En attendant la suite de notre série d'articles en réponse à Miky, je vous propose une méditation du Père Marie-Dominique Molinié sur la question de l'existence de Dieu. Cette méditation est tirée d’un remarquable ouvrage intitulé « Adoration ou désespoir » (Editions CLD, 1983) sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.
La démonstration de l’existence de Dieu est tellement simple que la difficulté n’est pas dans la démonstration elle-même, mais dans l’intuition de départ. Cette intuition ne porte pas sur l’existence de Dieu, mais sur la splendeur de la Création que nous avons sous les yeux. Il faut que cette splendeur nous donne un choc : sans ce choc, aucune démonstration ne nous convaincra.
[Le] Père Loew essaie de provoquer ce choc à partir [de l'exemple] d’une usine : cette usine est une chose intelligente, il y a en elle un ordre qui ne peut s’expliquer par le hasard. Plus on comprend l’ingéniosité d’un appareil et la complexité de son montage, plus on admire l’intelligence de l’inventeur : ceux qui ne comprennent rien à la mécanique admirent peu, et à force de bêtise, ils pourront se demander s’il y a bien un inventeur, si la machine n’est pas le fruit du hasard. Toute la difficulté de la démonstration de l’existence de Dieu est là : si vous êtes béotien, vous n’admirerez pas l’univers ; vous croirez être un esprit supérieur en n’admirant rien.
C’est ainsi que saint Paul et toute l’Eglise nous apprennent à découvrir Dieu en regardant le monde : « Les merveilles visibles de l’univers nous dévoilent les perfections invisibles de Dieu ». Mais si les merveilles de l’univers n’apparaissent pas merveilleuses, il n’y a pas de démonstration pour guérir cet aveuglement.
On comprend alors la parole de Pascal : « Peu de science éloigne de Dieu, beaucoup y ramène ». Si le fonctionnement du coeur est génial, que dire de l’ensemble du corps ? Si on admire les inventions humaines, peut-on trouver « logiques », sans plus, les inventions de la nature?
Je sais qu’il y a le problème du mal, qui barre la route de l’émerveillement à beaucoup d’esprits et de coeurs. Il n’est pas question d’esquiver ce problème. Seulement, il faut d’abord apprendre à être tourmenté par le mystère du Bien. Cela revient à s’émerveiller, mais d’un émerveillement tellement profond qu’il devienne un tourment.
Là commence notre liberté : puisqu’on ne démontre pas que la nature est géniale, nous sommes libres de refuser cette lumière et ce tourment (…).
Beaucoup disent : moi, il me faut des preuves. Nous sommes inquiets au sujet de Dieu, nous avons peur d’être dupes. C’est encore un fruit du monde moderne : à force de se laisser tromper par les sophismes des ténèbres, on apprend à se méfier de la lumière, et cette méfiance devient inguérissable. Comment prouver que le corps humain et la vie, c’est merveilleux ? Comment démontrer que la musique de Bach est géniale ? Il y a ceux qui ont des oreilles pour entendre et ceux qui n’en ont pas. Et pourtant ce n’est pas subjectif : la musique de Bach est géniale, en vérité. Seulement cela ne se démontre pas. L’existence de Dieu se démontre, mais à partir de quelque chose qui ne se démontre pas — à savoir que le monde est beau...
La culture occidentale repousse profondément cette intuition. Les modernes mettent leur gloire à ne plus s’émerveiller ni s’attendrir, ils en ont peur comme de la pire des faiblesses. Notre liberté doit remonter le courant. Il est dur de garder ou de retrouver un coeur pur : Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux, parce que vous n’entrerez même pas dans le royaume de la Nature. Mais si vous devenez comme des enfants, toute la science et la logique qui vous font douter de l’existence de Dieu alimenteront au contraire votre stupeur et votre adoration... le sens du mystère qu’Einstein, par exemple, avait au plus haut degré.
Einstein est mort dans l’angoisse d’avoir livré les secrets de la bombe atomique à des dirigeants infantiles. Infantiles, mais durcis comme des vieillards... Il avait gardé son regard d’enfant, cela se voit sur son visage. Il jouait avec la relativité comme un enfant joue à la balle. Il était de ces vrais savants qui sont des contemplatifs, plus sensibles au mystère qui leur échappe qu’aux parcelles de vérité qu’ils arrachent à ce mystère (…).
Regardons la couleur du ciel, la musique, les plantes, les hommes, les sciences. Mais en demandant à recevoir le choc, l’éblouissement ou l’écrasement, qui fait voir ces choses telles qu’elles sont, dans l’abîme de leur splendeur. Quand on a reçu ce choc, la démonstration de l’existence de Dieu paraît aussi enfantine que deux fois deux font quatre.
Et la définition de Dieu, ce sera : l’intelligence géniale qui a créé cet univers et le gouverne.