Chers amis,
Je voudrais répondre au commentaire de notre ami Hervé au sujet de l’article publié la semaine dernière sur l’athéisme.
Le texte de cet article était issu du remarquable ouvrage de Claude Tresmontant sur l’existence de Dieu, et tendait à démontrer l’inexistence de l’athéisme sur le plan philosophique. « Dieu n’existe pas ! » claironnent les athées. « L’athéisme n’existe pas » pourrait-on aisément leur rétorquer.
Le texte de Tresmontant a suscité parmi vous de nombreuses réactions, dont celle de notre frère Hervé :
« Salut Matthieu ! Je ne veux pas défendre le point de vue des athées, mais pour combattre leurs idées, il ne faudrait pas les minimiser : il ne me semble pas exact de dire qu'il n'y pas réellement d'athéisme ou qu'aucune philosophie ne répond aux problèmes métaphysique de manière rationnelle sans tomber dans le panthéisme.
Si l'on peut admettre que les athées de l'Antiquité étaient en fait sceptiques ou critiques (mais pas de "purs athées"), depuis le 18ème siècle, il y en a eu des tas : les rationalistes des "Lumières", puis Feuerbach, Karl Marx, Nietzsche, Comte (et les positivistes), les existentialistes du type Sartre ou Camus et actuellement tous les "libre-penseurs" comme Onfray, pas très solides mais influents. Il y en aurait bcp d'autres (notamment à l'étranger), mais je ne suis absolument pas spécialiste de la question et préfère utiliser mon temps pour lire les auteurs chrétiens ;-)
Cela me semble donc un peu rapide d'éliminer l'athéisme d'un revers de manche en niant que des penseurs aient réfléchi sérieusement aux problèmes métaphysiques.
On peut défendre la foi chrétienne sans caricaturer ses opposants, qui ne sont pas si nuls que ce que laisse supposer ton article. Par contre, on peut souvent démonter leurs arguments et expliquer patiemment que ce en quoi nous croyons n'est pas insensé ! »
Tout d’abord, une précision importante : je ne dis pas qu’il n’y a pas de personnes athées ! Je dis que l’athéisme n’existe pas ; que la pensée athée n’existe pas ; que l’athéisme n’est pas une pensée. Il ne sert de rien par conséquent de me citer tous les grands auteurs athées des siècles passés ; je ne les connais que trop, et Claude Tresmontant aussi !
Non, mon propos n’est pas là. Il consiste à dire que l’athéisme n’existe pas sur le plan philosophique :
Ø SOIT qu’il dérive vers le panthéisme – et nous allons voir que pour demeurer dans la rationalité, l’athéisme est obligé de se convertir en panthéisme ;
Ø SOIT qu’il dérive vers l’irrationalisme – et nous allons voir que pour éviter le panthéisme, l’athéisme n’a d’autre issue que de se réfugier dans l’absurde…
Il est donc loin le temps où l’on assimilait l’athéisme à la Raison éclairée, et les croyances religieuses aux superstitions irrationnelles !
Je dis qu’il n’existe pas de philosophie athée au sens où :
- une philosophie panthéiste ne peut plus se prétendre (si les mots ont un sens) athée ;
- et où un athéisme irrationnel ne peut plus se prétendre une philosophie – la philosophie n’étant pas l’art de dire tout et n’importe quoi, mais de penser le monde et notre rapport au monde de manière rationnelle.
OU BIEN l’athéisme opte pour une conception panthéiste (passéiste ?) de l’univers, et il ne peut plus se dire athée. OU BIEN l’athéisme opte pour une conception irrationnelle de l’univers, et il ne peut plus se prétendre une philosophie. Mais dans les deux cas, il est abusif et erroné de parler de « philosophie athée » – les deux termes, en vérité, sont antinomiques.
