7 mars 2009 6 07 /03 /mars /2009 09:29

Extrait de l’Encyclique Spe Salvi du Pape Benoît XVI, donnée le 30 novembre 2007.

7.
Nous devons encore une fois revenir au Nouveau Testament. Dans le onzième chapitre de la Lettre aux Hébreux(v. 1), on trouve une sorte de définition de la foi, qui relie étroitement cette vertu à l'espérance.

Autour de la parole centrale de cette phrase, s'est créée, depuis la Réforme, une discussion entre les exégètes, où semble s'ouvrir aujourd'hui la voie vers une interprétation commune. Pour le moment, je laisse cette parole centrale non traduite ; la phrase sonne donc ainsi : « La foi est l'hypostasis des biens que l'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas ». Pour les Pères et pour les théologiens du Moyen-Âge, il était clair que la parole grecque hypostasis devait être traduite en latin par le terme substantia. La traduction latine du texte, née dans l'Église antique, dit donc : « Est autem fides sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium » – la foi est la « substance » des réalités à espérer ; la preuve des réalités qu'on ne voit pas. Utilisant la terminologie de la tradition philosophique dans laquelle il se trouve, Thomas d'Aquin l'explique ainsi :
la foi est un « habitus », c'est-à-dire une disposition constante de l'esprit, grâce à laquelle la vie éternelle prend naissance en nous et grâce à laquelle la raison est portée à consentir à ce qu'elle ne voit pas. Le concept de « substance » est donc modifié dans le sens que, par la foi, de manière initiale, nous pourrions dire « en germe » – donc selon la « substance » – sont déjà présents en nous les biens que l'on espère – la totalité, la vraie vie. Et c'est précisément parce que les biens eux-mêmes sont déjà présents que la présence de ce qui se réalisera crée également la certitude : ces « biens » qui doivent venir ne sont pas encore visibles dans le monde extérieur (ils « n'apparaissent » pas), mais en raison du fait que, comme réalité initiale et dynamique, nous les portons en nous, naît déjà maintenant une certaine perception de ces biens.

À Luther, pour qui la Lettre aux Hébreuxcomme telle n'était pas très sympathique, le concept de « substance », dans le contexte de sa vision de la foi, ne disait rien. C'est pourquoi il comprit le terme hypostase/substance non dans le sens objectif (de réalité présente en nous), mais dans le sens subjectif, comme expression d'une disposition et, par conséquent, il dut naturellement comprendre aussi le terme argumentum comme une disposition du sujet. Cette interprétation s'est affermie au vingtième siècle – au moins en Allemagne – même dans l'exégèse catholique, de sorte que la traduction œcuménique du Nouveau Testament en langue allemande, approuvée par les Évêques, dit : « Glaube aber ist: Feststehen in dem, was man erhofft, Überzeugtsein von dem, was man nicht sieht » (La foi consiste à être ferme en ce que l'on espère, à être convaincu de ce que l'on ne voit pas). En soi, cela n'est pas faux, mais ce n'est pas cependant le sens du texte, parce que le terme grec utilisé (elenchos) n'a pas la valeur subjective de « conviction », mais la valeur objective de « preuve ». c’est donc à juste titre que l'exégèse protestante récente est parvenue à une conviction différente : « Mais maintenant, on ne peut plus mettre en doute que cette interprétation protestante, devenue classique, est insoutenable ».[Köster H. : ThWNT VIII (1969), p. 585.]
La foi n'est pas seulement une tension personnelle vers les biens qui doivent venir, mais qui sont encore absents ; elle nous donne quelque chose. Elle nous donne déjà maintenant quelque chose de la réalité attendue, et la réalité présente constitue pour nous une « preuve » des biens que nous ne voyons pas encore. Elle attire l'avenir dans le présent, au point que le premier n'est plus le pur « pas-encore ». Le fait que cet avenir existe change le présent ; le présent est touché par la réalité future, et ainsi les biens à venir se déversent sur les biens présents et les biens présents sur les biens à venir.

