La pertinence rationnelle de la croyance en Dieu (et l'irrationalité des croyances alternatives) - V
Cher Miky,
Après quelques longues semaines d’interruption, je reprends le cours de notre discussion sur l’IME.
Je rappelle à mes lecteurs que dans trois grands articles publiés en juillet 2007 (1, 2 et 3), tu t’efforçais de réfuter l’idée (défendue sur ce Blog) qu’il soit possible pour l’esprit humain de parvenir à une connaissance certaine de l’existence de Dieu à partir d’une réflexion rationnelle sur l’Univers.
Pour défendre ta thèse, tu commençais par annoncer… que la question de la Cause de l’Univers ne se pose pas ! Or, nous avons vu qu'elle se pose ; et qu’elle se pose avec une acuité d’autant plus grande que les sciences positives nous révèlent aujourd’hui un Univers bien étrange, dont il serait pour le moins téméraire d’affirmer qu’il « va de soi »…
Tout ton raisonnement tombe donc à l’eau ! Non pas qu’il soit mauvais en soi (on y trouve de bonnes intuitions). Simplement, il part d’un présupposé erroné : à savoir que la question de la Cause de l’Univers ne se pose pas. Si la question de la Cause de l’Univers ne se pose pas, c’est que l’Univers est le seul Être, l’Être absolu qui n’a besoin de rien ni de personne pour exister. Et si l’Univers est l’Être absolu, il n’y a aucune raison de chercher d’autres explications aux phénomènes extraordinaires observés ici ou là (comme les apparitions « surnaturelles » ou les OVNIS) que dans la Nature, puisque celle-ci est par hypothèse la seule Réalité existante. Donc : Dieu n’existe pas. L’ennui Miky, c’est que cette conclusion ne se trouve pas à la fin de ton raisonnement, comme la démonstration irréfutable d’un théorème mathématique, mais au début : car en postulant que l’Univers est l’Être absolu, tu as par avance décidé d’exclure l’hypothèse de l’existence de Dieu. Outre que cette méthode est en elle-même contestable sur le plan strictement rationnel (qui ne devrait normalement s’embarrasser d’aucuns préjugés), nous avons vu dans nos précédents articles combien ce présupposé de la suffisance ontologique de l’Univers était injustifié.
Ce présupposé écarté, il convient maintenant de revenir à ce qui constitue la substance même de ton raisonnement, et de l’appliquer non plus aux soucoupes volantes ni aux guérisons inexpliquées, mais à l’Univers lui-même dont il convient de rendre compte de l’existence sur le plan rationnel.
Le principe général que tu poses (et qui est finalement le cœur de l’IME – qui signifie je le rappelle : « l’Inférence à la Meilleure Explication »), est le suivant : « Une bonne explication, en matière d’IME, c’est une proposition qui, si elle est vraie, rend moins bizarre le fait que l’on cherche à expliquer. » C’est du bon sens en effet. Et c’est un principe que je veux bien retenir avec toi pour tenter de résoudre la question métaphysique de l’origine de l’Univers. Encore faut-il l’appliquer correctement ! Or précisément : ton application concrète de ce principe général me paraît pour le moins discutable. Je veux parler ici de ton exemple de l’album de Kraftwerk perdu en pleine Amazonie.
« Admettons, écris-tu, que je tombe sur un album de Kraftwerk en pleine forêt amazonienne. C’est assurément un événement inattendu. On pourrait vouloir proposer comme explication : « Dieu a fait apparaître cet album de Kraftwerk en pleine forêt amazonienne ». Il est clair que si Dieu existe et est tout-puissant, il peut faire apparaître un album de Kraftwerk en pleine forêt amazonienne. Mais a-t-il de bonnes raisons de le faire plutôt que de s’abstenir ? S’il n’est pas un tant soit peu plus probable que Dieu (s’il existe) fasse apparaître un album de Kraftwerk dans la forêt amazonienne qu’il n’est probable que cet album se trouve là par pur hasard, alors manifestement, mon explication n’en est pas une, car elle n’apporte rien de plus par rapport à l’hypothèse du hasard. »
A priori, le raisonnement est séduisant. Si je trouve un album de Kraftwerk en pleine forêt Amazonienne, c’est que : OU BIEN Dieu l’y a mis, OU BIEN il est là par hasard. Mais si je retiens la première hypothèse, je me heurte immédiatement à une énigme insoluble, qui réside dans la question de savoir pour quelle mystérieuse raison Dieu a bien voulu que cet album de Kraftwerk se trouve là, au beau milieu de l’Amazonie ? On a donc là une explication… qui n’explique rien ! Le « gain en intelligibilité », pour reprendre ton expression, est nul. Le postulat de départ étant qu’« une bonne explication, en matière d’IME, c’est une proposition qui, si elle est vraie, rend moins bizarre le fait que l’on cherche à expliquer », nous sommes naturellement conduit à invalider cette première explication, pour retenir l’hypothèse du hasard qui a l’avantage de rendre « moins bizarre » le fait que l’on cherche à expliquer, à savoir : la présence d’un album de Kraftwerk au beau milieu de la jungle.
