Dans les discussions au sujet de l’existence de Dieu, il est une question qui revient régulièrement dans la bouche de nos interlocuteurs athées, et qui a récemment été reposée sur ce Blog par Miky : à savoir, si Dieu existe et a créé le monde (ainsi que le professent les croyants),… qui donc a créé Dieu ?
Nous avons vu que l’être de ce monde, parce qu’il a eu un commencement (le fameux "Big Bang"), a nécessairement dû être créé par autre un Être que lui-même : que c’est là en tous les cas l’hypothèse la plus rationnelle, puisque le néant ne produit rien : il n'existe pas en toute rigueur de terme ; il est donc impuissant à faire advenir quelque être que ce soit. Le néant n’offre pas une explication rationnelle crédible à l’existence de l’être de l’univers.
Par ailleurs, l’ordre admirable régnant dans l’univers, sa structure mathématique et ses lois, nous révèlent que l’Être qui est à l’origine de notre Univers possède en lui-même l’intelligence, car de même qu’il faut une intelligence pour construire une voiture à partir de ses pièces détachées, de même il a fallu nécessairement l’intervention d’un Créateur intelligent pour concevoir et réaliser une merveille comme le cerveau humain, à côté duquel une voiture automobile fait figure de minable brouette (et dont le moindre des composants est infiniment plus complexes que ceux-là mêmes qui constituent un véhicule). La théorie du hasard n’offre pas une explication rationnelle crédible à l’existence de l’ordre dans l’univers : nous aurons l’occasion d’y revenir abondamment la semaine prochaine (si Dieu le veut…).
On voit donc que c’est la raison qui nous conduit à la connaissance de l’existence d’un Être transcendant doté de l’intelligence à l’origine de notre univers : notre expérience du réel ne nous permet pas en effet d’inférer l’existence d’effets sans cause, ni d’ordre par le simple jeu du hasard. Si l’être de l’Univers existe, c’est qu’il tire son origine d’un autre Être qui en est la « source » ; et s’il y a de l’ordre dans l’Univers, c’est que l’Être « source » de l’univers l’y a mis ; que s’il l’y a mis, c’est qu’il possède en lui-même l’intelligence, car il faut de l’intelligence pour concevoir des lois et inventer les mathématiques ! Il faut une intelligence sur-naturelle pour insuffler de l’intelligence dans la nature, et à un niveau suréminent dans le cerveau humain.
« Mais cette intelligence, Matthieu, réplique astucieusement Miky, il faut bien à son tour qu'elle vienne de quelque part (si je concède provisoirement à ta méthodologie). Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Cela ne t'interroge pas toi, que des êtres intelligents puissent exister comme ça, sortis de nulle part ? Si la complexité du cerveau d'un être (ou de ce qui lui sert à réfléchir en ratissant large...) est proportionnel à son intelligence, ce qui est un fait d'expérience, alors le créateur d'un univers complexe comme le notre et qui est donc supérieurement intelligent doit être supérieurement complexe. Ce qui exige donc de lui supposer à son tour un créateur ! Et ainsi de suite à l'infini... Mais si à un moment donné tu dis : Stop ! Cet être intelligent là trouve sa raison d'être en lui-même, il n'a pas besoin d'avoir été créé, alors tu te retrouves pris au piège car tu es obligé de concéder une exception injustifiée au principe même qui fonde ta démarche : à savoir qu'une réalité complexe ne peut avoir qu'une cause intelligente... »
En fait, dirais-je, il y a deux aspects de la question qu’il convient de tenir simultanément : la question de l’intelligence, et celle de l’être. Oui, c’est vrai, une construction ordonnée ne peut être le fruit du hasard, elle ne peut rationnellement s’expliquer que par l’intervention créatrice d’une intelligence. Chacun d’entre nous peut faire l’expérience de ce que l’ordre survient parce qu’une intelligence est à l’œuvre : par exemple, il faut que je classe mes papiers sur mon bureau pour que celui-ci soit en ordre ; sinon, le désordre va progressivement s’installer jusqu’au chaos, et il est vain d’espérer que mon bureau se range « tout seul », par le simple jeu du hasard. Premier constat.
