[Le présent article fait suite au passionnant débat engagé sur ce Blog au sujet de la délicate question de la virginité perpétuelle de Marie, et constitue une réponse au Commentaire n° 14 du Pasteur Eric Georges].
Cher Pasteur,
Tout d’abord, un grand merci pour l’attention que vous voulez bien portez à ce Blog, et pour vos différentes réactions, toujours intelligentes et argumentées. C’est un réel honneur que de vous compter parmi mes lecteurs, je le dis sans forfanterie aucune, mais avec grande sincérité de cœur, soyez-en bien assuré.
En vous lisant, je prends la mesure de ce qui nous divise. En même temps, je me rappelle que ce qui nous uni est plus important que ce qui nous sépare, et il me revient en mémoire cette parole de l’abbé Couturier, grand artisan de l'unité des chétiens : « Les murs qui nous séparent ne montent pas jusqu’au Ciel »…
Je garde aussi dans mon coeur la parole d’une fidèle de ma paroisse, qui nous a quitté récemment, qui était protestante et se plaisait à dire : « Je ne cherche pas à vous convertir au protestantisme, comme vous ne cherchez pas à me convertir au catholicisme, mais nous nous retrouvons en Christ ».
Ce préalable, cher Pasteur, pour inscrire notre dialogue et ma réponse à votre dernier commentaire dans un climat d’amitié fraternelle et d’union spirituelle au Christ que je n’ai nulle intention de rompre, même si je m’autoriserai, pour vous répondre, une certaine liberté de parole, au risque peut-être de vous heurter par moment, ce que je regrette sincèrement par avance. Sachez en tous les cas, cher Pasteur, que tel n’est pas mon propos.
Cela étant dit, votre dernier commentaire sur la virginité perpétuelle de Marie me suggère les éléments de réflexion suivants :
1°) Vous dites : « les évangiles parlent des frères et sœurs de Jésus ». Cela est parfaitement exact. Comme il est exact aussi de rappeler, cher Pasteur, que les Evangélistes aiment à employer le mot « frère »… dans un sens très large !
C’est ainsi que dans certains cas, le terme « adelphoï » désigne indiscutablement une parenté spirituelle. Par exemple, la fameuse phrase de Jésus sur le Jugement Dernier : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères (« adelphoï »), c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25.40). A l’instar du mot « frère » en français, le mot grec « adelphoï » est souvent employé dans un sens extensif. Dans l’Ecriture, il désigne en particulier les disciples de Jésus (cf. Mt. 28. 10 ou Rm 8.29).
Si l’on s’en tient maintenant au sens plus restreint d’une parenté charnelle, le mot « adelphoï » renvoie de prime abord, j’en conviens, aux enfants nés de la même mère et/ou du même père. D’où de légitimes interrogations (suggérées par l’Ecriture elle-même !) au sujet de ces mystérieux frères et soeurs de Jésus... Car si le mot « adelphoï » était entendu dans une acception stricte, alors les « frères » de Jésus seraient effectivement des frères cadets, nés de l’union ultérieure de Marie et de Joseph. Et Marie ne pourrait être dite en vérité « perpétuellement vierge »…
Mais là encore, il convient d’être extrêmement prudent, car dans le domaine de la parenté charnelle, le mot « adelphoï » peut tout aussi bien désigner des « cousins » ou des « parents », (voire des « compatriotes »), que des « frères » consanguins, les langues sémitiques utilisant un seul mot pour dire « frère » et « cousin ».
J’entends bien votre argument selon lequel les Evangiles ont été rédigés en grec, et non en hébreu ou en araméen. Et je sais bien aussi qu’il existe un mot grec, « anepsios », pour désigner le « cousin » (voire le « neveu »). Mais voilà : nos Evangélistes sont tous quatre juifs de culture et de langue, et il faut s’attendre à ce qu’ils usent couramment du terme « adelphoï » pour désigner aussi bien un frère par cousinage à quelque degré, qu’un frère au sens strict, conformément à la mentalité hébraïque : n’est-ce pas d’ailleurs ce qu’ont fait les traducteurs grecs de l’Ancien Testament (la Septante), par exemple en Genèse 29.12 ?
2°) Conjecture que tout cela ? Je ne le crois pas. Car l’affirmation que je viens d’énoncer trouve sa justification… dans l’Ecriture elle-même !
Lorsque l’on scrute en effet les Evangiles d’un peu plus près, on s’aperçoit tout d’abord que les fameux frères de Jésus ne sont étrangement jamais désignés comme fils de Marie ou Joseph : seul Jésus est appelé ainsi (cf. Mc 6.3 : « Celui-là n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset, de Jude et de Simon ? »).
Même quand elle se trouve réunie avec les « frères » de Jésus, Marie n’est toujours appelée que la « mère de Jésus » (Ac 1. 14 : « Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec quelques femmes, dont Marie, mère de Jésus, et avec ses frères ».)