C’est propre en apparence, c’est rationnel, ça semble irréfutable. Mais… c’est ce que l’on appelle un sophisme. C’est un sophisme, parce que le problème au départ est mal posé. La question n’est pas en effet de savoir ici si l’album de Kraftwerk est là par hasard ou par le fait d’une intervention divine. Car si tu poses le problème en ces termes, c’est que tu présupposes déjà l’existence de Dieu ! Je sais bien que tu as indiqué qu’il est pour toi « essentiel de connaître cette probabilité a priori de l’existence de Dieu, afin de la comparer avec la probabilité a priori des phénomènes anormaux qui se manifestent de temps en temps dans notre monde sensible, pour pouvoir inférer l’existence de Dieu comme meilleure explication de ces phénomènes anormaux. » Mais c’est un point avec lequel je suis en désaccord formel avec toi. Car pour résoudre un problème métaphysique quelconque, il me paraît important au contraire d’exclure par avance tout préjugé. Si tu poses a priori Dieu comme principe possible de solution, c’est que tu as manifestement une arrière-pensée, une intention plus ou moins secrète SOIT d’en démontrer l’existence (c’est peut-être le travers de certains théologiens naturels…), SOIT d’en rejeter l’existence (c’est ce que tu fais dans ton article). Mais dans les deux cas, tu as déjà la réponse à ta question avant même d’avoir raisonné. L’IME entendu comme cela n’est donc pas une méthode rationnelle et fiable pour découvrir la vérité objective. C’est bien plus, comme tu l’écris toi-même, « un moyen de renforcer une croyance préalable, et de légitimer cette croyance au moyen du vernis de la rationalité. Il y a bien une rationalité dans ce cheminement, mais elle est secondaire, elle vient après la croyance, pour la confirmer, et non en amont pour la fonder ».
Je te propose donc une autre méthode. Gardons le principe selon lequel « une bonne explication, en matière d’IME, c’est une proposition qui, si elle est vraie, rend moins bizarre le fait que l’on cherche à expliquer », mais supprimons de notre champ de pensée tout préjugé, et tout a priori. Oublions pour le moment que Dieu puisse exister. Ne prenons comme méthode de raisonnement que celle qui s’appuie sur le réel tel que nous le connaissons et expérimentons. Et revenons à ton album de Kraftwerk.
Imaginons que je marche en sifflotant dans la forêt Amazonienne, et que soudain, bing ! je trébuche, et me retrouve nez à nez avec un album de Kraftwerk ! Mon intelligence s’interroge : qu’est-ce que peut bien faire là un album de Kraftwerk, perdu en pleine forêt amazonienne ??? Je réfléchis, et me dis : « bon, de deux choses l’une, Matthieu. OU BIEN cet album est là par hasard. OU BIEN, s’il est là, c’est que quelqu’un l’y a mis. » Voilà Miky en quels termes se pose le problème! Je considère alors la première solution : les atomes présents en cette forêt se sont constitués par hasard en molécules, qui elles-mêmes se sont constituées par hasard en macro-molécules, qui elles-mêmes se sont constituées par hasard………….., etc. jusqu’à former par hasard ce disque de Kraftwerk en pleine forêt amazonienne. L’album en question se trouve donc là par le jeu d’un arrangement moléculaire hasardeux, au même titre que le champignon qui se trouve sous mes pieds. Mmmouais… me dis-je. Ca paraît quand même peu plausible dans la mesure où cet album ne cadre pas avec l’environnement naturel de cette forêt amazonienne. L’explication par le hasard me donne donc un résultat « bizarre », parce que la forêt amazonienne ne produit pas à ma connaissance de disques de Kraftwerk ! J’examine maintenant la seconde hypothèse : si cet album se trouve là, c’est que quelqu’un l’y a mis. Quelqu'un d'ailleurs. J’ignore certes de qui il s’agit, et pour quelle raison il a laissé cet album ici. Mais je sais que quelqu’un l’a nécessairement placé là ; qu’il ne peut en être autrement compte tenu de ce que je sais de la réalité. Le résultat de cette hypothèse est en tous les cas « moins bizarre » que l’explication par le jeu d’un arrangement moléculaire hasardeux. C’est donc une explication relativement plus rationnelle, qui donne de sérieuses raisons de la croire véridique.