Mais une intelligence par définition est une forme d’ordre supérieure à l’ordre par elle conçu et réalisé (tel le rangement dans mon bureau). Par conséquent, si l’on applique le principe rationnel ci-dessus défini à l’intelligence humaine elle-même – et il n’y a aucune raison a priori de ne pas le faire – il faut en conclure que le cerveau humain, qui est une forme d’ordre supérieure à celle qui règne dans mon bureau, a été créé par une Intelligence supérieure à ce cerveau même qu’elle a conçue et réalisé. Et l’on en vient à l’existence de Dieu : c’est l’argument des croyants. MAIS – et c’est l’objection de Miky : si l’on étend maintenant le principe rationnel ci-dessus défini à l’intelligence divine qui a créé le cerveau humain – et il n’y a aucune raison a priori de ne pas le faire – alors, il faut en conclure que cette Intelligence divine, qui est une forme d’ordre supérieure à celle que l’on observe dans le cerveau humain, a elle-même été créée par une Intelligence supérieure à cette Intelligence divine qu’elle a elle-même conçue et réalisé. Et ainsi de suite…
Pour résoudre cette difficulté, il faut se tourner vers la question de l’être. Comme nous l’avons dit plus haut, pour que l’univers soit, il faut nécessairement qu’il procède d’un Être, puisqu’il ne peut pas procéder du néant. Puisque nous savons aujourd’hui qu’avant le Big Bang, notre univers n’existait pas ; qu’il n’y avait pas de matière, ni d’espace ni de temps (au point qu’il n’y a pas grand sens à parler d’un « avant » Big Bang) ; sachant que l’être ne peut naître spontanément du néant (c’est là une impossibilité absolue) ; que le néant en toute rigueur de terme n’existe pas ; il faut donc admettre que l’être de l’Univers provient nécessairement d’un autre être qui lui, nécessairement, est éternel, sans quoi il ne pourrait lui-même exister (pour la même raison qu’indiquée pour l’univers). On voit donc que c’est la raison elle-même qui nous conduit à inférer de l’existence de notre univers spatio-temporellement limité l’existence d’un Être « source » distinct de l’univers – transcendant – et éternel, n’ayant ni commencement, ni fin ; en dehors du temps. C’est en vertu même de la raison que nous sommes conduits à penser que si de l’être existe, de l’être contingent, n’existant pas par soi-même, c’est que l’Être absolu existe nécessairement, et qu’il existe par soi-même. Il ne peut pas en être autrement, considérant que la seule alternative à l’Être transcendant absolu et éternel est le néant (ou l'auto-création de l'Être), et que cette alternative n’est pas rationnelle.
Et voilà résolu le problème : si une Intelligence supérieure a créé l’intelligence de l’homme, ce ne peut être que celle-là même de l’Être absolu qui par définition (et par nécessité) est éternel, et qui ne dépend de rien ni de personne pour exister ; c’est l’intelligence même de l’Être qui existe non pas parce qu’il se serait donné l’être à lui-même (ce qui est une impossibilité absolue), mais parce qu’il est l’être en lui-même, et qu’il est dans son essence d’exister ; qu’il ne peut pas ne pas être puisqu’il EST et que l’être par définition ne peut pas ne pas être.
Autrement dit : s’il est nécessaire que l’Être absolu de Dieu soit pour que l’être contingent de l’univers existe, il est nécessaire que l’Être absolu n’ait pas lui-même de cause, sinon… il ne serait plus l’Être absolu, mais un être contingent, à l’image de l’univers !