Sans doute existe-t-il une philosophie des athées, une philosophie pour les athées – ainsi que le suggère Pneumatis sur ce fil, commentaire n°17 –, en ce sens que les athées, à partir de leur présupposé athée, vont concevoir une pensée, élaborer une doctrine, former une philosophie, qui va les aider à vivre dans le monde réel en athée. Le penseur athée a beau nier l’existence de Dieu ; cette négation posée, il faut bien vivre… Le penseur athée va donc chercher à « réinventer » le réel à partir de son préjugé athée pour se donner des raisons de vivre, et trouver son Salut sans Dieu. Telle est d’ailleurs la manière dont Luc Ferry définit la philosophie : la doctrine du Salut sans Dieu. Il est bien clair pourtant que cette définition ne peut désigner la philosophie dans son ensemble – car alors, elle serait une discipline interdite aux croyants (un comble !) ; elle ne peut désigner en vérité que cette philosophie dont nous parlons, la philosophie des athées, c’est-à-dire la philosophie de tous ceux qui croient que Dieu n’existe pas, et qui s’efforcent, par les ressources de leur intelligence et avec tout leur génie, de trouver des raisons de vivre sans Dieu ; des moyens de se sauver – essentiellement de la peur de la mort –, sans Dieu.
Mais cette philosophie des athées, cette doctrine du Salut sans Dieu, n’est en aucune manière une philosophie de l’athéisme. C’est le philosophe qui est athée, non l’athéisme qui est pensé ! L’athéisme du philosophe ne secrète pas une philosophie de l’athéisme – comme on pourrait s’y attendre – mais une philosophie découlant de son athéisme, ce qui n’est pas la même chose. L’athéisme lui-même n’est pas pensé ; il n’est pas réfléchi jusqu’au bout ; il est simplement posé là, comme un postulat de départ ; comme un dogme.
Si l’athéisme est une philosophie, alors elle est une philosophie « Canada Dry » (publicité non payée…) : elle a la couleur de la philosophie, l’odeur de la philosophie, le goût de la philosophie, mais… elle n’est pas une philosophie en ce sens qu’elle ne propose aucune explication plausible et rationnelle à l’existence de l’univers. Et quand elle s’y essaye, elle se dissout immédiatement dans le panthéisme (cessant dans ce cas d’être athée) ou l’irrationalisme (cessant dans ce cas d’être une philosophie – la destruction de la raison n’étant pas une philosophie). C’est soit l’un, soit l’autre ! Il n’y a pas de troisième voie possible ! La troisième voie : c’est la doctrine de la Création – qui est une métaphysique croyante, celle-là même que combattent ensemble les athées, les panthéistes véritables, et les « irrationalistes » – puisqu’il convient bien de les appeler ainsi…
L’athéisme est tellement dans l’impasse qu’il a dû se fabriquer lui-même une troisième voie pour échapper à ce dilemme insupportable entre un panthéisme mythique et un irrationalisme délirant ; cette troisième voie, c’est celle qui est suivie par les athées modernes, et qui consiste… à faire l’impasse pure et simple sur la question de l’être de l’univers ! L’athéisme, qui se trouve dans une impasse philosophique, se voit contraint, pour en sortir, de faire l’impasse sur les questions métaphysiques – jugées vaines ou insolubles…
L’athéisme moderne ne s’interroge donc plus sur l’être de l’univers. Il rejette les métaphysiques croyantes (et au-delà : toute métaphysique, puisque toutes les métaphysiques sont croyantes) – le plus souvent au nom de la raison : l’athée estime que les raisons de ne pas croire en Dieu sont supérieures aux raisons de croire, et il décide en conscience de ne pas croire – ce qui donne à l’athéisme un semblant de rationalité. Sauf que… Sauf que notre athée oublie de traiter un tout petit problème ; il oublie d’expliquer et de rendre compte philosophiquement de l’être de l’univers, de son existence, de sa genèse, de son évolution, et de ses étonnantes caractéristiques… L’athéisme élimine le Créateur, mais il nous laisse orphelin. Il « oublie » de nous donner une autre clef d’explication à l’existence de l’univers ! C’est un peu comme si quelqu’un venait réparer votre ordinateur (disons : notre conception de l’univers), qu’il vous sortait la pièce jugée inappropriée (le théisme) et omettait de vous la remplacer par une autre ! Avec la pièce inappropriée, votre ordinateur ne marchait peut-être pas à votre convenance, mais il marchait ; sans cette pièce, il ne marche plus du tout !