Et notre étonnement va grandissant à mesure que nous poursuivons notre investigation. Car le verset de Marc que nous avons évoqué plus haut cite nommément les frères de Jésus : il s’agit de « Jacques, Joset, Jude et Simon » (Matthieu les cite également en 13.55). Je rappelle ce que vous écrivez dans votre dernier commentaire au sujet de l’un des quatre « frères » de Jésus : « un frère de Jésus va malgré tout prendre une place importante dans la communauté des disciples : un certain Jacques. Comment expliquer autrement que par les liens du sang la place primordiale qu’il va occuper dans l’Église primitive alors qu’il n’était même pas un des apôtres ? »
Cette interprétation est intéressante, mais elle me paraît infirmée par l’Ecriture elle-même. Toujours dans l’Evangile selon Saint Marc, il est question en effet, au moment de la Passion, d’une femme se tenant à distance de la Croix, aux côtés de la mère de Jésus. Cette femme est désignée de manière significative en Mt 28.1 comme « l’autre Marie ». On sait par ailleurs qu’elle est la « femme de Clopas » (Jn 19.25), sans doute même (selon une interprétation de Jn 19.25) la soeur de la mère du Seigneur, et en tout état de cause… la « mère de Jacques et de Joset » ! (Mc 15. 40. Voir aussi Mt 27.56). Voilà donc au moins deux des frères de Jésus sur les quatre précités,… qui n’en sont pas ! Selon l’enseignement même des Ecritures ! Et voilà qui nous donne aussi une précieuse indication sur la manière d’interpréter et de comprendre le terme « adelphoï » sous la plume de nos quatre évangélistes…
3°) Cette dernière appréciation se trouve confirmée… par l’Histoire ! Non pas la tradition catholique ! L’Histoire…, avec laquelle l’exégèse doit s’accorder, au même titre qu’elle doit trouver à s’harmoniser avec les données de la science.
C’est ainsi que Hégésippe, cité par Eusèbe de Césarée dans son « Histoire Ecclésiastique », nous apprend de Jacques qu’il avait le privilège de pénétrer dans le Saint des Saints pour intercéder pour le peuple – privilège normalement réservé au grand prêtre le jour de la fête de Yom Kippour –, qu’il le faisait fréquemment et avec ferveur. Ce renseignement est précieux, car il nous révèle que ce fameux Jacques appartenait en fait à une famille sacerdotale –tout comme Zacharie, parent de Marie–, et donc à la tribu de Levi. Il ne pouvait donc être le fils de Joseph le Charpentier, celui-ci appartenant à la tribu de Juda.
Eusèbe de Césarée, citant toujours Hégésippe, nous renseigne également sur un certain Syméon, dont il dit qu’il fut choisi à la tête de l’Eglise de Jérusalem après le martyr de Jacques, en précisant : « Tous le préférèrent comme deuxième évêque, parce qu’il était un autre cousin du Seigneur ». Soit dit en passant cher Pasteur : vous n’aviez pas tort, en un sens, d’expliquer « par les liens du sang la place primordiale » de Jacques « dans l’Église primitive alors qu’il n’était même pas un des apôtres ». Eusèbe de Césarée n’explique pas autrement le choix de son successeur. Sauf qu’en fait de « liens de sang », il s’agit en réalité d’un « cousin » du Seigneur, et non d’un « frère » au sens strict.
Pour en revenir à ce Syméon, successeur de Jacques dans l’Eglise de Jérusalem : il pourrait très bien être l’un des quatre « frères » du Seigneur nommés par Marc et Matthieu, car « Simon » n’est qu’une autre forme du même nom. En outre, Eusèbe précise que Syméon était… « fils de Clopas » ! Voilà donc trois des quatre frères de Jésus clairement identifiés… comme d’authentiques « cousins » du Seigneur !
4°) Vous dites que si Marie avait été perpétuellement vierge, Matthieu n’aurait pas écrit : « il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus. »
Mais c’est faire un contresens majeur sur ce texte dont l’objet n’est pas d’affirmer la virginité perpétuelle de Marie, mais bien la maternité virginale de Jésus ! Quand Matthieu écrit de Joseph qu’« il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils », il faut entendre « Jésus est né d’une Vierge », non pas « Marie n’est pas demeurée vierge après la naissance de Jésus ». Ce serait trahir le texte à mon sens (pardonnez-moi la force des mots) que de lui faire dire ce qu’il ne dit pas.
De même :
- lorsque la Bible dit : « Nos regards se sont tournés vers le Seigneur notre Dieu jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié » (Ps 123. 2), cela ne veut pas dire qu’après avoir obtenu miséricorde, nos regards se sont détournés de Dieu ! Au contraire !
- ou lorsque la Bible dit : « Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds » (Ps 110. 1), cela ne veut pas dire que le Messie ne sera plus assis à la droite de Dieu par la suite !
Et ainsi de suite, on pourrait multiplier les exemples…
Reste la question fort pertinente que vous posez au sujet des récits évangéliques : « si les évangélistes avaient considérés que Marie était perpétuellement vierge, ne pensez-vous qu’ils l’auraient affirmé de manière explicite ? »
(à suivre…)