Extrait du très bel ouvrage du Père Marie-Dominique Molinié intitulé "Adoration ou désespoir", paru aux Editions CLD en 1980. Un ouvrage très spirituel qui sollicite également les ressources de notre intelligence, ainsi qu'en témoigne le passage ci-dessous.
Je voudrais vous proposer des certitudes qui ne s’écrouleront pas facilement, même si vous abandonnez la foi… et qui vous aideront à la retrouver (…).
La plupart des hommes croient à l’existence de Dieu. Cette croyance, ou plutôt cette perception, est en effet naturelle, et c’est un grand aveuglement de l’avoir perdue : cet aveuglement est cependant la règle en Occident aujourd’hui. Chez les chrétiens, la foi peut y suppléer, mais elle ne dispense pas de chercher à la retrouver : au contraire, elle devrait les y pousser sous la houlette de l’Eglise (…).
La démonstration de l’existence de Dieu est suspendue à l’émerveillement devant la splendeur du monde : non seulement la splendeur poétique, mais la splendeur intellectuelle de cette œuvre géniale qui défie notre intelligence. La démonstration devient alors tellement claire qu’elle apparaît à peine comme une démonstration : pourtant, c’en est une, car nous n’avons pas l’évidence directe de l’existence de Dieu. Nous avons l’évidence de son œuvre, et nous remontons de l’œuvre à l’Auteur de cette œuvre.
Il n’y a rien à opposer à une telle démonstration, et on ne lui a jamais rien opposé : ce qu’on attaque, c’est la base – à savoir que l’œuvre est si belle, si profonde et si mystérieuse, qu’elle suppose un Auteur digne d’elle.
On objectera par exemple que l’univers peut être le fruit du hasard. Si c’est le fruit du hasard, l’univers n’est pas génial en soi, il est génial pour nous : autrement dit, c’est nous qui y mettons du génie et sans nous, le monde ne serait pas merveilleux. Allons plus loin. Nous-mêmes qui parlons de génie, nous n’avons pas de génie : cette notion n’a aucune valeur objective, ni pour le monde, ni pour nous. Eh bien, si au bout d’un pareil aveuglement on ne se suicide pas, c’est évidemment par accident, en vertu d’un instinct de conservation qui doit lui-même tout au hasard et n’a strictement aucun sens.
En fait, pour éviter la ruine que je viens d’évoquer, il faut et il suffit d’éviter l’orgueil, spécialement l’orgueil des intellectuels (…).
Il y a plusieurs sortes de démonstration : celle dont je parle est aussi rigoureuse qu’une démonstration mathématique, mais elle fait appel à une autre rigueur, plus profonde et plus difficile que celle des mathématiques. Pour comprendre la rigueur des mathématiques, il n’y a pas besoin d’un cœur pur ; pour comprendre celle de la métaphysique, il faut un esprit candide, lavé des préjugés et de la suspicion par un enseignement correct – mais aussi par la prière. La foi peut suppléer à l’évidence de cette rigueur, mais ce n’est pas normal et ce n’est pas sain (…).
Si vous vous endormez un soir avec, dans votre hangar, en vrac, les pièces détachées d’une voiture, et que le lendemain matin, vous vous réveillez devant une voiture en état de marche, vous aurez un choc : pas une pièce de plus que la veille, et pourtant vous aurez un choc. Or, c’est ce choc qui, justement, est simpliste : il n’y a pas besoin de faire des études pour le recevoir. Si un ami découvre la même chose que vous et n’éprouve pas ce choc, s’il prend un air supérieur : « Quoi ! Qu’est-ce qui t’étonne là-dedans ?... », vous le soupçonnerez, ou de vous cacher une explication secrète (le « truc » des illusionnistes), ou d’être complètement stupide. Devant une situation pareille, l’intelligence cherche une explication : plus l’intelligence est grande, plus l’étonnement est grand aussi.
Dans le cas que je viens d’évoquer, l’explication la plus vraisemblable est qu’on a voulu vous faire une surprise. Mais peu importe l’explication ; ce qui compte, c’est qu’il en faut une, et alors je généralise : l’homme intelligent est celui qui cherche des explications, l’insensé (au sens biblique), celui qui n’en cherche plus. Prenons par exemple la vie. Si vous n’êtes pas trop exigeant, on vous donnera des tonnes d’explications sur le fonctionnement de la vie ; ces explications ne sont pas fausses, mais je dis qu’elles n’expliquent rien parce qu’elles ne vont pas jusqu’au bout : c’est évident pour celui qui réfléchit vraiment. Seulement les chances d’avoir affaire à quelqu’un qui réfléchit vraiment deviennent de plus en plus faibles, et on ne peut toujours espérer s’en tirer avec des explications qui n’en sont pas : si vous avez le mauvais goût d’insister parce que vous réclamez une explication ultime, alors pour avoir la paix on vous servira le « hasard », ce qui est exactement la vertu dormitive de l’opium… en tout cas bien dormitive pour votre intelligence, qu’on espère tranquilliser avec ce mot.
Pour reprendre l’exemple caricatural de la voiture au hangar, c’est comme si, à votre demande d’explication, on répondait en décrivant le fonctionnement d’une voiture. Ne vous laissez pas endormir, dites obstinément « il y a eu quelqu’un, je veux savoir qui… », tel le policier avisé qui ne s’en laisse pas compter avant d’avoir trouvé le coupable : voilà ce que j’appelle savoir ce qu’on veut. L’intérêt du coupable étant au contraire de vous endormir avec des explications qui n’en sont pas, et de vous étourdir avec des mots.
Allons plus loin, et raffinons un peu notre exemple. L’inventeur de la première automobile ne peut pas être n’importe qui : il doit avoir une intelligence particulièrement douée, particulièrement tenace, et cette espèce de passion qui fait les inventeurs. C’est vrai dans tous les domaines, et nous venons de découvrir trois grandes évidences dont la portée métaphysique est incalculable :
1. Il faut savoir s’étonner de ce qui est étonnant, et chercher une explication digne de ce nom ;
2. Dans le cas de l’automobile au hangar, cette explication ne peut-être qu’une intention intelligente ;
3. Dans le cas de l’invention d’une automobile, l’intelligence de l’inventeur doit être géniale.
Si vous essayez de ne pas perdre ces trois évidences en contemplant l’univers, vous arriverez tout de suite à l’idée de Dieu. Et vous y arriverez encore plus à partir de la science : « Peu de science nous éloigne de Dieu, beaucoup y ramène ». Les découvertes modernes nous dévoilent que la complexité de l’univers est un abîme vertigineux, en comparaison de laquelle les ordinateurs font figure de brouette. Alors concluez…
Non seulement le hasard ne peut pas expliquer l’apparition de cette complexité, mais l’intelligence humaine serait tout aussi incapable de la concevoir que l’idiot du village de fabriquer un avion. La plus humble cellule vivante défie encore l’investigation des savants. On dira qu’elle ne la défiera pas toujours, mais qu’est-ce que cela prouve ? Si après des années d’efforts, on arrive à comprendre une invention, le beau mérite puisqu’on l’a sous les yeux ! Même la cellule, l’homme n’arrive pas encore à la comprendre (…).
Le choc que j’éprouve devant la profondeur intelligente de ces choses, je sais que je ne le perdrais pas du jour au lendemain, même si je perdais la foi (…). Je pourrais perdre la foi d’un instant à l’autre, si je n’étais pas fidèle à une certaine attitude. Mais ces évidences-là, je ne pourrais pas les perdre tout de suite : il faudrait du temps pour que je retombe dans la décomposition de l’intelligence.