Tel est l’athéisme : un système de pensée qui, appliqué jusqu’au bout, ne « marche » pas ; ou qui ne fonctionne que pour autant que la prémisse posée (l’inexistence de Dieu) ne soit pas contestée, et que l’on ne cherche pas (surtout pas !) à la remettre en question en s’interrogeant sur l’être du monde et de l’univers.
Si l’athéisme est une philosophie, alors elle est une philosophie inachevée. Et à dire vrai, inachevable, en ce sens qu’elle aboutit finalement – si on la pousse au bout de sa logique interne – au panthéisme (qui est la négation de l’athéisme) ou à l’irrationalisme (qui est la négation de la philosophie).
Il est sans doute facile de concevoir une morale sans Dieu – ainsi que s’y essayent un André Comte-Sponville ou un Miky (dont nous attendons les travaux avec impatience !). Car la loi morale est inscrite dans la nature de l’homme. Il suffit donc de savoir lire et comprendre cette nature pour en déduire un art de se comporter en société qui permette à tous et à chacun de vivre dans la paix, le respect mutuel et la tolérance – sinon l’amour au sens chrétien.
Beaucoup plus difficile en revanche est de fonder une ontologie sans Dieu. C’est même chose impossible si l’on veut éviter les deux récifs du panthéisme et de l’irrationalisme. Dès que l’on aborde la question de l’être de l’univers, l’athée transpire… ; il tremble sur ses fondations, il « vacille »… C’est pourquoi il a finalement décidé de fermer boutique et de ne plus s’intéresser au problème. Il considère dorénavant que la question de l’existence de l’univers ne se pose plus, ou que, si elle se pose, elle est de toute façon insoluble ; que la métaphysique est sans intérêt ; qu’elle ne peut rien nous enseigner avec certitude ; que si l’univers est ce qu’il est comme il est, c’est parce que c’est comme ça et pas autrement ! Il n’y a pas lieu de s’en étonner ou le lui chercher une raison d’être que nous ne pouvons pas connaître. Dieu n’existe pas, c’est tout – c’est d’ailleurs le titre d’un blog athée…
L’ironie de l’histoire, c’est qu’au moment même où l’athéisme moderne a décidé de tirer un trait sur la métaphysique de la nature, les sciences positives sont venues nous révéler l’inévidence de l’univers, et sa très grande « étrangeté » (selon l’expression du physicien Georges Lemaître)… Jamais l’univers (cet univers fini dans le temps et dans l’espace, en régime d’évolution vers des formes nouvelles et toujours plus complexes d’êtres qui n’existaient pas auparavant), jamais cet univers, disais-je, n’avait autant interpellé la raison humaine que depuis les grandes découvertes du siècle dernier.
L’athéisme ne peut donc être considéré comme une opposition sérieuse aux métaphysiques croyantes. Non seulement l’athée ne démontre pas l’inexistence de Dieu, mais beaucoup plus embêtant : il ne nous montre pas comment l’univers pourrait être ce qu’il est comme il est, sans Dieu. C’est pourtant le minimum qu’on serait en droit d’attendre de la part d’un interlocuteur non croyant ! Qu’il nous explique comment l’univers peut exister et évoluer comme il le fait sans Dieu ; qu’il remplace l’explication « Dieu » par une autre explication, au moins aussi satisfaisante sur le plan rationnel ! Il ne suffit pas de rejeter en bloc un système de pensée en le jugeant – hâtivement – non valide ; il faut encore proposer un autre système de pensée plus satisfaisant. C’est bien là le moindre. Détruire, tout le monde sait le faire. Mais rebâtir sur les ruines que l’on a soi-même provoquées, c'est une autre paire de manche ! Or, si les athées excellent dans l’art de détruire toute croyance religieuse, force est de constater qu’ils sont dans l’incapacité de proposer la moindre explication alternative à l’être du monde – sauf, je le répète, à verser dans le panthéisme (qui n’est pas athée) ou dans l’irrationalisme (qui n’est pas plus satisfaisant sur le plan rationnel).
L’athéisme n'existe donc pas sur le plan philosophique. Il a peut-être l’apparence de la philosophie – puisqu’une fois posée le postulat de l’inexistence de Dieu, il est tout à fait possible d’élaborer une doctrine cohérente, une vision du monde et un art de vivre sans Dieu. Mais il n’en a pas la réalité, puisqu’un système philosophique, pour être valide, doit fournir à la raison humaine une réponse satisfaisante à l’être du monde – qui est la première des questions métaphysiques, celle dont tout le reste découle !