On pourrait rétorquer que l’Être absolu pourrait ne pas exister en lui-même, mais dans une succession infinie d’êtres contingents : de toute éternité, de l’être succède à l’être, sans qu’il y ait eu de commencement à ce mouvement, et sans qu’il y ait besoin de concevoir une fin. Dans ce cas, l’absolu de l’être résiderait dans cette succession même d’êtres contingents. Mais dans le cas qui nous préoccupe, cela soulèverait de très nombreuses questions, quant à la dégradation progressive par exemple de l’intelligence – puisque par hypothèse, les Intelligences divines successives créeraient des intelligences divines inférieures, jusqu’à l’intelligence de l’homme qui n’est capable, elle, que de créer des intelligences artificielles, celles-ci n’étant pas capables de créer la moindre intelligence... En outre, on ne voit pas pourquoi, dans ce schéma là, l’homme ne serait pas un dieu comme ses augustes prédécesseurs, ni non plus d’ailleurs l’intelligence artificielle… Et puis si l’homme ou l’intelligence artificielle ne sont pas capables de créer une intelligence qui soit elle-même créatrice, c’est donc bien qu’il y aura une fin à la succession des êtres ; que celle-ci n’est pas éternelle ; qu’elle a donc eu un début, puisque tout ce qui a une fin a nécessairement eu un commencement.
Bref, cette option d’une succession infinie et éternelle d’êtres contingents s’avère être une impasse intellectuelle, et une option dont il n’est pas sûr qu’elle soit très rationnelle. Le philosophe Paul Clavier prenait ainsi l’exemple d’une succession d’emboutissements de véhicules sur le périphérique. « Imaginez une suite infinie de voitures, sur un périphérique infini s’emboutissant dans un carambolage infini. Chaque conducteur était à l’arrêt au moment où, embouti par l’arrière, il a été propulsé sur le véhicule de devant. A qui l’assureur de la voiture de tête demandera-t-il réparation du dommage ? Qui doit payer la remise en état de son pare-choc ? Certainement pas l’automobiliste qui l’a embouti ! Un automobiliste à l’arrêt n’est pas responsable du dommage qu’il fait subir à un autre, du fait qu’il a lui-même subi un dommage. C’est le tiers responsable qui doit payer. Or, ce tiers responsable doit bien exister. Il me paraît impossible de concevoir une infinité de véhicules emboutis sans qu’aucun ne puisse être déclaré emboutisseur. Il y a bien quelqu’un ou quelque chose qui a déclenché le carambolage. Autrement, il faudrait dire qu’il y a carambolage sans que personne n’ait, le premier, embouti le véhicule de devant. » Ce qu’il n’est pas rationnel de penser. Ou comme disait Thomas d’Aquin : « si la chose qui opère le changement subit elle-même le changement, il faut qu’elle aussi soit changée par une autre, et celle-ci par une autre encore. Or, cela ne peut pas continuer à l’infini, car alors il n’y aurait pas de premier opérateur du changement, et il s’ensuivrait qu’il n’y aurait pas non plus d’autres opérateurs, comme le bâton ne bouge que s’il est bougé par la main. [« Si vous supprimez la cause, vous supprimez l’effet », dira-t-il ailleurs]. Donc, il est nécessaire de parvenir à un premier opérateur du changement qui ne soit lui-même changé par aucun autre, et un tel être, tout le monde comprend que c’est Dieu ».
Si l’on s’en tient donc aux données de la raison : il faut affirmer que l’univers que nous connaissons et dans lequel nous vivons ne pourrait pas exister s’il n’avait été créé par un autre Être que lui-même ; que cet Être créateur est intelligent, puisque l’univers est structuré mathématiquement ; que les alternatives proposées à l’existence d’un Être créateur et intelligent (à savoir l’auto-création de l’univers à partir du néant et son auto-organisation par le jeu du hasard) ne sont pas crédibles sur le plan rationnel ; que l’Être intelligent Créateur de l’univers existe nécessairement de toute éternité (sans quoi il ne pourrait lui-même exister, sauf à considérer qu’il se soit créé tout seul à partir du néant, ce qu’il n’est pas rationnel de penser – l’argument applicable à l’univers étant parfaitement transposable à l’Être créateur intelligent) ; qu’il est donc l’Être absolu, qui ne s’est pas donné l’être, qui n’a pas commencé d’être, mais qui est l’être en lui-même qui, parce qu’il est l’être, ne peut pas ne pas exister, parce qu’il est dans la nature de l’être d’être.
