernier paragraphe du 1°).
Pourquoi donc Yves CHIRON occulte-t-il cette information si essentielle ?
- L’auteur rappelle ensuite que « la Conférence Episcopale publia (…), en avril 1991, une « Déclaration » qui affirmait : « Sur la base des études qui ont été faites jusqu’à maintenant, il n’est pas confirmé que des apparitions et révélations surnaturelles ont eu lieu ici. » Après avoir relevé qu’ « aucune autre décision n’est à (…) attendre » de la part de l’Eglise, l’auteur achève son article en affirmant de manière lapidaire que « l’avis rendu en 1991 oblige les catholiques et conclut à un « non-constat de surnaturalite » des faits »!
En d’autres termes, si je comprends bien le message que veut nous faire passer Yves CHIRON, la Conférence Episcopale s’est prononcée :
1°) de manière définitive (aucune autre décision n’est à l’étude),
2°) en ne reconnaissant pas la caractère surnaturel des évènements de Medjugorje,
3°) les catholiques doivent donc se soumettre à cette décision, et y obéir.
Et fermez le ban !
Mais contrairement à ce que laisse entendre l’auteur, la déclaration de Zadar d'avril 1991 :
- ne constitue pas un jugement négatif ("Constat de non supernaturalitate"), tel que celui qu'avait énoncé à titre personnel Mgr Zanic, mais le constat d’une situation ("Non constat de supernaturalitate"), suivi de recommandations pastorales ;
- ne constitue pas un jugement définitif, puisque, sur le fond, la commission de la conférence épiscopale ne se prononce pas, se limitant à dire qu'en l'état actuel des choses, il n'y a pas d'évidence que les phénomènes soient d'ordre surnaturel ("Constat de supernaturalitate" - cf. le texte de Mgr BRINCARD, en bas de la page 6).
Nul doute à ce sujet que l’enquête reprendra (vu l’ampleur du phénomène) lorsque la condition canonique pour cela sera remplie : à savoir que les apparitions aient définitivement cessées (cf. les déclarations de Mgr SCHONBORN, expliquant la position actuelle du Magistère au sujet de Medjugorje par le souci qu'a l'Eglise de « ne pas donner un chèque en blanc à des révélations privées à venir »).
Enfin, il est remarquable qu'il n'y ait pas un mot dans l’article d’Yves CHIRON sur la liberté des chrétiens de se rendre en pèlerinage à Medjugorje, et de croire à l’authenticité des messages de la Vierge et de ses apparitions (en vertu de l’abolition du Canon 1399 § 5).
Pas un mot non plus sur la déclaration du 6 août 1996 du Porte-parole du Vatican, qui affirma officiellement au Service d’information Catholique : « Vous ne pouvez pas interdire aux pèlerins d’y aller [à Medjugorje] à moins que les apparitions aient été prouvées fausses. Cela n’ayant pas été fait, toute personne peut s’y rendre si elle le désire ».
Je comprends bien ton souci Hervé de « relativiser ces possibles révélations privées », mais attention tout de même à ne pas tomber dans l’excès inverse, en rejetant a priori et de manière systématique toutes les manifestations actuelles du Ressuscité ou de sa glorieuse Maman. Il existe des critères de discernement précis sur lesquels nous pouvons nous appuyer avec confiance, et auxquels Yves CHIRON ne fait aucunement référence dans son texte. Dans un prochain article, j’aurais l’occasion d’exposer les trois grands critères de discernement « évangéliques » qui me donnent de croire personnellement en l’authenticité des apparitions de la Vierge Marie à Medjugorje.
(à suivre…)
(Cf. La position de l'Eglise sur Medjugorje + Bibliographie février 2006).