C’est là un fait objectif, que tout un chacun peut vérifier par soi-même, que l’athéisme est radicalement impuissant à expliquer l’existence du monde sans Dieu, sauf à se renier lui-même.
La philosophie des athées, pourrait-on dire, est comme un corps sans âme. Extérieurement, le raisonnement est impressionnant de complexité et paraît extrêmement savant. Mais à l’intérieur, c’est le vide abyssal, le néant. La philosophie des athées est comparable à une maison construite sans fondations. La maison est belle, ça oui, elle est bien bâtie ; tout le génie intellectuel de l’homme s’y exprime. Mais la maison n’a pas de fondations. A la première intempérie, elle s’écroule… Elle ne supporte pas la nature et ses caprices. Eh bien ainsi en est-il de l’athéisme : il ne supporte pas la réalité, l’être de la nature, les caprices de ce réel qui refuse obstinément de se plier aux critères d’un univers sans Dieu. C’est pourquoi l'athéisme évite d’être affronté au problème, et quand il ne peut l’éviter, s’effondre tout seul sur lui-même…
On a décidément bien tort de considérer l’athéisme comme une philosophie rationnelle – a fortiori comme la seule philosophie, selon Luc Ferry –, et de l’opposer aux religions considérées comme des croyances irrationnelles. Les croyances religieuses ont beau paraître irraisonnées et instinctives – puisqu’on les retrouve dans les tribus les plus primitives – il n’empêche ! elles sont issues de métaphysiques rationnelles puissamment enracinées dans le réel (à la portée de tout homme, fût-il le moins civilisé) ; tandis que l’athéisme se présente comme une pure croyance sans aucun fondement ontologique ; un vrai « pari ». Sans autre motif que son intime conviction, l’athée va faire le « pari » de l’incroyance, et miser toute sa vie sur l’inexistence de Dieu. Il va mettre sa vie en jeu sans prendre la précaution minimale de vérifier au préalable la validité de son choix par le moyen d’une réflexion élémentaire sur l’être de l’univers. Un vrai saut dans le vide… et sans parachute de surcroît, puisque l’athée se refuse dorénavant à s’interroger sur l’être de l’univers…
Ainsi que l’affirme Tresmontant dans son ouvrage, « il n’y a que deux métaphysiques possibles : la métaphysique panthéiste et la métaphysique de la Création. L’athéisme pur est impossible, impensable, et il n’a jamais en fait été pensé. Si des hommes pensent pouvoir se dire athées, c’est qu’ils n’ont pas traité le problème que pose l’existence du monde. Ils ont négligé de traiter ce petit problème. Leur athéisme est donc purement verbal. Ce n’est pas un athéisme philosophique. Ce n’est pas un athéisme qui résulte d’une analyse sérieuse, solide rationnelle, tenant compte du donné. Un tel athéisme n’existe pas encore. Personne n’a jamais montré comment on pouvait penser l’existence du monde dans la perspective de l’athéisme ».
Ah si ! répond Hervé ! Il y a les Lumières ! Il y a Marx, Freud et Nietzsche ! Il y a le courant positiviste et le courant existentialiste ! Il y a Onfray ! etc.
Outre qu’il faille parfois se garder de toute simplification hâtive – tous les philosophes des Lumières, par exemple, se sont pas athées – nous allons voir dans un prochain article que l’on peut regrouper tous ces « penseurs » en trois grandes catégories – ou plutôt deux grandes et une petite :
1°) ceux qui n’ont pas réfléchi à la question (les athées modernes pour qui la métaphysique est sans intérêt) – la « petite » catégorie ;
2°) ceux qui ont réfléchi à la question mais dont la doctrine dérive immanquablement vers le panthéisme (ex. le matérialisme marxiste) ;
3°) ceux qui ont réfléchi à la question, qui ont absolument voulu éviter l’écueil du panthéisme, mais qui ont finalement abouti à une conception irrationnelle de l’existence de l’univers et de toute existence (ex. Sartre).
(à suivre…)