Cela me rappelle, au passage, l’échange que nous avions eu l’année dernière au sujet du Père Noël (cf. commentaires n°6 et 8) : « Le Père Noël, m’écrivais-tu, pourrait constituer une explication scientifique plausible à partir du moment où on pourrait prouver scientifiquement son existence et ses pouvoirs magiques. Mais dans l'hypothèse d'un Père Noël qui se dérobe malicieusement à toute tentative d'observation, comme cela semble être le cas en effet (puisque malgré plus d'un siècle de bons et loyaux services, le vrai Père Noël, et non pas ses pâles copies de supermarchés, n'a encore été vu par aucun enfant digne de foi :-)), nous sommes en pleine métaphysique... » (métaphysique étant entendu ici au sens d’élucubration. Etonnant tout de même, venant de l’administrateur d’un Blog « métaphysique » !)
« Cher Miky, te répondais-je, ta comparaison avec le Père Noël est excellente! Car si les cadeaux sous le sapin n'ont pu être effectivement déposés par le mythique Père Noël, il n'en demeure pas moins qu'ils ont bien été mis là par quelqu'un de bien réel! Sans doute un Père aimant, qui désirait offrir une belle joie à son enfant. Incognito... »
Nous pouvons donc maintenant appliquer l’IME à l’Univers lui-même. Confronté à la réalité de l’Univers telle que nous la livrent les sciences positives, notre intelligence s’interroge. Notre Univers peut-il exister par hasard, ou bien est-ce que Quelqu’un l’a créé ?
Pour que le hasard puisse se déployer, il faut déjà que l’Univers existe. S’il n’existe pas, le hasard ne peut pas trouver à s’exercer. Or, notre Univers n’a pas toujours existé. Il a eu un commencement : le Big Bang. C’est à partir du Big Bang que la matière existante à ce jour s’est progressivement constituée. Elle s’est peut-être ensuite arrangée par hasard pour donner l’univers tel que nous le connaissons aujourd’hui, en sa forme actuelle. Mais au départ, il n’y avait pas de matière. Comment peut-on dire alors que l’Univers s’est constitué par hasard ? Dans la théorie de l’Evolution, nous pouvons parler du hasard, parce que nous avons de la matière et des lois de la matière (la sélection naturelle, par exemple). Mais à l’époque du Big Bang, il n’y avait rien de tout cela. Aucune matière, aucune loi physique. Pas de temps, pas d’espace. Comment parler du hasard dans ces conditions ? Si l’on part de la seule réalité que nous connaissons et expérimentons – au sein de laquelle le hasard a peut-être créé les espèces que nous connaissons –, il faut reconnaître que le hasard ne permet pas de rendre compte à lui tout seul de l’existence de cette Nature que nous connaissons et expérimentons, et que celle-ci ne peut donc être considérée comme auto-suffisante. Pour que la Nature puisse être considérée comme auto-suffisante, il faudrait qu’elle soit éternelle. Or, nous savons aujourd’hui qu’elle ne l’est pas. Pour que la Nature soit auto-suffisante malgré tout, sans être éternelle, alors il faudrait qu’elle se soit… auto-créée ! Ce qui est une hypothèse extrêmement « bizarre »!!! Sans doute même la plus « bizarre »! Voilà pourtant ce à quoi sont acculés les athées de ce siècle pour échapper à Dieu : démontrer que l’Univers s’est créé tout seul, comme un grand ! Reconnais Miky que l’hypothèse d’une Création de l’Univers par Quelqu’un, pour autant mystérieuse qu’elle soit, a quand même l’avantage d’être plus rationnelle, et de rendre « moins bizarre » le fait que l’on cherche à expliquer, à savoir l’existence de l’Univers. Je ne sais certes pas grand-chose sur ce Quelqu’un. Et je ne sais pas pourquoi il a créé l’Univers. Mais je sais qu’il existe ; qu’il existe nécessairement ; et qu’il ne peut en être autrement compte tenu de ce que je sais de la réalité. Ma raison ne me laissera pas cela dit dans une totale ignorance quant à l’identité de ce mystérieux Créateur, puisqu’elle me mettra sur la piste d’un Être transcendant (qui ne se confond pas avec la Nature créée elle-même), donc incréé et par suite éternel.