Autrement dit : tu as raison Miky de dire que pour affirmer l’existence d’une Intelligence incréée, je suis obligé « de concéder une exception (….) au principe même qui fonde [ma] démarche ». Mais tu as tort selon moi de considérer cette exception comme « injustifiée ».
On pourrait cependant continuer de spéculer en affirmant : « Bon OK, l’Être absolu existe. Mais qu’est-ce qui te dis que cet Être absolu est le Créateur de l’Univers? Qu’est-ce qui empêche de penser que le Créateur de l’Univers ait eu lui-même un Créateur, qui lui-même a peut-être eu un Créateur, etc. jusqu’à l’Être absolu ? On pourrait alors concevoir une hiérarchie de dieux créateurs au sommet duquel le trouverait le Grand Dieu, le Principe Absolu, entouré de ses enfants dieux qui constituerait comme sa Cour royale ».
Si rien n’oblige en effet de penser que le Créateur de l’Univers a lui-même été créé (puisque nous savons dorénavant que l’Être absolu existe nécessairement), rien ne nous empêche absolument d’imaginer que le Créateur de l’Univers ne soit pas l’Être absolu, et que le premier a lui-même été créé (directement ou indirectement) par le second. Il s’agit là certes une pure spéculation ne reposant sur rien d’autre qu’une pure hypothèse, mais il faut reconnaître que rien ne permet de l’écarter absolument.
Eh bien c’est là qu’il convient de reconnaître les limites de la raison humaine. Nous avons vu que celle-ci peut aller très loin dans la reconnaissance de l’existence d’un Être transcendant, éternel et intelligent, Créateur de l’Univers ; mais sur la nature même de cet Être, elle s’avère impuissante à fournir des réponses certaines à nombre de nos questions. Nous savons que l’Être absolu existe, que cet Être est transcendant (en ce qu’il se distingue de l’univers), intelligent (puisqu’à l’origine de la structure mathématique de l’univers) et éternel (sans quoi, il ne pourrait exister). Nous pouvons également inférer sa Toute-Puissance (au-delà de ce que nous pouvons concevoir et expérimenter humainement de la « puissance »), voire sa personnalité, mais… c’est à peu près tout. L’Être absolu est-il un Dieu unique, ou bien « cohabite »-t-il avec d’autres dieux ? Est-il un Dieu bon ou mauvais (considérant la présence du mal dans le monde) ? Un Dieu agissant, proche de nous, ou bien passif, et lointain ?... Là, il faut reconnaître que les ressources de la philosophie sont impuissantes à fournir le moindre commencement de réponse ; tout au plus peuvent-elle soulever des hypothèses, mais rien ne permettra de trancher en faveur de l’une ou de l’autre. C’est ce qu’affirmait Saint Thomas d’Aquin lorsqu’il écrivait qu’« en partant des effets de Dieu, on peut démontrer l’existence de Dieu, même si au moyen de ces effets, nous ne pouvons pas le connaître parfaitement selon son essence ».
Pour connaître ce mystérieux Créateur de l’Univers, la nature de cet Être absolu duquel procède toute réalité et à qui nous devons la vie, il faudra que Lui-même se manifeste à nous, qu’il prenne Lui-même l’initiative de nous parler de Lui, et de nous révéler QUI Il est et ce qu’Il veut. Autrement, nous serons irrémédiablement condamnés à l’ignorance...
C’est la raison pour laquelle la conséquence logique de la découverte de l’existence de Dieu sera d’étudier le fait religieux, et en particulier les religions qui prétendent avoir bénéficié d’une Révélation divine. Car si Dieu existe et a créé l’homme, il est prévisible qu’il se manifeste à lui, et qu’il se manifeste de telle manière que l’authenticité de cette révélation soit solidement attestable. Dans cette enquête, nous pourrons donc remettre notre intelligence au travail, pour essayer de déterminer parmi toutes les propositions religieuses existantes, celle qui sera la plus crédible sur le plan rationnel. Et une fois notre choix effectué, nous pourrons alors plonger dans le mystère, et entrer dans une relation vivante avec ce Dieu Créateur qui est Amour : c’est cela même que nous appelons la « foi », et la « vie de foi ».