Chers amis,
Je voudrais réagir aujourd’hui à un petit billet publié récemment par le Pasteur protestant Eric George sur son Blog (j’en profite pour le saluer bien fraternellement).
Dans un petit article intitulé "Soli Deo Gloria, radicalement", le Pasteur Eric écrit ceci : « Mon opposition à une coopération de l'homme à son salut s'explique par un refus de diminuer la gloire de Dieu. Tout mérite accordé à l'homme réduit en effet d'autant la part de Dieu.
« On me proposait l'image suivante : tombé dans un précipice, je m'accroche du bout des doigts à la corniche quand un sauveteur vient me tirer de là. Si je m'accroche à la main qu'il me tend, on ne peut pas vraiment dire que mon salut vienne de moi. C'est ainsi qu'il faudrait comprendre la coopération de l'homme à son salut.
« Soit. Poussons un peu l'image et imaginons qu'à coté de moi, accroché à la corniche, il y ait un autre homme. Un sauveteur arrive, il nous tend à chacun une main secourable. Je m'accroche, l'autre tombe. C'est donc bien de moi qu'est venu l'acte décisif du salut, l'acte qui a fait la différence. À mes remerciements à mon sauveur, je peux donc joindre une autocongratulation...
« Bref, à cette image, je réponds ce que je répondais au collègue qui m'expliquait que Dieu faisait 10.000 km vers nous alors que par notre réponse nous parcourions un micron vers lui. Il est certes dans notre nature de vouloir dire que nous avons coopéré, que nous avons fait quelque chose, que nous avons participé à notre salut mais un micron attribué à l'homme, c'est un micron volé à Dieu.
« Dieu seul me fait vivre et je n'y suis pour rien. Dieu seul me sauve et je n'y coopère en rien. A Dieu seul revienne toute gloire... »
Reprenons ce texte à son début. « Mon opposition à une coopération de l'homme à son salut, écrit le Pasteur, s'explique par un refus de diminuer la gloire de Dieu. » C’est là une intention bien louable que de vouloir rendre à Dieu seul ce qui lui appartient en propre ; que de refuser de diminuer sa Gloire. Le rôle du chrétien – et ce à quoi est appelé tout homme sur cette terre – est de rendre gloire à Dieu seul, et de rejeter l’idôlatrie – qui consiste précisément à attribuer la Gloire revenant à Dieu seul à une créature.
« Tout mérite accordé à l'homme réduit en effet d'autant la part de Dieu. » dit le Pasteur. C’est sur cette phrase que je souhaiterais m’arrêter. Car c’est là – à mon sens – que se trouve le « hic » du raisonnement. Tout ce qui est attribué à l’homme serait en quelque sorte enlevé à Dieu (« volé » dit même le Pasteur : « un micron attribué à l'homme, c'est un micron volé à Dieu. »). Tel est le postulat de départ, le présupposé, à partir duquel notre frère va dérouler son raisonnement sur le Salut.
Reste à en vérifier la validité.
Comme je suis un peu taquin, j’aurais d’abord envie de demander au Pasteur sur quel fondement biblique il s’appuie pour poser une telle affirmation. Où est-il écrit dans la Bible que ce qui est donné à l’homme est enlevé à Dieu ? Bref, comment cette justification de la Soli Deo Gratia s’articule-t-elle avec la Sola Scriptura ?
Dans la Bible, on peut trouver une abondance de textes en faveur de la Soli Deo Gratia. Mais où est-il écrit que le mérite accordé à l’homme est enlevé à Dieu ; que ce qui est mis au crédit de l’homme est mis au débit de Dieu ? Ce raisonnement ne s’inscrit-il pas dans une logique comptable – ce que je donne d’un côté, je le prends de l’autre – plutôt que dans le registre de la grâce – qui se conçoit comme une surabondance – qui n’enlève rien à celui qui la communique – tout au contraire : qui enrichit – ou glorifie – celui qui la donne.
C’est en donnant que l’on reçoit, dit Jésus (cf. Lc 17. 33). Voilà un grand paradoxe ! Mais c’est une réalité que chacun peut expérimenter, et qui est la réalité même de Dieu. On pourrait presque définir Dieu comme « Celui qui donne » : Dieu est en tant qu’il donne ; c’est en donnant que Dieu est vraiment Dieu. Dès lors, quand Dieu donne, il ne diminue en rien sa Gloire. Tout au contraire : Il la manifeste ; il la fait resplendir.
Quand Dieu donne à l’homme d’exister, il ne se limite pas ; il ne se prive de rien, il ne s’ampute pas ; au contraire il donne la possibilité à son Amour de se répandre, encore et encore… De même : quand Dieu s’abaisse en Jésus-Christ, – particulièrement dans sa naissance et sur la Croix (cf. Phi 2) – en réalité, il ne s’abaisse pas : il s’élève, il est glorifié (cf. Jn 12. 32).