Mais laissons de côté cette question du commencement de l’Univers. Nous avons en effet un second problème à résoudre : celui de savoir si l’ordre régnant dans l’Univers peut être lui-même le fruit du hasard. Nous avons déjà eu l’occasion de réfléchir sur la structure mathématique et intelligente de l'Univers, qui en fait une réalité non pas chaotique comme on aurait pu s’y attendre, mais ordonnée, harmonieuse. La présence de cet ordre dans l’Univers est au moins aussi surprenante que celle d’un album de Kraftwerk en plein forêt amazonienne ! Eh bien, là encore, notre intelligence s’interroge : cette organisation admirable de l’Univers peut-elle être le fruit du hasard, ou bien a-t-elle été inscrite dans la Nature par Quelqu’un ? Comme l'écrivait Ti Hamo (Commentaire n°10) : « l'expérience que l'on fait (…) en pratique concrète dans l'univers tel que nous le connaissons, c'est que du hasard ne sort que du hasard. A la limite des bribes ou des briques auxquelles nous essayons de donner du sens (j'ai tiré "roi-dame-valet à la suite, qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire?"), mais en tout cas rien qui s'organise spontanément qui ne n'était déjà organisé en puissance (…). Vérifier expérimentalement que l'univers apparaît et s'organise par hasard, c'est pas gagné. (…) Il me semble que l'intelligence organisatrice et créatrice sorte beaucoup moins du cadre des "expériences que l'on fait", que le postulat d'un hasard duquel émergeait un univers organisé (…). Le fait que jeter au hasard des pierres sur un terrain vague ne donne pas naissance à une cathédrale ou une pyramide ou un Stonhenge, ressort de l'expérience courante et concrète (…). »
Le cosmologiste anglais Fred Hoyle estimait pour sa part les chances d’obtenir une enzyme biologique convenable par hasard à partir de l’ensemble des 20 acides aminés utilisés dans sa fabrication, à… 1 contre 1020. Sachant que pour reproduire une bactérie, il faut assembler quelque 2.000 enzymes différentes en ordre de marche, les chances d’obtenir cette bactérie seraient de 1 contre 1020 que multiplie 2.000, soit 1 chance sur 1040.000 ! Autrement dit, selon Fred Hoyle, la probabilité qu’un tel évènement se produise est du même ordre que celle de voir une tornade balayer un entrepôt de ferrailleur et édifier un Boeing 747 à partir de ces matériaux ! Ce qui relève très exactement du miracle! Et nous ne parlons ici que de la bactérie…
L’explication de l’ordre régnant dans l’Univers par l’intervention d’une « intelligence organisatrice et créatrice » s’impose donc à ma raison. Je n’en sais certes pas plus à ce stade sur l’identité de cette « intelligence organisatrice et créatrice ». Mais l’intervention de cette dernière est nécessaire, compte tenu de ce que je sais de la réalité. Cette hypothèse rend en tous les cas « moins bizarre » le fait que l’on cherche à expliquer, à savoir l’existence d’un ordre mathématique dans l’Univers. Elle est donc plus rationnelle et plus crédible, même si elle demeure mystérieuse. Tout ce que ma raison peut dire sur cette « intelligence organisatrice et créatrice », c’est qu’elle est intelligente (capable de penser, de concevoir un projet et de le mener à bien ; qu’elle est par conséquent dotée d’une volonté et par suite, d’une personnalité) ; qu’elle gouverne l’Univers (par les lois qu’elle a y inscrite) ; et qu’elle est souverainement puissante (d’une puissance sans commune mesure avec l’idée que nous nous faisons de la puissance, puisque capable de faire jaillir la matière du néant !).
Si l’on considère donc qu’une « bonne explication, en matière d’IME, c’est une proposition qui, si elle est vraie, rend moins bizarre le fait que l’on cherche à expliquer », alors tu vois bien Miky que nous sommes inéluctablement conduit, en réfléchissant sur l'Univers, à l’existence d’un Être transcendant, incréé, éternel, intelligent, personnel et tout puissant.
Celui-là même que nous appelons Dieu.
(à suivre…)