8. Cette explication est renforcée ultérieurement et elle se rapporte à la vie concrète si nous considérons le verset 34 du chapitre 10 de la Lettre aux Hébreux qui, en ce qui concerne l'aspect linguistique et le contenu, est lié à la définition d'une foi remplie d'espérance et qui la prépare. Ici, l'auteur parle aux croyants qui ont subi l'expérience de la persécution et il leur dit : « Vous avez pris part aux souffrances des prisonniers ; vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens (hyparchonton – Vulgate : bonorum), sachant que vous étiez en possession de biens meilleurs (hyparxin – Vulgate : substantiam) et stables. » « Hyparchonta » sont les propriétés, ce qui, dans la vie terrestre, constitue le fondement, à savoir la base, la « substance » pour la vie, sur laquelle on compte. Cette « substance », la sécurité normale dans la vie, a été enlevée aux chrétiens au cours des persécutions. Ils ont supporté ces dernières parce qu'ils considéraient de toute façon cette substance matérielle comme négligeable. Ils pouvaient l'abandonner, parce qu'ils avaient trouvé une « base » meilleure pour leur existence – une base qui demeure et que personne ne peut enlever. On ne peut pas ne pas voir le lien qui court entre ces deux sortes de « substance », entre le fondement, ou base matérielle, et l'affirmation de la foi comme « base », comme « substance » qui demeure. La foi confère à la vie une base nouvelle, un nouveau fondement sur lequel l'homme peut s'appuyer et ainsi le fondement habituel, la fiabilité des revenus matériels, justement se relativise. Il se crée une nouvelle liberté face à ce fondement de la vie, qui n’est qu’apparemment en mesure de l'entretenir, bien que sa signification normale ne soit par là certainement pas niée. Cette nouvelle liberté, la conscience de la nouvelle « substance » qui nous a été donnée, ne s'est pas révélée seulement dans le martyre, où les personnes se sont opposées au pouvoir extrême de l'idéologie et de ses organes politiques, et, par leur mort, ont renouvelé le monde. Elle s'est manifestée surtout dans les grands renoncements à partir des moines de l'antiquité jusqu'à François d'Assise et aux personnes de notre époque qui, dans les Ordres modernes et dans les Mouvements religieux, par amour pour le Christ, ont tout laissé pour porter aux hommes la foi et l'amour du Christ, pour aider les personnes qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Là, la nouvelle « substance » s'est montrée réellement comme la « substance »» ; de l'espérance des personnes touchées par le Christ a jailli l'espérance pour d'autres qui vivaient dans les ténèbres et sans espérance. Là il s'est vérifié que cette nouvelle vie possède vraiment la « substance » et qu'elle est une « substance » qui suscite la vie pour les autres. Pour nous qui regardons ces figures, leur façon d’agir et de vivre est de fait une « preuve » que les biens à venir, la promesse du Christ, ce n’est pas seulement une réalité attendue, mais une véritable présence : Il est vraiment le « philosophe » et le « pasteur » qui nous indique ce qu'est la vie et où elle est.

9.
Pour comprendre plus en profondeur cette réflexion sur les deux espèces de substance – hypostasis et hyparchonta – et sur les deux modes de vie qu'elles expriment, nous devons réfléchir encore brièvement sur deux mots concernant cet question qui se trouvent dans le dixième chapitre de la Lettre aux Hébreux. Il s'agit des mots hypomone (10, 36) et hypostole (10, 39). Hypomone se traduit normalement par « patience » – persévérance, constance. Savoir attendre en supportant patiemment les épreuves est nécessaire au croyant pour pouvoir « obtenir la réalisation de la promesse » (cf. 10, 36). Dans l'ambiance religieuse du judaïsme antique, ce mot était utilisé de manière expresse pour parler de l'attente de Dieu qui caractérise Israël, à savoir persévérer dans la fidélité à Dieu, en se fondant sur la certitude de l'Alliance, dans un monde qui est en opposition à Dieu. Ainsi, le mot indique une espérance vécue, une vie fondée sur la certitude de l'espérance. Dans le Nouveau Testament, cette attente de Dieu, le fait d'être du côté de Dieu, prend une nouvelle signification : dans le Christ, Dieu s'est manifesté. Il nous a communiqué désormais la « substance » des biens à venir, et l'attente de Dieu obtient ainsi une nouvelle certitude. C’est l’attente des biens à venir à partir d'un présent déjà donné. En présence du Christ, avec le Christ présent, c’est l’attente que son Corps se complète, dans la perspective de sa venue définitive. Au contraire, par hypostole est exprimé l’attitude de qui fait défection et n'ose pas dire ouvertement et avec franchise la vérité, qui peut mettre en danger. Se cacher devant les hommes par esprit de crainte par rapport à eux conduit à la « perdition » (He 10, 39). « Ce n'est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de sagesse » – c'est ainsi que, par une belle expression, la Seconde Lettre à Timothée (1, 7) caractérise l'attitude fondamentale du chrétien.


Lire le texte intégral de l'Encyclique Spe Salvi du Pape Benoît XVI

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Publié par Matthieu BOUCART -
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