Quand Dieu créé l’homme, il fait advenir à l’être une créature dotée de libre-arbitre capable de répondre à son Amour. Certes, cette liberté s’est dévoyée, et a succombé à la tentation de l’idôlatrie : c’est ce que nous appelons le péché originel. Mais en son Fils Jésus-Christ, Dieu a restauré ce libre-arbitre de l’homme et l’a rendu à nouveau capable de dire OUI à son Amour. Dès lors, quand l’homme répond OUI à l’amour de Dieu en usant de son libre-arbitre conformément à ce pourquoi il lui a été donnée, c’est un acte méritoire pour l’homme – un acte de salut –, et la Bible ne lui retire pas ce mérite (cf. 1 Co 4. 5 ; Ap 22. 12) ; mais c’est aussi et en même temps le fruit d’une grâce, et donc : la plus grande gloire de Dieu ! Car c’est la plus grande réussite de Dieu que d’être parvenu ainsi à susciter dans l’être une liberté capable de répondre favorablement à son Amour. Par son OUI d’amour en réponse à l’Amour de Dieu manifesté le premier, l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui (cf. Jn 13. 31 ; 2. Th 1. 10), car tout est de Dieu et tout vient de Dieu. C’est Dieu qui a créé l’homme ; c’est Dieu qui l’a sauvé et racheté ; c’est donc Dieu qui a permis à l’homme de poser dans l’éternité ce OUI libre qui le sauve.
Sans Dieu, l’homme n’existerait pas, ni sa liberté, ni son OUI, ni son Salut! C’est Dieu qui a rendu possible ce OUI libre et salvateur de l'homme. Et quand l’homme accomplit ce pour quoi il a été créé par Dieu, c’est la plus grande gloire de Dieu ! Celle-ci n’est nullement diminuée par le mérite de l’homme, mais au contraire manifestée dans ce mérite même.
Tout mérite de l’homme peut donc être imputé à Dieu (doit être imputé à Dieu) pour la bonne raison que l’homme n’est pas le rival de Dieu ; il en est la créature. Toute la gloire qui revient à la créature revient aussi au Créateur, et même d’abord et en premier lieu au Créateur sans qui la créature n’existerait pas et ne serait pas capable de poser le moindre acte méritoire (cf. 2 Co 3. 4-6).
Prenons quelques images pour comprendre. Si un génial inventeur créait un robot capable de rendre de nombreux services, tout le monde serait bien content à cause de ce robot et de tous les services qu’il est capable de rendre. Mais il est évident que le monde saurait rendre hommage au génial inventeur sans qui le robot n’existerait pas. Le génial inventeur serait glorifié à cause de son robot et de tout ce qu’il est capable de réaliser. Non seulement les qualités du robot n’enlèveraient rien à son génial inventeur, mais elles manifesteraient aux yeux du monde sa puissance créatrice et son génie. L’idôlatrie consisterait à ne plus considérer le robot qu’en lui-même, ignorant ou méprisant son génial inventeur (en l’envoyant balader par exemple quand celui-ci aurait la prétention inouïe de vouloir en communiquer le mode d’emploi…)
Deuxième image : si je contemple un coucher de soleil, je peux être en extase devant ce spectacle de la nature et rendre gloire à Dieu pour la merveille de la Création. Cela peut arriver, même à un protestant je crois ! Pourtant, j’ai beau être plongé dans ma louange à Dieu, je suis quand même en extase devant un phénomène naturel, devant une splendeur de la nature ! Ce n’est bien sûr pas de l’idôlatrie en soi, et cela n’enlève rien à Dieu si je sais Lui rendre grâce de ce phénomène dont il est Lui-même à l’origine et qui me parle de sa Beauté. L’idôlatrie consisterait à ne considérer le coucher de soleil qu’en lui-même, et à ne rendre gloire et honneur qu’à la Nature seule.
Dernière image : celle évoquée par le Pasteur Eric George, de l’homme suspendu dans le vide à la corniche et sauvé in extremis. En méditant cette image, il m’est venu à l’esprit le Magnificat de la Vierge Marie : « IL s'est penché sur son humble servante, dit-elle ; désormais tous les âges ME diront bienheureuse. » (Lc 1. 48) « Il s’est penché » : c’est Dieu qui se penche sur l’homme, qui le créé et qui le sauve ; c’est Dieu qui lui donne tout et c’est l’homme qui en retire tous les bénéfices (« Tous les âges ME diront bienheureuse » ; «Bienheureuse celle qui a cru » dira Elisabeth – Lc 1. 45). Pour autant, ces bénéfices ne sont pas… retirés (au sens d’enlevés) à Dieu. Tout le chant du Magnificat est justement une louange à Dieu. Car l’homme sauvé et racheté (dont Marie fait partie en vertu de son Immaculée Conception – que nous honorerons demain dans la liturgie catholique), l’homme sauvé et racheté, disais-je, sait qu’il doit tout à son Dieu (cf. 1. Co. 4-7) et que sans lui, il ne peut rien faire (cf. Jn 15. 5) : c’est pourquoi il rend toute gloire à Dieu seul.